Encadrement ➾ SNCF, un déconfinement sous tension

 

Fortement sollicités pour organiser le retour à la production, les cadres opérationnels se heurtent à des directives souvent confuses, contradictoires ou inapplicables.

En ce 11 mai, parler de « reprise du travail » à la Sncf ne reflète pas totalement la réalité du « déconfinement ». Depuis le début de la crise sanitaire, des cheminots n’ont en effet jamais cessé le travail afin d’assurer les besoins essentiels de la population, du réseau et de la sécurité, avec une moyenne de 3 000 trains quotidiens. Parfois au prix de leur santé : au moins 1 000 d’entre eux avaient, avant le 11 mai, contracté le virus avec un taux de prévalence huit fois plus important que dans le reste de la population, selon la Cgt. Alors que l’objectif est d’atteindre 100 % de l’offre de trains régionaux début juin, c’est dire si la montée en charge progressive des moyens de transport publics, en particulier du quotidien, est vécue avec inquiétude. La fédération Cgt des Cheminots parle même de «  colère grandissante » pour décrire l’état d’esprit de salariés « sommés de relancer la machine dans des conditions souvent hasardeuses ».

 

La priorité syndicale est donc de s’assurer d’une « reprise » dans des conditions maximales de protection. Logiquement, l’organisation de ce retour à la production sollicite fortement l’encadrement de proximité qui, responsable de la sécurité ferroviaire comme des collectifs qui lui sont subordonnés, doit désormais veiller à la stricte application des gestes barrières et des mesures sanitaires. Or les conditions de travail développées durant le confinement ne rassurent pas avec, décrivent les militants, des informations imprécises, un isolement conduisant, dans certains cas, à une marge d’interprétation individuelle et à un manque de moyens, notamment sanitaires. Chef circulation et secrétaire général de l’Union fédérale des cadres et maîtrise (Ufcm) de Toulouse, Jérôme Monamy témoigne ainsi de managers « souvent privés de boussole, obligés de faire des choix qui ne dépendent pas d’eux, comme le port de masques ou la mise en place de Plexiglas de protection ».

 

« Nous ne sommes ni médecins, ni virologues. Il faut établir des règles sûres et applicables »,

explique Jean-François Laguide, secrétaire général adjoint de l’Ufcm-Cgt. Mais aussi des règles homogènes et identiques pour tous, la crise sanitaire ayant mis en lumière les incohérences issues du découpage de la Sncf entre différentes activités et sociétés anonymes (Sncf Réseau, Sncf Voyageurs…). Temps perdu entre les décisions centrales et leur application sur le terrain, incompréhensions…

 

« L’éclatement de l’entreprise a encouragé la confusion sur les lieux de décisions et l’apparition d’interprétations divergentes des textes »,

note la fédération Cgt des Cheminots. Sur le site toulousain par exemple, les mesures de protection prises pour les salariés en open spaces diffèrent selon les sociétés, certains portant des masques, d’autres non.

 

Organisées en amont de la reprise d’activité, les tables rondes par métiers ont en grande partie confirmé ce constat, avec une résistance à toute forme de pilotage transversal :

« Chacun déroule son plan de reprise en veillant à ce que le produit de sortie se limite à de vagues recommandations ­laissées à une libre adaptation. »

 

Pas de responsabilités sans moyens

 

Cette analyse a conduit la Cgt à demander la désignation d’un coordinateur unique par bassin d’emploi ferroviaire, proche du terrain et compétent pour prendre les décisions s’appliquant à toutes les sociétés et activités : une organisation qu’il s’agirait de pérenniser au-delà de la crise. Pour parvenir à une « reprise ordonnée et raisonnée », elle a également produit des fiches pour tous les métiers et fait un ensemble de propositions pour adapter la production et les gestes « métiers » aux mesures sanitaires. À condition, d’ailleurs, de pouvoir se procurer des masques ou du gel hydroalcoolique, ce qui, comme les dirigeants de proximité ont pu le constater, ne relève pas de l’évidence. Sur le terrain, certains managers s’interrogent, comme l’explique Jérôme Monamy :

« Confrontés à des directives difficilement lisibles, ils s’inquiètent auprès de nous de leur responsabilité sociale, voire pénale, en cas de contamination d’un membre de leur équipe. »

 

« Si nous acceptons la responsabilité opérationnelle, nous n’accompagnerons pas la deuxième vague », prévient l’Ufcm. Cela suppose des moyens et des procédures adaptées à la crise :

« La rentabilité financière ne peut être l’objectif premier, souligne Jean-François Laguide. L’encadrement opérationnel est censé assurer simultanément la protection des salariés et la production, inévitablement impactée par des contraintes supplémentaires. Dans ce contexte, nous voulons l’alerter sur sa responsabilité, par délégation. Si le travail ne peut se faire en toute sécurité, chacun doit pouvoir faire valoir son droit de retrait. »

 

Les conditions de reprise appellent en effet à la plus grande vigilance : alors que la production s’opère déjà avec des effectifs en forte tension, le Pdg de la Sncf a récemment jugé qu’il était « illogique d’ajuster le niveau d’emploi au volume d’activité » et dit ne pas exclure des suppressions de postes.

 

Christine LABBE

 

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