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Wolters Kluwer France : Cession de la Santé et fraude au plan social

Alors qu’il se fait photographier en compagnie de Michel Sapin, ministre du Travail, à l’occasion d’un colloque sur la loi de « sécurisation de l’emploi », Hubert Chemla, actuel P-DG de Wolters Kluwer France, participe à ce qu’il convient d’appeler une fraude au plan social.

En janvier 2012, Michael Koch, éphémère P-DG de WKF, annonce la volonté de céder l’activité Santé de l’entreprise. La cession concerne 271 salarié-e-s (journalistes, cadres et employé-e-s) qui collaborent à une quinzaine de titres de presse, des sites dédiés à la santé humaine et animale, un fonds éditorial de 2 000 ouvrages de médecine et le grand salon Pharmagora. WKF cherche un repreneur sans succès jusqu’en septembre 2012, date à laquelle le CE est informé à la fois du choix du repreneur final et de la clôture de la data room. La direction WKF refuse d’informer sur les autres candidats et sur le contenu de cette data room.

Le 4 décembre 2012, les membres du CE WKF se voient remettre un document concernant le projet de cession à MM. Alexis Caude et Charles-Henri Rossignol. Deux heures plus tard, les salarié-e-s du pôle Santé sont invité-e-s à rencontrer la direction dans une salle sans chaises, direction qui leur annonce qu’elle ne peut rien leur dire puisque le CE est saisi et qu’il a la primeur de l’information.

Commence alors le processus de consultation du CE, qui va révéler quelques surprises et laisser plusieurs zones d’ombre.

Pour 1 euro, je te donne 8 millions

Vous pensez peut-être qu’il faut travailler pour gagner de l’argent. C’est même ce que l’on raconte aux enfants. Le travail, ça eut payé, mais pour avoir le « swag » et gagner des millions en période d’austérité, il vaut mieux être dans les bons coups financiers et dans les sales coups pour les salarié-e-s.

Lorsqu’un secteur est en « restructuration », certaines entreprises se spécialisent dans la reprise d’activités qu’elles vont achever, libérant l’employeur initial de ses obligations en matière de licenciement collectif, notamment de reclassement. Pour que l’opération soit rentable pour le repreneur, il faut d’une part que le prix de rachat de la division ou de l’établissement sacrifié soit le plus bas possible, et d’autre part que le vendeur finance pour le repreneur le coût du plan social à venir. C’est ce qu’a consenti WKF : vendre le pôle Santé pour 1 euro et mettre à disposition du repreneur 8 millions d’euros.

Avec ce transfert de plan social, la société WKF se libère de la gestion d’un PSE et de l’obligation de reclassement qui pèse sur toute entreprise, a fortiori lorsqu’elle compte plus de 1 000 salarié-e-s et qu’elle fait partie d’un groupe mondial. Alors que nous sommes chez l’un des premiers éditeurs français en matière de droit social (qui vante régulièrement les vertus du « dialogue social »), certains hauts cadres de WKF confient que cela ressemble à une forme de schizophrénie que de professer le droit du travail à la France entière et de l’éluder dans l’entreprise. Faites ce que je dis, pas ce que je fais…

À l’heure où le gouvernement espère mettre en œuvre un « pacte de responsabilité », que penser de la manière dont une multinationale traite la question de sa responsabilité sociale ? En cédant son pôle Santé, elle s’exonère purement et simplement de son obligation de préservation de l’emploi et de recherche de solutions alternatives avec les représentant-e-s du personnel.

Lors de l’information-consultation, les élu-e-s CGT constatent que les mauvais résultats du pôle Santé doivent beaucoup aux frais de structure (ou coûts centraux) qui lui sont affectés. Ils sont par ailleurs compensés par les bons résultats d’une autre société du groupe WKF, Ovid, qui commercialise des bases de données médicales en France, en Belgique et dans tout le Maghreb. Les frontières juridiques de WKF et d’Ovid resteront hermétiques, tandis que les élu-e-s apprendront que les résultats d’une autre société de droit anglais, VBD, sont depuis longtemps intégrés dans les comptes de la société Wolters Kluwer France.

Pourquoi ce choix comptable ? On peut formuler une hypothèse : désireuse de mettre en valeur les bons résultats des activités on-line, Wolters Kluwer les isole de ceux de la presse papier. Quoi qu’il en soit, les raisons de restructurer auraient dû faire l’objet d’une discussion qui n’aura pas lieu. Il ne sera jamais envisagé d’utiliser les 8 millions d’euros mis à la disposition des repreneurs pour dynamiser l’activité du pôle Santé et tenter au moins de limiter les suppressions de postes.

« Retournement » d’entreprise

Au cours de la consultation, les repreneurs Alexis Caude et Charles-Henri Rossignol rencontrent les élu-e-s du CE. Alexis Caude se présente comme un homme ayant une fortune personnelle et souhaitant développer ses activités dans les nouveaux médias. Il est à la recherche de contenus et déclare que, des membres de sa famille ayant des professions médicales, le pôle Santé l’intéresse.

Mais l’homme d’action, qui dirigera la nouvelle société Newsmed créée pour accueillir le pôle Santé, c’est Charles-Henri Rossignol. Diplômé de Polytechnique, il se présente comme un « spécialiste du retournement d’entreprise ». Mais façon tonneau, looping et descente en chute libre… Comme en témoigne le « retournement » d’Air Toulouse, devenue Aeris, qui a fait faillite en 2003, trois ans après sa reprise par M. Rossignol. N’écoutant que son courage, face à l’ire des salarié-e-s et aux questions pressantes des journalistes sur ce crash économique et social, l’as du retournement a fui Aeris « par la voie des airs », « accroché aux fils du téléphone » (voir article de Libération).

Pour le pôle Santé, les deux repreneurs expliquent d’emblée qu’ils devront procéder à un plan de suppression d’une quarantaine de postes, mais ils refusent de le présenter au CE de WKF, estimant que cela relève de la seule compétence des futur-e-s élu-e-s de Newsmed.

M. Rossignol quitte son attitude arrogante envers les élu-e-s pendant un court moment : il espère signer un accord remettant en cause le niveau des indemnités de licenciement prévues par les conventions collectives de branche applicables. Ce que toutes les organisations syndicales refusent. Commentant l’engagement pris par la direction de WKF de faire appliquer les modalités de licenciement du précédent PSE de 2009, il explique que modalités « similaires » ne veut pas dire « identiques » et les élu-e-s comprennent qu’il entend s’affranchir des règles juridiques.

Pour les rassurer, Hubert Chemla annonce que WKF financera « substantiellement » la restructuration, mais refuse dans un premier temps de donner le chiffrage. Le CE exige alors d’avoir accès aux contrats de cession qui lui seront partiellement communiqués. Les conventions de cession sont rédigées en anglais. Il faudra compter sur la spontanéité de M. Rossignol qui donnera le chiffre de la transaction lors d’une séance : 8 millions d’euros.

Informations partielles et partiales, documents non traduits, montage financier opaque : le non-respect des obligations d’information-consultation du CE vaudra à WKF d’être fermement condamnée par la justice.

Vous avez dit « escrow agreement » ?

La somme est versée selon deux modalités à la société Newsmed : 2 millions d’euros au jour de la cession et 6 millions d’euros placés sous séquestre aux Pays-Bas, où se trouve le siège du groupe Wolters Kluwer. Ces 6 millions d’euros sont présentés comme devant servir à payer les indemnités de licenciement mais aucune précision n’est apportée. Quels licenciements ? Les licenciements économiques annoncés, les licenciements pour motif personnel, les clauses de cession des journalistes ? Dans un premier temps, la direction peine à répondre et semble « découvrir » elle-même les conditions de l’« escrow agreement » (convention de séquestre en VF). Elle avoue que l’opération est supervisée par le responsable des fusions-acquisitions du groupe Wolters Kluwer, qui ne semble pas avoir mis ses collègues français dans la confidence.

D’où proviennent les 8 millions d’euros ? Dans un premier temps, la direction WKF ne veut pas répondre à cette question (pourtant simple). Elle ne le fera que postérieurement à la fusion, au mois de mars 2014, en indiquant que WKF finance seule cette « cession ». Elle indique aussi, précision qu’elle n’avait pas donnée lors de l’information-consultation sur le projet de cession, que le solde des sommes placées sous séquestre qui ne sera pas versé aux salarié-e-s sera attribué à Newsmed.

Ainsi, Newsmed a intérêt, pour se rémunérer, à ne pas utiliser toutes les sommes placées sous séquestre pour payer les indemnités de licenciement.

Un marché de dupes sur le dos des salarié-e-s

Les salariés qui ont perdu leur emploi sont lésés sur plusieurs points.

C’est d’abord le groupe Wolters Kluwer en France qui n’a pas procédé à une simple cession, mais a volontairement transféré à la société Newsmed la tâche de mettre en œuvre une restructuration qu’elle finance « substantiellement ». Si la restructuration avait eu lieu au sein de WKF, les salarié-e-s auraient bénéficié des règles qui encadrent les plans de licenciements dans les entreprises de plus de 1 000 salarié-e-s, spécialement en matière de reclassement.

Ensuite, contrairement à ce qui a été annoncé aux élu-e-s du comité d’entreprise WKF, il n’y a pas eu de restructuration avec suppression d’une quarantaine de postes accompagnée d’un PSE. Selon nos sources, il n’a été procédé qu’à 9 licenciements dans le cadre d’un plan de départs volontaires, le reste relevant de ruptures conventionnelles (homologuées par la Direccte ?!) et de licenciements pour faute assortis de transactions. Ces derniers, tout comme les clauses de cession de journalistes, ne sont pas financés par le séquestre. Le repreneur a également procédé à des cessions, revendant certains titres ou le fonds éditorial médical. Avec les salarié-e-s transférés chez Newsmed, on comprend mieux dès lors ce qu’il faut entendre par « retournement d’entreprise » : il s’agit de maximiser la rentabilité à court terme en brutalisant les personnes et en tordant les règles légales.

On comprend mieux aussi la finalité économique de ce mécanisme pour MM. Caude et Rossignol. Moins ils prononcent de licenciements économiques ou de ruptures conventionnelles, plus le solde sera élevé. En récupérant le solde des sommes placées sous séquestre, ils peuvent escompter percevoir plusieurs millions d’euros. Cette convention est-elle licite ? Rien n’est moins sûr.

Voilà le montage auquel a participé le P-DG de Wolters Kluwer France, au mépris du droit des salarié-e-s à bénéficier des mesures de reclassement qui doivent accompagner un plan de licenciements. En a-t-il parlé à Michel Sapin lors du colloque sur la loi dite de « sécurisation de l’emploi » organisé par Liaisons sociales, fleuron de WKF pour le social ? 

25 mars 2014 CGT Wolters Kluwer France