[Travail] L’activité au mépris de la santé

Sur fond de pressions exercées sur les inspecteurs du travail, le cas des plateformes logistiques d’Amazon est loin d’être isolé. Au moins vingt-cinq mises en demeure ont été adressées à des entreprises qui n’assurent pas leur obligation de protection de la santé des salariés.

Mise en demeure de l’Inspection du travail, plainte pour mise en danger de la vie d’autrui, référé concernant le droit de retrait, décision du Tgi de Nanterre… La pression exercée sur Amazon France aura été constante ces dernières semaines pour que le géant américain prenne enfin la décision de stopper – temporairement – l’activité de ses plateformes logistiques. Mais si la direction, dans un communiqué, fait état de sa « perplexité », elle n’avait plus vraiment le choix : le 14 avril, le tribunal de Nanterre a constaté que la société a, « de façon évidente, méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés » et lui enjoint de « restreindre son activité aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux ».

Combien sont-elles dans ce cas ? Au moins vingt-cinq mises en demeure auraient été adressées à des entreprises qui n’assurent pas leur obligation de protection de la santé des salariés. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, alors que l’impératif d’activité l’emporte souvent sur la prévention des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid‑19. Depuis le début de la crise sanitaire, les inspecteurs du travail alertent sur des situations mettant en danger la santé et la vie des salariés qui continuent de travailler. Mais les pressions sont fortes pour les dissuader de poursuivre leur mission de contrôle, comme le démontre notamment la mise à pied, dans le département de la Marne, d’un inspecteur du travail qui tentait de faire appliquer le droit. Dans un communiqué, les inspecteurs du travail Cgt dénoncent une mesure grave qui « participe d’une offensive généralisée contre les droits des salariés au prétexte de l’urgence sanitaire » et demandent l’abandon de toute procédure disciplinaire. L’intersyndicale Cgt, Sud, Fsu et Cnt devait, à l’heure où nous écrivons, saisir l’Organisation internationale du travail pour violation de sa convention 81, dans un contexte où, par ailleurs, « aucune politique d’approvisionnement rapide en masques de protection des agents [eux-mêmes] n’est mise en œuvre ».

Des intérimaires particulièrement exposés

Le combat est âpre et permanent, comme le montre un autre cas, celui du centre de tri de FedEx à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Le syndicat Cgt n’a cessé d’y dénoncer les conditions de travail des quelque 2 500 salariés et 500 intérimaires, alertant l’Inspection du travail qui, à son tour, mettait en demeure la société de fournir un matériel de protection individuelle à chaque salarié et de désinfecter les locaux. Là aussi, l’action a fini par payer avec la mise en demeure adressée cette fois-ci par la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) d’Île-de-France pour que la société mette en place, sur le site, des mesures de protection des salariés.

Le cas FedEx met aussi en évidence la situation des intérimaires, particulièrement exposés, dont les entreprises doivent elles aussi assurer leurs responsabilités. Alors que les intérimaires présents sur le « hub » de Roissy déplorent un décès dans leurs rangs et plusieurs dizaines de malades du Covid, les syndicats Cgt de Manpower, Adecco, Crit, Randstad et Start People ont décidé d’un droit d’alerte en situation de danger grave et imminent, demandant l’arrêt des détachements en mission sur le site. À la suite de la mise en demeure de la Direccte, plusieurs d’entre elles avaient décidé de suspendre leur collaboration avec FedEx.

Conditions pour une reprise du travail

De son côté, le gouvernement préfère communiquer sur la publication de guides de « bonnes pratiques », par secteurs ou par métiers, une quinzaine au total – surveillance et sécurité, aide à domicile, banque et assurances… Élaborés pour les premiers à la fin du mois de mars, ils complètent les dispositions générales du Code du travail relatives aux obligations des employeurs en matière de sécurité et de santé des salariés. Dans une note, le secteur Droits, libertés et actions juridiques (Dlaj) de Cgt met en garde contre une utilisation de ces guides exonérant en réalité les employeurs de leurs responsabilités au motif qu’ils auraient suivi les recommandations décrites. Des recommandations qui, en outre, ne peuvent tenir lieu de politique exclusive pour faire de la santé des salariés une réelle priorité.

« Le gouvernement devrait, a minima, lancer une vaste campagne de contrôle de toutes les entreprises et services en fonctionnement, et appliquer la tolérance zéro à l’encontre des employeurs qui ne respectent pas les règles », explique ainsi la Cgt. La confédération pose deux autres exigences : d’une part la mise à disposition de moyens inédits pour les agents effectuant des contrôles, les médecins du travail ou les services de santé au travail ; d’autre part l’avis obligatoire du médecin du travail et la systématisation des dépistages pour toute reprise progressive du travail. Quelques jours après le référé du tribunal judiciaire de Nanterre, la vigilance continuait ainsi de s’imposer du côté d’Amazon France où, si la santé de milliers de salariés et intérimaires était temporairement protégée, la direction annonçait faire appel de cette décision.

Christine LABBE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *