Contribution de Charly Margalida, du bureau de l’IHS-UGICT, ancien responsable de l’UFICT métallurgie.
Une question primordiale loin d’être simple
L’articulation entre démocratie ouvrière et démocratie syndicale interroge selon moi les pratiques syndicales et les conditions de leur mise en œuvre.
L’après mai 1968 à la CGCT (1) a ouvert la voie à de nouvelles pratiques syndicales. Elles se sont imposées là où le nombre de syndiqués et d’élus CGT a permis de structurer l’organisation syndicale et son activité.
Cet ancrage existait bien avant l’ampleur du mouvement de grèves du printemps mais celui-ci lui a donné un nouveau souffle, plus de force, par la reconnaissance de l’organisation syndicale à l’entreprise.
Ces salariés étaient des ouvriers hautement qualifiés soit des Maîtres Ouvriers (MO) qui plus tard sont devenus des Techniciens d’Ateliers (TA). Ils ont obtenu par l’action revendicative au fil du temps et du rapport de force des grilles de salaires particulières à leur secteur et professions, dont les promotions, pour laquelle ils veillaient à ce que tout retard jugé anormal face l’objet d’une démarche collective massive auprès de la hiérarchie du secteur, voire auprès de la Direction.
Ils n’hésitaient pas à afficher leur fiche de paye à leur établi situé à proximité de leur machine. Le tabou qui entourait le salaire n’avait plus cours à l’atelier. Ce qui n’a pas été une mince affaire.
N’oublions pas que le salaire est placé aujourd’hui comme hier sous le sceau de la confidentialité et que la mise en concurrence des uns contre les autres se satisfait de cette condition qui est plus prégnante aujourd’hui qu’hier.
Certes la place de ces salariés dans la production, et ils en avaient conscience, faisait qu’en tant que producteur d’outil de production(fabrication de moule, d’outils de découpe, pièces de prototypes) leur contribution à la création de valeur ajoutée (VA) était incontestable. Mais parvenir à la faire reconnaître par le salaire n’a été possible qu’en réunissant les conditions de l’obtenir (nombre de syndiqués, d’élus et initiatives d’action inlassablement répétées).
Pour l’ensemble des salariés, de l’ouvrier spécialisé à l’ingénieur de l’entreprise, des enquêtes de salaires CGT ont été réalisées jusqu’à parvenir à en faire une, commune à tous les syndicats (CGT-CFDT-CGC- FO). C’est celle-ci qui a permis d’obtenir un nombre significatif de réponses. C’est aussi peu après qu’une manifestation tout aussi significative a sillonné les rues du XVe arrondissement de Paris aux cris de: « ITT peut payer ». La CGCT était filiale à 100 % de la multinationale américaine. A partir de ce moment là, la direction a communiqué régulièrement des statistiques salariales, du salaire minimum par niveau et échelon jusqu’au 9e décile (sans les salaires maximum). Le voile était levé sur la réalité des salaires pratiqués à la CGCT.
Mais le tabou sur le salaire a-t-il été levé pour autant ? Enquêtes comme statistiques salariales ont mis en évidence que les salaires maximum des Techniciens d’Ateliers étaient plus élevés que les salaires des techniciens d’autres disciplines (électronique ou électrotechnique) à niveau et échelon plus élevé.
Nous ne sommes pas parvenus à dépasser ce constat des disparités salariales entre niveau et échelons.
Les propositions pour faire progresser l’idée d’une grille unique de salaires de l’ouvrier spécialisé (OS) à l’ingénieur afin de corriger cette situation, tout en permettant une revalorisation des salaires et la reconnaissance des qualifications de tous, n’ont pas été portées par les salariés, plus particulièrement par les techniciens supérieurs et les ingénieurs dont le nombre de réponses aux enquêtes est resté insuffisant à l’exception de celles citées ci-dessus. Ne parlons pas des OS qui qualifiaient de« grille des seigneurs » celle des techniciens d’ateliers. La caractéristique des 2 catégories était un taux de syndicalisation bien plus bas surtout parmi les techniciens supérieurs. Comme quoi le volontarisme dont nous avons fait preuve dans nos constructions réitérées de grilles salariales y compris en partant de l’expérience d’un atelier et du concours des élus du secteur aux autres élus n’a pas suffit à créer la condition de l’unité du salariat.
Ce qu’il a été possible d’obtenir dans un secteur et une catégorie professionnelle n’a pas été possible pour l’ensemble de l’entreprise. Faut- il voir dans cet échec le besoin d’une structuration de l’activité syndicale avec des syndiqués en nombre suffisant et une activité dans et pour chaque catégorie professionnelle?
Non pas uniquement pour faire masse, le nombre étant une condition, mais comme une nécessité incontournable dans la construction revendicative. Permettre la participation du plus grand nombre, d’abord dans le syndicat puis parmi les salariés, à l’élaboration de l’objectif revendicatif (grille de salaire ou autres). Cette pratique permet d’être dans les meilleures conditions pour parvenir à obtenir satisfaction. Ce que les techniciens d’ateliers ont pu obtenir ne s’est évidemment pas fait en un jour.
L’après mai 68, ce fut aussi l’organisation de réunions de secteurs (ateliers, bureaux ou étages). Elles ont été programmées au début, en partie sur le temps de repas pour, petit à petit et en fonction du sujet et de l’intérêt suscité parmi les salariés, déborder sur le temps de travail. Cette pratique a préfiguré l’existence des futurs conseils d’ateliers ou de bureaux. Elle a bien devancé les lois Auroux qui, elles, ont prévu un quota annuel de temps de réunion sur le temps de travail, à la condition d’en faire état auprès de la hiérarchie du secteur et de pouvoir aborder tous les sujets, sauf les salaires. Nous avons été confrontés dans la même période dès le mois de septembre 1973 à la fermeture des robinets d’embauche dans les Unités de production, annoncée par la Direction. De nombreuses luttes ont marqué cette période avec la mise en perspective de la possible nationalisation de l’entreprise. Mais cela est une autre histoire.
(1) Compagnie Générale de Construction Téléphonique (filiale à 100 % du groupe américain ITT). Ella été nationalisée en juillet 1982 et reprivatisée en avril 1987. Elle est devenu Ericsson et est située à Massy, département de l’Essonne.
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