Amendes, dispersions… Pour le bien des manifestants

 

Cette bienveillance médico-policière s’exerce sur la terre comme au ciel. Une terre où les bienveillants surveillants ont fort à faire pour le bien des surveillés moins veillants, sans parler des malveillants. On le sait : la pandémie n’a pas suspendu les petites misères qui avaient antériorité sur elle, pas plus qu’elle n’a asséché le marché des urgences et des souffrances. Contrairement au baobab, dont on affirme que son ombre empêche toute pousse, elle a au contraire multiplié les mauvaises herbes. Le travail est devenu plus difficile ; les enfants, une charge plus lourde ; l’intimité s’est parfois chargée d’une promiscuité à terme invivable ; sans parler des inégalités et autres injustices patentes, voire de violences policières.

 

Un bon nombre de personnes éprouvent ce besoin d’avant-Covid de manifester dans la rue. Tout le monde n’a pas un balcon à portée de main et beaucoup craignent de voir, à terme, l’espace public se rabougrir à sa propre lucarne. Quelques modestes fenêtres ont d’ailleurs reçu des visites domiciliaires d’uniformes dont l’objet était d’obtenir le décrochage, immédiatement tout de suite, de tout tissu portant slogan, mot d’ordre ou opinion. Il en allait du bien des passants. Le bien ne se divisant pas, beaucoup de ces passants, qui avaient décidé de passer ensemble pour dire leur refus de passer à autre chose, ont eu droit aux mêmes injonctions version bottes et casques. Troublantes fenêtres, trouble-fêtes, même danger, même médecine ! Ce sont des cégétistes marseillais verbalisés pour défilé motorisé ; des gilets jaunes empêchés de se rassembler à Toulouse et ailleurs. Pour leur bien et le nôtre. C’est une chaîne humaine convoquée en Seine-Saint-Denis qui se voit interdite et « nassée », bien qu’elle ait été pensée et organisée dans les canons de la distanciation physique. C’est, dans l’entreprise, le syndicat qu’on assigne à la place du mort, où il est contraint d’obéir aux règles des autres. Tout cela se fait avec un tel naturel qu’on en oublierait presque qu’il s’agit d’un droit fondamental. Mais, comme le chantait Nougaro, cela se fait, poing final.

Pierre Tartakowsky