En 2018, nous fêterons les 50 ans de mai 68… Que reste-t-il de mai 68 ?
Quel est notre ressenti de cette lutte, 50 ans après ?
Lors des « 40 ans de mai 68 », j’avais témoigné pour « Empreinte » et pour le document réalisé par le collectif d’histoire sociale du Loiret qui avait été réalisé à cette occasion : « Mai 68, début d’une lutte prolongée dans le Loiret ». En mai 1968, J’allais avoir 22 ans, je travaillais depuis près de 4 ans dans le Labo du Centre de Recherche des Tabacs et Allumettes de la SEITA à Fleury les Aubrais près d’Orléans dans le Loiret, j’étais mariée et j’avais un enfant. Je concluais ma contribution pour « Empreinte » en 2008, en disant que « les acquis de mai 68 avait duré longtemps et que ce que j’en ressentais, c’est que la société patriarcale avait été bousculée, ébranlée ». Je le pense toujours. Si ce mouvement a mis longtemps à murir et à se concrétiser, je crois qu’il est en train d’aboutir.
A l’époque le mot « société patriarcale » n’existait pas encore, ni dans la société, ni dans la CGT ! La lutte de libération des femmes menée par « les féministes » (contre cette société patriarcale, qui ne disait pas encore son nom…) était interprétée par la CGT, comme la lutte contre les hommes. Les femmes subissent une double aliénation : celle du capitalisme et celle du patriarcat qui transcende la lutte des classes mais dont le capitalisme se sert pour asservir doublement les femmes et les maintenir dans une situation d’infériorité dans tous les domaines, principalement salaires et promotion, mais aussi domination masculine.
Je pense que cette incompréhension dans la CGT, a freiné le mouvement d’émancipation des femmes, qui au contraire aurait eu besoin d’être soutenu par la CGT. A-t-on vraiment eu, hier, comme aujourd’hui, la volonté, dans toutes les structures de la CGT, de promouvoir aux responsabilités, les femmes à égalité avec les hommes ? Qu’est devenue la « Charte d’égalité des hommes et des femmes dans la CGT » ? Où a-t-elle été discutée ? Dans quelles structures ? Quelle mise en œuvre ? Ce que la CGT n’a pas fait les féministes l’ont fait… La CGT a-t-elle vraiment mesuré ce que ce mouvement de lutte contre la société patriarcale avait de positif pour les femmes et pour les hommes ? Et pour la CGT ? Pour la CGT, seule la lutte des classes existait/comptait durant toutes ces années.
Cette parole des femmes qui se libère aujourd’hui et qui dénonce publiquement ce qu’elles enfouissaient au plus profond d’elles-mêmes avec honte, les violences sexuelles et le harcèlement sexuel, est de mon point de vue, dans le prolongement de ce mouvement. Maintenant qu’il est lancé, je pense (et j’espère !) qu’il ne s’arrêtera plus ! Les jeunes femmes étouffaient dans la société en 1968. Elles avaient des revendications économiques et sociales, mais elles voulaient avant tout l’égalité au travail, dans la vie et dans leur couple, disposer de leur corps. Elles voulaient aussi plus de liberté dans la vie, secouer l’aliénation millénaire qui les empêchait de vivre leur vie, de choisir leur vie et leur façon de vivre… Il a fallu tout ce temps pour que leur parole et leurs souffrances commencent à devenir audibles aujourd’hui !
En 1968, ce qui a été le moteur des luttes de la jeunesse, particulièrement des jeunes femmes, c’est le refus de la soumission. Pour en donner un exemple significatif de mon point de vue, c’est la lutte des jeunes filles de l’école normale d’institutrices d’Orléans. La directrice de l’école normale imposait un règlement extrêmement strict, une surveillance très dure, une discipline de fer pour ces jeunes élèves qui, pour beaucoup, venaient de la campagne et n’étaient pas habituées à vivre enfermées (emprisonnées !) et brimées de cette façon. Elles n’avaient pas non plus le droit d’accéder à la bibliothèque… Ce qui est tout de même un comble pour de futures institutrices ! En mai/juin 68 elles se sont mises en grève et ont occupé l’école pour demander plus de liberté et le départ de la directrice. Ce qu’elles ont obtenu. Cet évènement a défrayé la chronique orléanaise et fait la Une des journaux de la région.
Dans le service où je travaillais, le même phénomène s’est produit. Nous étions une majorité de jeunes femmes techniciennes et nous aussi nous avions notre « règlement intérieur » très strict, même s’il n’était pas écrit ! Par exemple la chef de service nous interdisait de venir travailler en pantalon ! Chaque matin et chaque soir nous devions défiler à son bureau pour aller lui dire bonjour et bonsoir… Après la grève, nous nous sommes révoltées contre la chef de service. Nous refusions de travailler sous son joug et nous avons gagné notre liberté pied à pied, avec l’implantation de la CGT dans le service !
Dans de nombreuses entreprises nous avons ainsi gagné des libertés, des acquis sociaux et l’amélioration des conditions de travail. Le travail impulsé par « les Collectifs féminins » y a beaucoup contribué et a créé des solidarités interentreprises qui nous y ont aidé. Le droit à la contraception et à l’avortement sont issus de ces luttes.
Comme nous étions beaucoup de jeunes femmes, dans mon service, nos revendications avaient trait pour beaucoup à la maternité : réduction des horaires de travail pour les femmes enceintes, absences rémunérées pour soigner les enfants malades, indemnités de garde d’enfant, réduction du temps de travail, etc… Ces revendications nous les défendions avec la CGT, mais nos camarades, dirigeants du syndicat allaient les défendre auprès de la direction, sans les militantes concernées… Souvent je leur disais « qu’ils n’avaient pas la santé », car ils étaient toujours prêts à accepter des demi-mesures qui ne nous convenaient pas ! Un jour, à force de m’entendre le leur reprocher, les camarades m’ont emmenée avec eux « chez le patron », comme on disait. Sans doute a-t-il été surpris par ma virulence car à un moment il s’est levé et m’a dit : « Prenez ma place » en me montrant son siège. Je me suis levée à mon tour et je me suis dirigée vers son siège… où il s’est dépêché de se rassoir !
Ce que nous voulions, c’était changer la société, supprimer les injustices, respirer, être libres, égales aux hommes… Pour quelle autre société ? Pour ma part, à cette époque, c’était assez flou… C’est pendant la grève que j’ai adhéré à la CGT et que je suis progressivement devenue militante. Mon premier acte militant important a été de participer à la 4ème conférence de la Main d’œuvre féminine en 1970. Cela a inspiré mon militantisme pour le reste de ma vie. La même année j’ai été élue membre de la CE de l’UD, au congrès auquel participait Georges Séguy. J’ai découvert ensuite avec la formation syndicale et les lectures CGT, comment fonctionnait la société capitaliste, et comment l’exploitation était organisée. Mais même dans la CGT, les femmes n’étaient pas égales aux hommes, elles étaient aussi invisibles et inaudibles que dans la société… Ce que j’ai toujours combattu pour faire entendre la voix des femmes et leurs revendications. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert que la société n’était pas que capitaliste, qu’elle était aussi patriarcale, mot tabou dans la CGT… Presqu’encore aujourd’hui !
