[Sociétés d’études] Entre débrouille et marche forcée

Au sein des sociétés d’études comme ailleurs, le télétravail n’est plus une option mais la règle pour tous les postes qui le permettent. Chez Alten Sir (Systèmes d’information et réseaux, 1 000 salariés), en région parisienne, le bouleversement est à la fois brutal et radical : « Ignorant la demande des salariés, la direction s’est toujours refusé à négocier un accord collectif. Le télétravail était donc, au moment du confinement, une pratique extrêmement minoritaire, une sorte de zone grise déployée en dehors de tout cadre formalisé », explique Hervé Sicart, délégué syndical Cgt. Seules les grèves de décembre contre le projet des retraites ont fait – un peu – bouger la direction : c’est contrainte qu’elle a fini par accepter une « dose » de télétravail comme réponse aux difficultés de transport, « au bon vouloir des managers et au cas par cas », précise la Cgt de l’entreprise. Quelques dizaines de salariés à peine ont ainsi pu télétravailler, de manière exceptionnelle.

Voilà donc Alten Sir au pied du mur, sans préparation. « Faute de culture dans ce domaine, la gestion de crise a été improvisée et nous n’avons, deux semaines après le début du confinement, aucune vision d’ensemble de l’ampleur du télé­travail et des conditions réelles de son déploiement », souligne Hervé Sicart. Il faut aller chercher les informations. La tâche des délégués syndicaux – qui sont eux-mêmes, pour certains, des télétravailleurs confinés – n’est pas simple : « Les premiers retours font toutefois état d’un déploiement hétérogène, client par client. Une pression s’exerce sur les salariés pour qu’ils s’adaptent à une situation totalement imprévue, avec la crainte d’une perte de missions », explique-t-il. En repoussant un Cse exceptionnel de quelques jours, la direction a en outre remis à plus les tard la publication des informations demandées par les syndicats : combien de salariés et quels postes sont concernés ? Chez quels clients ? Mais aussi : avec quels outils et quelle sécurité ?

Ce sont en partie des questions qui se posent aussi chez Accenture (5 000 salariés), du fait de la structure même de l’entreprise : l’équivalent d’une myriade de Pme où « beaucoup dépend de la bonne volonté du client », souligne Nayla Glaise, déléguée syndicale centrale Cgt. Mais la culture du télétravail, encadrée par un accord collectif signé par les syndicats Cfe-Cgc, Cfdt, Cftc et Cgt, est présente depuis une dizaine d’années. Seule une vingtaine de salariés ne télétravaille pas en cette période de confinement. La situation est plus incertaine pour ceux qui se trouvent « en inter-contrats », c’est-à-dire entre deux missions, et à qui la direction entend imposer une « suspension » du contrat de travail. Ils seraient près de 400 dans ce cas.

Des tensions au sein des équipes

L’accord n’est pas, pour autant, une garantie d’égalité de conditions entre salariés : partis dans l’urgence, ceux qui n’ont pas signé l’avenant à leur contrat de travail – une majorité au début du confinement – ne bénéficient pas de ses conditions et avantages. Ils sont notamment privés du matériel mis à disposition ou des aides financières (accès au réseau, dépenses d’électricité…). « Beaucoup n’ont ainsi ni les équipements ni l’espace adéquats et témoignent de mauvaises conditions de télétravail », des conditions d’autant plus précaires qu’il faut aussi « faire l’école aux enfants ». Déjà, certains professionnels et équipes ne parviennent pas à se coordonner et on voit poindre « des tensions liées à la frustration de ne pas pouvoir exécuter correctement son travail », souligne Nayla Glaise.

C’est ce que la stratégie de la direction a été… d’en rester au statu quo en refusant, au début du confinement, de répondre positivement aux garanties demandées par les syndicats pour accompagner le déploiement du télétravail. Et de préférer ouvrir, dès le 9 avril, des négociations sur les congés payés ou d’imposer des jours de Rtt comme l’autorisent les ordonnances « travail » de l’état d’urgence sanitaire. Visiblement peu préoccupés par les conditions du télétravail, les employeurs de la branche ont d’ailleurs ouvert la voie en proposant¸ en réunion extraordinaire de commission paritaire, leur propre projet d’accord sur les congés, assorti de la mise en place d’une « cellule psychologique »…

Chez Alten Sir, la direction continue de temporiser et fait d’une information-consultation sur le chômage partiel l’ordre du jour quasi exclusif du Cse extraordinaire. Ce n’est que partie remise, assure pourtant Hervé Sicart qui veut tirer les enseignements de cette expérimentation du télétravail à grande échelle : « À la sortie de cette grave crise, notre rôle sera de contraindre l’entreprise à faire autrement. Il nous faudra un certain temps avant d’avoir le retour des salariés, client par client, pour faire un état des lieux sérieux sur ce qui a ou non fonctionné et alimenter notre réflexion. Mais ce travail nous donnera du poids dans la future négociation d’un accord collectif qui finira par s’imposer, en dépit de l’hostilité que la direction a toujours affichée. »

Christine LABBE

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