Radio France vit une crise historique. Des changements profonds de nos conditions de travail s'annoncent. Dans ce contexte, nous nous inquiétons particulièrement pour une catégorie de salariés de la "Maison Ronde" : ceux que nous appelons les précaires.
La précarité touche tous les métiers de cette entreprise (animateurs, producteurs, techniciens, chargés d’accueil, entre autres). La situation que nous connaissons la mieux est celle de nos collègues journalistes. L'an passé, Radio France a employé 296 journalistes pigistes et 103 en CDD. Ces derniers font partie du "planning", une sorte d'agence d'intérim interne.
Disponibles 24 heures sur 24, appelés à travailler parfois la veille ou le jour même, dans toutes les rédactions de l'entreprise (France Culture, France Info, France Inter, France Musique, FIP, Mouv' et les 44 radios locales de France Bleu), ils sont soumis à une astreinte qui ne dit pas son nom et qui n'est donc pas rémunérée.
Ce système de précarité institutionnalisée est illégal. Certains journalistes de Radio France ont enchaîné en quelques années jusqu'à 200 contrats. Dans la même entreprise. Certains des postes qu'ils occupent à tour de rôle sont parfois, dans les faits, non pourvus par un salarié titulaire et nécessiterait une embauche.
N'importe quel conseil des Prud'hommes requalifierait cette situation en CDI. Mais nos jeunes confrères n’ont d’autre choix que de subir cette période d’essai interminable : ce système est la seule voie d'accès à un CDI à Radio France.
Ce système est également dispendieux. Le recours aux CDD déclenche automatiquement le versement de primes de précarité. Radio France rembourse aussi chaque année des milliers de nuits d’hôtels, locations d’appartements et des centaines de billets de train, pour ces journalistes appelés à travailler parfois à des centaines de kilomètres de leur domicile.
Ce système enfin est usant. Pendant trois, quatre, cinq et pour certains jusqu'à six ou sept ans, il faut changer de collègues et de contexte professionnel très régulièrement, pour quelques jours, et à chaque fois "faire ses preuves" sans aucune garantie d’embauche à l'arrivée.
À chaque contrat, une évaluation transmise à la DRH. À chaque fin de contrat, la peur de ne pas être rappelé rapidement, de ne pas avoir de travail. La pression est permanente et la vie personnelle en pâtit forcément.
Pour changer ce système, des solutions existent. Pourquoi Radio France n'embauche pas certains de ces journalistes comme remplaçants titulaires, en CDI ? Pourquoi l'entreprise ne propose-t-elle pas des CDD plus longs, qui engloberaient plusieurs remplacements en un seul contrat ?
On le sait, l'argent est le nerf du combat qui se joue en ce moment dans la "Maison Ronde". Justement, donner un cadre légal à l'emploi des CDD et transformer certains contrats en CDI permettrait de faire des économies. Finis les primes de précarité et le versement excessif de frais de transports ou de logement.
Jusqu'ici, la direction a toujours refusé de réformer son système. Elle doit aujourd'hui revoir sa position. Le sort de ces journalistes précaires nous importe. Ce sont nos collègues. Comme nous, ils travaillent exclusivement pour Radio France. Sans eux, nos antennes ne fonctionnent pas. Ces dernières semaines, ils n'ont pas fait grève. Impossible de cesser le travail, par peur de le perdre.
Nous savons que des efforts financiers sont demandés à l'entreprise. Son PDG, Mathieu Gallet, envisage un plan de départ volontaire. Demander des embauches dans ce contexte peut sembler hors de propos. Pour nous, c'est au contraire l'occasion à saisir pour régulariser la situation des journalistes précaires. Des solutions existent et elles seraient moins coûteuses pour l'entreprise.
Vendredi, dans une interview à l'AFP, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a évoqué une nécessaire "résorption de la précarité" à Radio France. Alors, Madame Pellerin, Monsieur Gallet : chiche ?