La FTM et les Conventions Collectives

Contribution de M Dauba sur la négociation post soixante- huit à l’UIMM sur les classifications, la grille des salaires et l’ébauche d’une Convention Collective Nationale de la Métallurgie.
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La question des salaires et des déroulements de carrières à la veille de Mai -Juin 1968.
Ce qui caractérise l’édifice des garanties contractuelles de la métallurgie sur la première partie de la décennie 60, c’est l’éclatement géographique et la division catégorielle. Les « ouvriers » et les « mensuels » relèvent de Conventions Régionales, construites sur le modèle de la Région Parisienne, lui-même très marqué par la place prise par l’ « ouvrier professionnel qualifié parisien » dans les luttes ouvrières. Les ingénieurs et cadres relèvent de conventions spécifiques qui vont très vite devenir Convention Nationale.
Les salaires ouvriers s’articulent à un taux horaire ; ceux des employés, techniciens, dessinateurs et agents de maitrises sont mensualisés ; les ingénieurs et cadres sont « au forfait ». Les coefficients de grille de classifications communes aux ouvriers et mensuels n’entretiennent avec les salaires qu’un lien très relatif : les politiques salariales patronales étant très restrictives et variables selon les branches, la simple application du SMIG dans les entreprises outrepasse pour toutes les catégories de bas de grille (manœuvres, ouvriers spécialisés, employés sans qualification) l’application du « prix du point » minima garanti, anormalement très bas, aux différents coefficients. Et le patronat refusant une revalorisation générale prenant en compte les qualifications, l’écrasement de l’éventail des salaires vers le bas enlève toute signification notable au concept de « déroulement de carrière » pour le gros des effectifs ouvriers-employés, d’autant que restent très étanches les cloisonnements entre filières ouvrières, filières techniciennes, filières cadres (les définitions de fonctions sont très étroitement liées aux différents métiers, sans critères d’équivalences opérationnels.)
Les organisations du travail, les systèmes de formation et les caractéristiques sociologiques du vivier de recrutement des entreprises sont eux-mêmes en profonde mutation. C’est la période de généralisation des organisations tayloriennes de la production dans les grandes entreprises, avec l’arrivée en force des « ouvriers spécialisés » (les OS sur chaine, souvent des femmes ou des salariés d’origine agricole ou immigrée), différends des catégories traditionnelles de « manœuvre » et d’ « ouvrier professionnel » bien connues du mouvement syndical. C’est l’arrivée en entreprises des premières promotions d’élèves sortis des lycées techniques et surtout des IUT et écoles d’ingénieurs en plein développement, alors que jusque là, les labos, et bureaux d’études étaient le plus souvent pourvus par promotion internes (les dessinateurs, techniciens de méthodes, les agents de maitrises, voir les ingénieurs et cadres dits « sortis du rang » et gardant bien souvent une « culture ouvrière ».)

Les luttes sociales des années soixante et Mai Juin 1968.
C’est du caractère obsolète et dépassé du système existant au regard des défis de la période que vont naitre dans la FTM les idées de « grille unique de salaires et des classifications, du manœuvre à l’ingénieur, avec prix unique du point ». Et les premiers à l’avoir mise en avant dans les luttes sont les « mensuels » des chantiers de St Nazaire et de Merlin Gerin à Grenoble, en 66 et 67, avant qu’elle ne prenne le devant de la scène revendicative en 68, avec les salaires, dans toutes les usines occupées.
Au niveau de la FTM, s’il faut dire qu’une réflexion rapide s’est engagée sur les problèmes majeurs posés par l’émergence des OS et du taylorisme (automobile et électronique par ex), la justice nécessite de reconnaitre le rôle central joué par le collectif ETDA (Employés, Techniciens, dessinateurs et Agents de maitrises) dirigé par Roger Vayne, et singulièrement par sa composante dessinateurs et techniciens (1), dans l’élaboration d’un projet unificateur conduisant à la revendication de Convention Collective Nationale.
C’est bien évidement le rapport des forces créé en 68 qui amènera l’UIMM à ouvrir dès 69 une négociation nationale sur les classifications qui durera quatre ans. On peut même dire que 68 a permis à l’UIMM de faire accepter, tant il est vrai que la réforme s’imposait, une telle négociation à ses structures régionales (au GIM de la Région Parisienne en particulier, surtout représentatif de PME-PMI.) C’est d’ailleurs autour de la divergence radicale sur l’objectif poursuivi entre l’UIMM et la FTM que tourneront les enjeux des négociations et singulièrement l’effort décisif d’unité syndicale.
Pour rappel, les occupations d’usines avaient été marquées par trois grandes préoccupations : les salaires et notamment les plus bas ; la prise en compte des diplômes et qualifications ; les conditions et organisations surtravail. Les augmentations de salaires et du SMIG avaient été substantielles, avec coup de pousse notable pour les plus bas. Les organisations du travail avaient été critiquées de manière constructives, à tel point qu’on ne compte pas le nombre de directions d’entreprises qui ont utilisé ce qui s’était exprimé et les cahiers de revendications élaborés au long des deux mois d’occupation pour en dégager de multiples évolutions, efficaces de leur point de vue (3). Restait la question des carrières et des qualifications – diplômes qui feront l’objet des négociations ouvertes en 1969.