En lisant les écrits de l’IHS, j’ai découvert que dans la délégation CGT qui est allée négocier à Grenelle, il n’y avait pas de femme… Etonnant car elles n’étaient pas les dernières dans la lutte, mais sans doute invisibles ! Dans les actes du colloque « Autour de l’histoire du magazine Antoinette » auquel j’avais participé, car je l’avais diffusé pendant des années et j’avais combattu sa disparition comme beaucoup de mes camarades militantes, je lis :
« … Pour qui sait observer la CGT, cette Conférence – la 5ème conférence sur la main d’œuvre féminine, en 1973— est le signal d’une modification des raisonnements et des comportements des militantes. Mais la direction confédérale ne saura pas (ou ne voudra pas ?) y être attentive » … (page 18) *
« … Comme si le féminisme était un combat à réserver pour des jours meilleurs » …. « Et la surexploitation de la main d’œuvre féminine est peu prise en compte. » (Page 19) *
« … En mai 1977, la 6ème conférence réunit 835 participants dont 143 membres du CCN. La parole se libère, les idées s’entrechoquent. Quasiment tous les dirigeants de la CGT sont surpris d’entendre tant de femmes défendre avec conviction et arguments leur point de vue qui dépasse le cadre habituel des travaux CGTistes. Elles veulent, sans attendre, l’égalité au travail et dans la vie et elles le disent avec clarté.
Cet engagement de haut niveau pour l’émancipation de 40% de la classe ouvrière ne sera pas apprécié à sa juste valeur dans toutes les organisations confédérées, ni sans doute au Bureau Confédéral » ….
« …Certaines estiment que les problèmes posés, de manière radicale à la 6ème conférence, seront ensuite enterrés. » … (Page 19) *
Je pense que s’il y a « un train que la CGT a loupé » en 1968, ce n’est pas celui de la lutte, mais c’est bien, de mon point de vue, celui de la place des femmes dans la lutte et dans l’organisation syndicale. Elles étaient invisibles malgré le fait d’adhérer en nombre à la CGT ! Cette richesse que représentait l’engagement des femmes dans la CGT n’a pas été perçue. Et même au contraire, encore aujourd’hui, les femmes qui bousculent un peu trop les habitudes et le « train-train » masculins sont rejetées, car elles dérangent… pour ne pas dire plus !
Dans « L’audace de Christiane Gilles », recueil qui reprend les interventions faites lors de l’hommage à Christiane Gilles, Philippe Martinez dit : « …parce que l’évolution progressiste d’une société se mesure à l’aune de l’émancipation des femmes (il a tout à fait raison !), cet engagement n’est alors pas partagé par toutes et tous au sein de la CGT ». Je lis aussi dans la NVO de décembre 2017, dans l’enquête sur les violences faites aux femmes : … « Pour autant les femmes ne représentent encore que 30 % en moyenne des dirigeants et 37 % des syndiqués. La CGT n’est pas machiste mais il y a trop de machos à la CGT, résumait Philippe Martinez en septembre 2016… » Moi j’ajoute : « ce sont eux qui dirigent la CGT » ! Dans le cahier d’histoire sociale N° 143 de septembre 2017, page 4 dans l’hommage rendu à Louis Viannet, dans l’encadré « Aller vers le monde du travail tel qu’il est », je lis … « Lucide, il affirmait que la CGT « pouvait se revendiquer féministe, mais qu’elle avait encore beaucoup à faire pour que ses pratiques quotidiennes soient à la hauteur. »
Est-ce que cela a vraiment changé aujourd’hui dans la CGT ? Est-ce que les idées et la parole d’une femme compte autant que celle d’un homme ? Bien que dans la CGT, on chante avec jean Ferrat, « La femme est l’avenir de l’homme », en est-on vraiment convaincu ? Est-il acceptable que près de 50 ans après « mai 68 », des camarades dirigeants (hommes) me reprochent d’avoir accepté d’être membre du CA de l’IHS, sans leur avoir demandé leur avis ? Pour ces camardes les femmes sont encore des êtres humains inférieurs, qui ont besoin qu’on réfléchisse à leur place et qu’il est nécessaire de « diriger » !
