Le gouvernement vient de transmettre au Conseil d'État l'avant-projet de loi sur la négociation collective, l'emploi et le travail (le projet dit El Khomri).
Tel un rouleau compresseur, le gouvernement continue son action de destruction des droits des salariés avec la méthode utilisée sans relâche depuis 4 ans : après la loi de sécurisation de l'emploi, la loi Macron, la loi Rebsamen, il s'agit à nouveau de modifier les textes en prétendant améliorer les droits des salariés, mais en les réduisant en réalité. Seules les entreprises sont sécurisées, au prétexte de relancer l'emploi, sans aucune démonstration de l'efficacité de ces mesures depuis 4 ans.
Des pans entiers du Code du travail sont modifiés avec effets dévastateurs sur les salariés :
Les principes rédigés par la Commission Badinter sont repris tels quels, sans discussion, alors qu'ils font l'objet de critiques de toute part. Le premier article de ce rapport place ainsi le bon fonctionnement de l'entreprise au même niveau que les libertés et droits fondamentaux du salarié et permet ainsi de justifier que des limitations y soient apportées.
Concernant le temps de travail, les renvois à la négociation collective d'entreprise sont généralisés, la plupart des règles devenant supplétives et n'étant pas toujours fixées, le projet de loi renvoyant dans de nombreux cas à une décision de l'administration du travail.
Les 35 heures sont plus que jamais théoriques : la semaine de travail pourra atteindre 60 heures, tout ceci par simple accord d'entreprise sans autorisation de l'inspection du travail. Le temps de travail pourra être « modulé » sur 3 ans avec accord d'entreprise et sur 16 semaines sans accord, par simple décision unilatérale de l'employeur dans les entreprises de moins de 50 salariés, pour éviter de payer les heures supplémentaires lorsque le temps de travail dépasse 35 heures sur une ou plusieurs semaines. Comment ces mesures peuvent-elles favoriser l'emploi, puisqu'il s'agit de faire travailler les salariés en poste à moindre coût au lieu d'embaucher ?
Le référendum est autorisé dès lors qu'un accord collectif n'est signé que par 30% des représentants des salariés. Comme l'ont montré les affaires Smart et Fnac, les référendums pratiqués dans ces situations aideront les entreprises à contourner la discussion syndicale et à utiliser le chantage à l'argent et à l'emploi pour obtenir l'accord des salariés.
La révision des accords d'entreprise est facilitée et le maintien des droits des salariés, en cas de révision ou de dénonciation des accords, limité. Les accords à durée déterminée seront généralisés, source d'une véritable précarité des droits des salariés et d'insécurité permanente.
Face au peu de succès des accords de maintien de l'emploi, qui constituaient une grave remise en cause du principe de faveur, le projet de loi va plus loin : désormais, sans qu'il soit besoin de démontrer de « graves difficultés conjoncturelles », il sera possible, moyennant la promesse de préserver ou développer l'emploi, d'imposer au salarié une modification de son contrat de travail (par exemple une augmentation du temps de travail sans contrepartie). En cas de refus de celui-ci, il sera licencié sans mise en oeuvre d'un licenciement pour motif économique et sans aucune possibilité de contestation.
En tout état de cause, l'intérêt de contester son licenciement est dans bien des cas privé d'intérêt, le projet de loi réintroduisant la barémisation des indemnités en cas de condamnation pour licenciement abusif. Censuré de la loi Macron par le Conseil constitutionnel, au motif d'inégalité entre salariés des petites et grandes entreprises, le projet harmonise le barème, quelle que soit la taille de l'entreprise, par le bas ! Non seulement il n'y a plus de plancher, mais en dessous de 5 ans d'ancienneté, le plancher devient le plafond. L'employeur pourra donc délibérément licencier un salarié sans motif, en provisionnant, avec un risque financier très limité et parfaitement contrôlé, le rôle du juge étant réduit, sans possibilité pour lui d'apprécier la réalité du préjudice subi par le salarié. Or, le préjudice ne se limite pas à l'ancienneté dans l'entreprise, mais aussi à la précarisation, à la violence du licenciement, aux conséquences sur la vie privée, sur le logement…
A travers les nouvelles règles proposées concernant les expertises, la mise du CHSCT sous tutelle du comité d'entreprise est encore renforcée.
Au chapitre des nouvelles technologies, la nouvelle priorité du Gouvernement est la promotion des plateformes de type Uber. En lieu et place de l'amélioration des droits des travailleurs, le gouvernement leur interdit toute possibilité de faire reconnaître l'existence d'un contrat de travail.
Quant au compte personnel d'activité (CPA), il n'a, pour l'instant, que le mérite d'être prévu, mais ne crée pas de droits nouveaux. Sa règlementation et ses modalités d'utilisation demeurent très imprécises. Face à une régression de cette ampleur et à la dégressivité annoncée des allocations chômage, cette mesure fait figure de leurre destiné à travestir une attaque sans précédent contre les salariés, en avancée sociale.
Le gouvernement tente le coup-double en déformant la notion de flexi-sécurité : flexibiliser le travail et sécuriser les employeurs… Sans simplifier le Code du travail ni sécuriser les salariés ! En guise de sécurisation, les salariés se trouvent confrontés à la précarisation de leur emploi et de leurs conditions de travail, à la complexité des règles appliquées et à une socle commun favorable du droit du travail qui se délite.
Le 4 novembre 2015, le Premier ministre annonçait : « C'est dans la continuité́ des grandes conquêtes sociales qui ont marqué notre pays que s'inscrira le projet de loi qui sera présenté́ au premier trimestre 2016. C'est là toute l'ambition du gouvernement, en faveur du progrès social, pour un modèle renouvelé́, en phase avec les grands défis de demain ». C'est exactement le contraire. Ce projet de loi est en rupture totale avec les grandes conquêtes sociales et remet en cause la finalité même du Code du travail : protéger les salariés, du fait de l'inégalité intrinsèque entre les parties au contrat.
Communiqué du Syndicat des Avocats de France
Paris, le 17 février 2016