[Italie] Arrêt total, négociation sociale

Entretien avec Salvatore Marra Chargé du secteur international de la Confédération générale italienne du travail (Cgil).

Dans les premiers jours de mars, l’Italie a décrété un arrêt total de son activité économique. Le responsable du secteur international de la Cgil revient sur le processus qui a suivi cette décision drastique, sur les problèmes qu’elle a soulevés, sur le rôle qu’y ont joué les organisations syndicales. Il appelle l’Union européenne à prendre la mesure d’une crise qui pourrait, faute d’un sursaut de solidarité, accélérer un processus de délitement fatal.

L’interruption de l’activité des entreprises a suivi des étapes. Tout ne s’est pas arrêté d’un coup. Le 9 mars, le président a annoncé la décision d’arrêt pour l’Italie tout entière, exception faite des secteurs essentiels. Mais la définition de cet essentiel était loin d’être claire. Nombre de secteurs ont continué à travailler alors que leur activité était, à nos yeux, loin d’être indispensable. Pour ne prendre qu’un exemple, nos usines d’armement continuaient à travailler comme si de rien n’était.

Dès le début de l’épidémie, notre principal souci a été de faire prévaloir la santé et le bien-être des travailleurs. Préserver l’économie également, cela va sans dire, mais dans cet ordre de priorité. Dans les jours qui ont suivi l’arrêt, les responsables syndicaux nous ont fait remonter du terrain un nombre impressionnant de problèmes de santé et de sécurité posés dans les entreprises qui continuaient de travailler : absence de respect de la distanciation sociale, pas de masques, pas de dispositif de sécurité à disposition des travailleurs, pas de gel, pas de procédure de contrôle des fournisseurs…

Dans ce contexte, nous avons menacé d’en appeler à la grève si les conditions de travail n’étaient pas sécurisées à bonne échelle. Cela a conduit à un premier résultat, sous la forme d’un accord passé entre le gouvernement et les partenaires sociaux sur le respect des protocoles de santé sur le lieu de travail. Ce premier pas a été suivi d’un second puisque nous avons entamé une négociation avec le gouvernement sur la liste des activités qualifiées d’indispensables, en précisant les entreprises qui à nos yeux pouvaient rester ouvertes, avec une marge d’appréciation laissée aux préfectures, au niveau local, sur dérogation. Cette négociation a force de loi, avec un volet répressif : en cas de non-respect par les employeurs, les travailleurs ou les citoyens peuvent saisir la force publique ou la justice.

Pour les privés d’emploi, plusieurs mesures doivent assurer leur couverture sociale, en mobilisant l’assurance chômage partiel, prévue pour des situations exceptionnelles. Toute entreprise, même une microentreprise, peut faire valoir ce droit pour ses travailleurs, à hauteur de 70 % du salaire. Une prime spécifique a été mise sur pied pour les travailleurs indépendants, versée par l’État. Décision a été prise d’interdire tout licenciement économique durant une période de soixante jours.

C’est une mesure très courageuse, que peu de gouvernements ont osé prendre. D’autres mesures ont été adoptées autour du temps de travail – très perturbé par des mesures de protection, comme par exemple la mise en quarantaine – et, enfin, une prime de risque a été créée pour toutes celles et ceux qui sont contraints d’aller travailler.

Aujourd’hui, notre préoccupation va au-delà de nos frontières. Face à une pandémie, il est essentiel de penser collectif et de mettre en œuvre des mesures de solidarité au niveau européen. Les premières mesures qui ont été prises sont loin d’être satisfaisantes à cet égard. Elles mobilisaient peu d’argent et ne témoignaient d’aucune empathie vis-à-vis des pays les plus touchés. L’Union doit se reprendre, car sinon, le séisme de la pandémie risque de lui être fatal.

Il faut revoir de façon radicale le cadre financier pluriannuel pour l’orienter vers la défense des travailleurs et la promotion des services publics, qui s’avèrent plus que jamais décisifs. Il faut rompre avec les politiques d’austérité et leur cortège de restrictions budgétaires, dont le caractère toxique éclate aujourd’hui au grand jour. Les dommages faits à la santé, à l’éducation, aux services publics sont le fruit amer de ces politiques. L’Europe doit enfin repenser ses politiques budgétaires, fiscales et économiques loin des fondamentaux du néolibéralisme.

Il s’agit de réorganiser autour d’autres priorités, singulièrement le bien-être et l’épanouissement des individus dans des sociétés valorisant les mécanismes de solidarité.

Propos recueillis par Louis SALLAY

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