Dans l’après-midi du 21 octobre 2000, à Ramallah, Jacques-Marie Bourget, grand reporter pour Paris Match, est atteint par un tir à balle réelle. Il est très gravement touché au poumon gauche. A l’instant où il était atteint, il se trouvait à l’anglGaravement e d’une place publique, assis au pied d’un grand mur, discutant avec de jeunes adultes palestiniens. A quelque distance, en contrebas de la grande place, des adolescents lancent sporadiquement des pierres vers les soldats israéliens qui répliquent par des tirs et des jets de gaz.
Alors qu’il est transporté à l’hôpital de Ramallah, son état est jugé si « grave » que l’Autorité Palestinienne fait appel aux Israéliens, afin que le journaliste soit soigné dans un établissement hébreu de Jérusalem. Ayant essuyé un refus, les chirurgiens locaux se lancent dans une opération complexe : elle sauve la vie de leur patient.
Le 22 octobre, un avion sanitaire se pose à l’aéroport de Tel Aviv dans le but de transporter le reporter vers la France. Mais les responsables israéliens s’opposent à ce transfert. Finalement, face à l’insistance de Jacques Chirac, alors président de la République, venue de Ramallah, l’ambulance palestinienne est enfin autorisée à pénétrer sur le tarmac de Ben Gourion.
Après une semaine de réanimation, la qualité des soins reçus à Ramallah, puis à l’hôpital Beaujon, permettent au blessé de rester en vie. Suit une série d’opérations, puis des mois de rééducation qui, une fois « consolidé », laisse JM Bourget avec une invalidité partielle de 42%. Sa main gauche et son bras sont irréversiblement atteints.
Une plainte pour tentative d’homicide volontaire est déposée devant le TGI de Paris. L’audition des témoins (des journalistes français présents sur les lieux au moment du tir) a lieu à Paris. Un expert établit que la balle - qui a été retirée ultérieurement de l’omoplate du journaliste - est une munition de fusil d’assaut M16 fabriquée par IMI, l’industrie militaire israélienne. Après des mois d’inaction, le dossier est pris en main par un nouveau juge, madame Guenascia qui se montre pugnace. Par le biais du Quai d’Orsay, le 27 avril 2005, la magistrate expédie des Commissions Rogatoires Internationales tout en sollicitant la coopération de la justice israélienne, tout cela en vertu d’une Convention d’entraide signée en 1959.
Près de trois années plus tard les autorités israéliennes rendent une réponse paradoxale. Elles révèlent « qu’une enquête militaire a bien eu lieu, que le contenu en est secret et que, d’ailleurs, il a été égaré ». Pour conclure que le journaliste « a été touché par une balle palestinienne »… Faute de pouvoir agir, en 2011, la juge d’instruction est contrainte de rendre un non-lieu.
En 2012, William Bourdon, l’avocat de JM Bourget se retourne vers la CIVI, la Commission d’indemnisation des victimes d’Infractions. Le 21 juin 2013, le TGI de Paris, qui doit statuer sur la qualité de victime du journaliste et ainsi lui ouvrir des droits à indemnisation, le déboute. Axant tout son propos sur une identification du statut de journaliste à celui de militaire. Le tribunal refuse donc au blessé la qualité de victime en raison « d’un contexte politique » sur les lieux de l’accident. Par ailleurs, pour ce même tribunal, condamner l’acte d’un état (en l’occurrence Israël) serait s’impliquer dans « l’appréciation du comportement d’un Etat étranger ».
Le journaliste fait appel. Le 21 septembre 2015, le TGI lui donne cette fois raison. Dans un arrêt « historique », qui est une victoire pour l’ensemble des journalistes, les magistrats écrivent : « Le seul fait que l’infraction ait été commise sur un territoire où ont lieu des affrontements armés ne suffit pas à exclure son caractère de droit commun. En effet, il n’est pas démontré que ce tir effectué par une personne non identifiée était constitutif d’un acte de guerre. Dès lors, les violences commises, dont on ne peut affirmer qu’elles résultent d’un acte volontaire, l’hypothèse d’une balle perdue ne pouvant être totalement exclue, présentent le caractère d’une infraction de droit commun »… Voilà donc le reporter enfin reconnu comme victime… Présent sur un lieu d’affrontement, un journaliste n’est pas un militaire mais un civil qu’il s’agit de protéger.
Ces quelques mots, écrits par les magistrats du TGI, ont une importance capitale. Ils réaffirment et précisent le statut du journaliste alors qu’il est présent là où il y a des soldats en armes. Faisant jurisprudence cette décision doit s’appliquer au cas de notre frère, Gilles Jacquier de France 2, tué en Syrie. Et aussi à nos amis Ghislaine Dupont et Claude Verdon assassinés au Mali.
Pourtant, au moment où l’ONU décide de créer une journée « Contre les meurtres impunis de journalistes », voici que le Fonds d’indemnisation des victimes des actes de terrorisme et autres infractions, celui qui, dans la foulée de la CIVI, se devait d’indemniser JM Bourget, a décidé de porter l’affaire devant la Cour de cassation. Tentant ainsi de faire annuler une décision qui relève des droits de l’homme les plus élémentaires : la protection de journalistes. L’étonnant dans cette très longue affaire reste que le « Fonds » dont il est question est un organisme placé sous tutelle du gouvernement. Un gouvernement qui nous laisse entendre qu’il est attentif à la liberté de la presse et aux conditions d’exercice du métier de journaliste.