La France est placée sous le régime de l’état d’urgence pour la quatrième fois depuis le 26 novembre 2015 et cette prolongation est prévue pour une durée de 6 mois.
Pour la quatrième fois, donc, la France déroge à la Convention européenne des Droits de l’Homme en invoquant son article 15 (« En cas de guerre ou en cas d’un autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international. »)
Quoi qu’en dise le président de la République et le Premier ministre, la France n’est pas en guerre et la vie de la nation n’est pas menacée. Mais, à dessein, le vocabulaire guerrier est ressassé pour justifier une grave atteinte aux libertés fondamentales.
Aujourd’hui, après 9 mois d’état d’urgence et avant une prolongation de 6 mois, on peut en mesurer les effets sur le traitement de l’information et le travail des journalistes.
Nul acte de censure n’a, certes, été à déplorer en France, mais les effets de l’état d’urgence et de la communication gouvernementale sont plus sophistiqués et donc, plus sournois à identifier.
En premier lieu, on remarquera que l’exécutif a profité du climat ambiant pour « raboter » le dispositif de protection des sources des journalistes lors de l’examen de la loi Bloche à l’Assemblée nationale. Les journalistes qui enquêtent sur l’islamisme radical et sur le terrorisme ne sont plus à l’abri de perquisitions administratives, même sous les prétextes les plus fallacieux.
Ensuite, la prolongation de l’état d’urgence s’accompagne de déclarations guerrières du Président de la République et du Premier ministre, reprises par de très nombreux élus, de gauche comme de droite. Cette posture vise à attiser les peurs, à plonger de façon durable la France dans un climat anxiogène, à maintenir le pays dans une ère du soupçon généralisé.
Aujourd’hui, alors que se déversent dans l’opinion les arguments les plus irrationnels, comment traiter sereinement de la lutte contre le terrorisme dans les médias ?
Quand le soupçon généralisé fait de tous les musulmans et, par extension, de tous les immigrés des terroristes en puissance, comment enquêter sur le mal-vivre des cités où résident beaucoup de ces citoyens de « seconde zone » ?
Cet état de peur que le pouvoir tente d’inoculer à toute la population française permet de parler du chômage endémique, de la précarité, de la lutte contre le pouvoir sans frontières des multinationales. Les Français sont invités à brader leurs libertés contre la promesse illusoire d’une sécurité que le pouvoir est bien incapable de garantir, puisqu’il est prouvé que l’état d’urgence n’est pas et ne sera pas le remède au terrorisme.
Décidément, la liberté est en péril et les journalistes sont en première ligne pour subir les effets collatéraux de l’état d’urgence; mais, au bout du compte, ce sont les citoyens qui, plongés dans un climat délétère, seront privés des nécessaires paroles alternatives pour se forger une opinion par eux-mêmes.
La prolongation de l’état d’urgence instaure un climat propice au développement d’un état sécuritaire, sinon autoritaire. Les surenchères dans la perspective de l’élection présidentielle ne sont pas pour rassurer les démocrates.
L’heure est à la mobilisation de toutes les intelligences et de la raison pour combattre cette dérive d’un Etat, incapable d’assurer réellement la sécurité des Français.
Montreuil, le 26/07/2016