Monsieur le Président,
La situation en Turquie, après la tentative de coup d'Etat et la répression à une échelle sans précédent qui a suivi et se poursuit ne peut que provoquer colère, indignation et inquiétude.
En qualité de syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes), nous sommes aux côtés de nos collègues turcs et kurdes qui subissent encore plus que précédemment, les foudres du régime de l'AKP et du chef de l'Etat, Recep Tayyip Erdogan.
La mainmise du pouvoir sur les médias, les arrestations et poursuites de journalistes, les fermetures de titres, le blocus des sites et des réseaux sociaux transforment ce pays en un no man's land pour la liberté d'informer, pour la libre expression.
Il y a peu, nous avions qualifié ce pays de « plus grande prison de journalistes au monde ». Cela reste malheureusement le cas aujourd'hui, avec au moins une quarantaine de détenus. Et cela va empirer avec l’Etat d'urgence annoncé et le possible rétablissement de la peine de mort. Sans oublier la sanglante répression qui s'abat sur le peuple kurde.
Nous vous sollicitions, M. le Président, afin que la France élève fortement sa voix pour mettre un terme à la chasse aux journalistes, pour rétablir la liberté d'informer et les autres libertés démocratiques. Nous vous transmettons ci-après une déclaration de nos confrères et consœurs du pays du grand poète Nazim Ikmet.
Avec la Fédération internationale et européenne des journalistes, nous soutenons la campagne "Je suis journaliste #Bengazeteciyim'' lancée par des journalistes et des défenseurs de la liberté de la presse turcs. Voici ce qu'ils nous disent.
Je suis journaliste !
Le journalisme n’est pas un crime !
En Turquie, la pression sur les médias s’intensifie de jour en jour.
Ceux qui défendent la liberté de la presse et font leur travail en payent « le prix fort ».
Les journalistes qui couvrent les zones de conflit sont soumis à des menaces constantes. Ils sont victimes de harcèlement et leur vie est en danger.
Les journalistes, éditeurs et auteurs font l’objet de procédures judiciaires et sont poursuivis pour diffamation. Nombre d’entre eux sont détenus dans l’attente de leur procès accusés pour le contenu de leurs écrits et leur diffusion sur les réseaux sociaux.
Les journalistes sont considérés comme des ennemis et des traîtres et font l’objet de poursuites pour espionnage ou pour « diffusion de propagande d’organisations terroristes ».
Les journalistes étrangers qui travaillent en Turquie sont visés par les mêmes accusations. Le journalisme a été attaqué en différentes périodes de l’histoire de la Turquie, mais les journalistes étrangers n’ont jamais été ciblés à une telle échelle.
Les journalistes travaillant pour les grands médias doivent faire face à des conditions de travail telles qu’ils ne sont plus en mesure d’accomplir leur métier correctement. Ils peuvent, de plus, être licenciés facilement s’ils mettent en cause la ligne officielle du gouvernement.
La censure est la norme et les voix critiques sont constamment stigmatisées.
La censure imposée aux médias limite la divulgation de faits. Les médias qui passent outre ces interdictions sont qualifiés de traîtres et même de terroristes et sont présentés comme des criminels. Les groupes de presse indépendants sont en permanence menacés de fermeture.
Les différents secteurs de la société civile qui se montrent solidaires des journalistes pour défendre la liberté de la presse comme le droit à l’information deviennent à leur tour la cible de la justice et de poursuites.
En dépit de ces pressions, des dizaines de journalistes se sont rendus à Diyarbakir depuis Istanbul, Ankara et Izmir cette année pour apporter leur solidarité à leurs confrères travaillant sous une énorme pression dans ces zones de conflit. Ils manifestent ensemble devant des prisons, les tribunaux et les rédactions.
Défendre la liberté de la presse, c’est aussi défendre le droit des citoyens à l’accès à l’information.
Il n’existe pas de démocratie dans une société où le droit à l’information est restreint.
Dans ces conditions, nous journalistes, nous nous engageons à faire tout notre possible pour être la voix de celles et de ceux qui sont muselés, marginalisés, emprisonnés pour avoir soutenu la liberté de la presse, pour avoir défendu le libre accès de tous à l’information ou tout simplement pour avoir exercé son métier.
Nous sommes des journalistes et nous clamons :
Le journalisme n’est pas un crime
Nous vous adressons, Monsieur le Président, nos plus sincères salutations.
Paris, le 22/07/2016
SNJ, SNJ-CGT, CFDT Journalistes