Je pense que d’avoir transformé les « Collectifs féminins » en collectifs « Femmes-mixité », n’a pas aidé à transformer « les pratiques quotidiennes pour qu’elles soient à la hauteur… » (selon les propos de Louis Viannet) car c’était nier l’existence de la société patriarcale et continuer de mettre les femmes sous la tutelle des hommes, (afin qu’elles puissent être dirigées ? …) alors que les collectifs féminins permettaient de s’en libérer… C’est ce qui « a surpris les dirigeants de la CGT » lors de la 6ème Conférence de la Main d’œuvre féminine de 1977 et conduit à ce que « les problèmes posés, de manière radicale à la 6ème conférence, seront ensuite enterrés. » … (Problèmes posés grâce à l’existence des Collectifs féminins qui permettaient de libérer la parole des femmes, d’approfondir la réflexion et de leur donner de l’assurance pour intervenir…)
Je dois tout de même mettre un bémol à mon propos, car si je suis devenue militante, c’est parce que dans mon UD du Loiret, il s’est trouvé des secrétaires généraux, après mai 68, qui avaient bien mesuré la richesse que représentait l’adhésion et l’engagement de nombreuses femmes dans la CGT et ils leur ont donné toute leur place pendant des années… Dans le Loiret, après mai 68, les adhésions de femmes à la CGT étaient plus nombreuses que celles des hommes, ce qui voulait dire quelque chose : la CGT représentait pour les femmes l’outil pour se libérer des chaines de la société. L’UD a aidé à la promotion de nombreuses femmes à des postes de responsabilité dans l’UD, les UL et les syndicats. Mais cela n’a pas été accepté par tous, ni le cas hélas, dans d’autres structures de la CGT où j’ai milité… et que j’ai quittées à cause de leur non-respect à l’égard des femmes ! Ni même dans mon syndicat… Mais ceci est une autre histoire que je raconterai peut-être un jour !
50 ans après, je suis toujours aussi déterminée à faire la Révolution, à changer la société, pour une société qui ne soit ni capitaliste, ni patriarcale et qui est à inventer, ensemble, avec les hommes et avec les femmes. Même si j’ai appris dans les écoles syndicales, que le capitalisme crée les contradictions et les forces qui conduiront à sa disparition, j’ai bien compris qu’il a aussi la capacité à se réinventer en permanence pour poursuivre et renforcer l’exploitation dans la crise. Mais je ne désespère pas que les forces qui veulent que la société change et leur idéologie, soient un jour dominantes. La Révolution n’est pas écrite d’avance… Et peut-être que la CGT a enfin pris la mesure de ce qui est en train de changer ? Comme la place et le rôle des femmes dans la société et ce que les femmes ne peuvent plus supporter : être considérées comme des êtres humains inférieurs, sous la coupe des hommes de tous les points de vue, être culpabilisées, inaudibles, invisibles, ressentir de la honte quand la honte ne devrait pas être de leur côté…
Comme le disait Che Guevara, lui qui a fait la Révolution : « soyons réalistes, exigeons l’impossible ! », c’est bien cela le combat des femmes depuis 1968 et depuis plus de 50 ans !
Annie Bruant Zornette, le 5 janvier 2018
*colloque « Autour de l’histoire du magazine Antoinette », tenu le 1er février 2007 à Montreuil dont les actes ont été publiés en 2010
Je me souviens d’avoir assister à une conférence de la C.G.T. de femmes (4000 à 5000) je pense que c’était en 1973 à Paris ! je ne me souviens pas très bien. Cette conférence n’était composée que de femmes enfin presque. A cette époque j’étais déléguée du personnel dans une usine de vêtements où l’on fabriquait des imperméable (Sogève Akylon), mon amie était délégué dans l’usine voisine qui fabriquait des chemises d’hommes (Usine Rousseau – Jalla) toutes les deux nous vendions Antoinette chacune de notre côté. De notre province de l’Allier nous étions venues raconter « notre misère » avec nos bas salaires, et toutes les péssiosn que l’on subissaient.
Je me souviens de l’intervention de Gisèle HALIMI sur le podium.