[Services financiers] Les uns télétravaillent, les autres pas.

À travail désorganisé, droits et garanties collectives éclatés ? Dans le secteur des banques et assurances, les militants se démènent pour déjouer cette stratégie.

Que peut le syndicalisme quand les collectifs de travail explosent ? Le 9 avril, un sondage Odoxa-Adviso Partners a tenté une approximation de l’organisation des temps de travail à l’heure du coronavirus. À ce moment-là, plus d’un Français sur deux travaillait encore : 25 % continuaient à se rendre sur leur lieu de travail, le quart restant étaient en télétravail, alternant parfois cette modalité avec un emploi sur site. Pour l’autre moitié, la situation n’était pas plus simple : certains étaient en chômage partiel, certains en congé maladie, en congé pour garde d’enfants ou dispensés de travail. Du jamais-vu. Dans l’urgence, les représentants du personnel se sont attachés à l’essentiel. Bien sûr, prévenir les licenciements et obtenir des certitudes quant à la garantie de la rémunération de tous les salariés. Mais aussi et surtout, assurer la protection des personnels restés sur leurs lieux de travail et, bien sûr, faire respecter le droit de retrait chaque fois que l’obligation des employeurs à garantir la santé des salariés n’était pas assurée, le nécessaire d’hygiène ou les règles de distanciation n’étaient pas possibles à organiser.

Aux militants, il a fallu aussi défendre le droit élémentaire à la santé des personnels en télétravail. L’impératif a fait moins de bruit. Il s’est pourtant imposé comme une évidence. Si beaucoup d’établissements disposaient, avant la crise, d’accords encadrant les conditions de travail des personnels volontaires pour un ou deux jours par semaine de travail à domicile, ces textes n’ont pu suffire à répondre au défi soulevé par l’entrée de tout un pays dans le confinement.

Soutien psychologique

Cette fois, le télétravail n’est pas optionnel mais obligatoire pour des centaines de milliers de salariés, la quasi-totalité des personnels administratifs tout particulièrement, sans qu’aucun accompagnement n’ait été pensé en amont. « D’un coup, des personnes qui n’avaient jamais travaillé chez elles ont été sommées d’organiser leur temps et leur espace personnel pour y parvenir », rappelle Olivier Bebin, délégué syndical Cgt à la Gmf et secrétaire général adjoint de la fédération Cgt Banques-Assurances (Fspba-Cgt). Il a fallu aider à obtenir des conditions de travail acceptables quand les moyens techniques ne suivaient pas, que l’équipement était inadapté, quand les enfants demandaient trop d’attention ou que le moral déclinait. Chez Lcl, rapporte Magali Hieron-Ekuka, membre de la Ce de l’Ugict-Cgt, la direction a pensé trouver une solution en proposant, en plus de la création d’un service de télémédecine, les services d’une toute nouvelle cellule d’aide psychologique.

La Fspba-Cgt ne s’y est pas opposée. Mais sa position a été claire : la protection des salariés confinés ne peut se résumer à des solutions individuelles. Elle impose de faire respecter tous les droits et garanties collectives existants. La première négociation pour laquelle elle a bataillé est celle qui aurait permis de définir ce qu’est une activité « essentielle » dans le secteur des banques-assurances pour, ainsi, « limiter l’exposition des personnels et organiser, chaque fois que possible, des roulements », explique Pierre Pluquin, secrétaire du syndicat Cgt de la Caisse d’épargne Île-de-France. D’autres thèmes auraient mérité d’être précisés collectivement dans des accords sur le travail en temps de confinement, comme un cadre horaire respectueux de la santé et de la vie privée en cas de télé­travail, ou la pertinence du maintien des objectifs. « Nous voulions que ceux-ci soient levés. C’était là la seule manière d’espérer contenir le stress et d’éviter que des personnels ne soient pas poussés à se perdre dans des exigences commerciales, comme celle réclamant d’eux qu’ils se surpassent pour vendre des assurances “obsèques” », témoigne Valérie Lefebvre-Haussmann, secrétaire générale de la fédération.

L’accord du 8 avril chez Psa demande aux cadres de céder deux jours de congé, et aux autres une journée au nom de la solidarité destinée à garantir une rémunération nette à 100 % de tous les salariés en chômage partiel.

Effets d’aubaine

Pas plus que d’accords de branche dans le secteur, il n’y a eu d’accords d’entreprise sur ces thèmes. Le 19 mars, sur son site, la Fédération bancaire française (Fbf) était plus préoccupée de faire connaître les « gestes barrières » contre… les virus informatiques, que d’encourager ses entreprises adhérentes à accompagner les salariés face au coronavirus. Et depuis, rien n’a changé. Aucun élément de communication ne laisse apparaître un changement de stratégie. La mise en œuvre de l’ordonnance du 25 mars sur la gestion des congés pendant la crise sanitaire pourrait changer la donne. La métallurgie a ouvert le bal et, dans ce cadre, l’accord signé le 8 avril chez Psa fait craindre le pire. Là-bas, sous prétexte de financer un « fonds de solidarité » destiné à garantir une rémunération nette à 100 % de tous les salariés en chômage partiel, il a été demandé aux cadres de céder deux jours de congé, et aux autres une journée…

Demain, dans le secteur financier, les employeurs joueront-ils, eux aussi, de l’opposition possible entre les employés et les cadres, les salariés confinés contre ceux ayant été en poste pendant la pandémie ? Valérie Lefebvre-Haussmann le craint, redoutant que, lors de l’attribution des primes variables l’an prochain, les directions ravivent les tensions. « Jouer la division pour imposer ses vues est une vieille stratégie », rappelle Magali Hieron-Ekuka. Une méthode que les directions pourraient utiliser dans les semaines qui viennent pour pérenniser les organisations mises en place pendant le confinement : fermer ici des agences, supprimer là des postes de travail et développer ailleurs le télétravail. Pierre Pluquin ne cache pas craindre pour l’avenir des emplois qu’occupaient 70 salariés que son entreprise a dispensés de travail tout au long du confinement…

Ces dernières semaines, convaincus qu’un des meilleurs antidotes était de maintenir le lien avec tous les salariés afin de les tenir informés de la situation, quel que soit leur statut, les syndicalistes n’ont eu de cesse de réclamer aux directions des moyens pour communiquer avec tous les personnels. S’ils n’y sont pas toujours parvenus, ils en ont désigné l’enjeu. Que sera demain ? Tous ont au moins une certitude : la priorité sera de défendre les solidarités. Et, pourquoi pas, de s’atteler très vite aux termes possibles d’accords pour confirmer – si ce n’est renforcer – les droits et garanties collectives en temps de confinement.

Martine Hassoun

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