Les négociations à l’UIMM, de 1969 à 1973.
Pour la FTM, l’objectif était ambitieux, à la hauteur du rapport des forces qui s’était exprimé : La grille unique « du manœuvre à l’ingénieur » devait être la première pierre d’une « Convention Collective Nationale ». Elle devait s’articuler aux formations et donc assurer des garanties de niveau d’embauche des jeunes diplômés. Elle devait assurer, par le « prix du point » de coefficient, des salaires minimas garantis au plus près des salaires réels dans les entreprises. Dans ce sens nous pensions que des négociations par branches devaient inévitablement suivre celles de l’UIMM. Au-delà des embauches et de la reconnaissance des formations, la grille de classification devait répondre au souci individuel de déroulement de carrière et vaincre les cloisonnements catégoriels entretenus par le patronat : dans ce sens, nous pensions nous-mêmes à un système de définitions de fonctions dépassant les métiers et susceptibles de situer à la fois les équivalences et chacun dans son emploi avec la reconnaissance de l’accumulation d’expérience. Par exemple, à coté des diplômes, nous proposions des critères comme la responsabilité, le degré d’autonomie et / ou d’initiative.
Pour l’UIMM, l’objectif était tout autre et bien moins ambitieux. Face à l’obsolescence de l’ancien système, elle visait un système le moins contraignant possible pour les entreprises, leur permettant, avec le minimum d’intervention des organisations syndicales, de positionner les salariés, notamment lors de l’embauche des nouveaux profils de formation et des nouveaux métiers, plus qualifiés et en phase de diversification. La référence aux diplômes ne devait être qu’indicative et s’effacer face à des définitions par niveaux de classifications qui se réduisaient à des définitions de postes. Si la mensualisation salariale des ouvriers était acquise, tout lien aux salaires était exclu, y compris au travers d’un prix minimum national du point de coefficient. Si l’amplitude des carrières ouvrieres, techniques et administratives était négociable, il était exclu de ses objectifs d’ouvrir la grille sur les filières cadres qui devaient rester « chasse gardée » pour elle et la CGC (2).
Au plan de l’unité syndicale, la force des revendications de 68, encore bien réelle, a aidé au maintien d’exigences fortes. Mais les positionnements des uns et des autres ont bien reflété ce qu’étaient les différentes approches. La FO de l’époque Bergeron / Mourgues (pour la métallurgie), est restée surtout soucieuse de la partie ouvrière de la négociation, ne soutenant que très relativement les revendications d’unification des catégories. La CGC de Maltere / Marchelli (pour la métallurgie), tout en étant attentive à tout ce qui concernait les techniciens et les diplômes, ne posait pas les questions de carrières dépassant les cloisonnements antérieurs et excluait, comme l’UIMM, l’intégration des cadres dans le champ de la négociation. Seule la CFDT de Maire / Cherreque (le père, pour la métallurgie) fut un réel soutien : issue de la scission de la CFTC cinq ans auparavant, en pleine période « gauchisante », elle se batit comme nous pour briser les divisions catégorielles, mais avec des positions que parfois l’UIMM pouvait utiliser (par exemple, sa revendication d’un salaire « binôme » faisait obstacle à une ouverture générales vers le haut des grilles de salaires minimas, car aboutissant à une revendication salariale en deux parties –somme fixe pour tous / augmentation hiérarchisée-, alors que la question des bas salaires avait déjà largement été intégrée aux augmentations réelles obtenues et mises en œuvre dans les entreprises.
Le résultat fut, comme toujours, le résultat d’un compromis à apprécier. Je ne reviendrai pas en détail sur le « constat de négociation » lui-même puisqu’il correspond au système de classification encore en vigueur actuellement, si ce n’est pour montrer à la fois les avancées et les limites des acquis.
Le grand acquis est probablement le système de grands niveaux de fonctions directement calé sur les grands niveaux de formations de l’Education Nationale, avec des définitions de fonctions par critères objectifs offrant des points d’appuis aux revendications de reconnaissance de l’effort individuel dans les promotions qui jusque là étaient laissées à l’appréciation des hiérarchies et donc des directions. En second lieu, la mensualisation des ouvriers, la création des catégories de « techniciens d’ateliers » et du coefficient 360 en haut des filières techniques et administratives engageaient un début de dépassement des cloisonnements catégoriels. Il reste que nous n’avons pas obtenu de lien des classifications aux salaires, que l’isolement des ingénieurs et cadres était confirmé et qu’en l’absence d’un « prix du point » salarial minima, il était difficile de conclure à un vrai début de mise en place d’une Convention Collective Nationale……..C’est ce qui justifiera que la FTM se contente d’un jugement positif sur ce qui restera un « constat de négociation », différend d’un « accord » mais dont il était entendu qu’il serait mis en œuvre dans les entreprises.
L’application dans les entreprises a connu un succès inégal, entre les grandes ou le rapport des forces et la syndicalisation ont permis à la fois l’information des salariés et leur mobilisation, et les autres ou le patronat est resté seul maitre du jeu. Et là s’est révélée la faiblesse principale, mais prévisible, du nouveau système : en l’absence de négociations complémentaires « de branches » qui auraient du préciser les filières et spécificités professionnelles à ce niveau, le texte offrait aux directions une espèce de « meuble à tiroirs » dans lesquels ils pouvaient positionner à leur guise les travailleurs.
La question des branches appelle de ma part une réflexion personnelle qui vaut ce qu’elle vaut mais à laquelle je tiens. Pour rappel, cette expérience sur les classifications, celle accumulée avec les travaux de L Chavrot sur les politiques revendicatives et ceux de J Desmaison sur les groupes et les branches, avaient amené J Breteau et la FTM à mettre à l’ordre du jour du Congres de Grenoble, outre la décision de création de l’UFICT qui tenait compte des évolutions sociologiques des entreprises, la perspective de création progressive de fédérations de branches. Le projet était suffisamment élaboré pour qu’il soit envisagé le maintien d’une Coordination de ces fédérations et des péréquations financières de solidarités entre elles, au profit des plus faibles.
Je mets en rapport cette leçon tirée de l’évolution des entreprises par le CEF de l’époque, avec le fait que le projet de classifications dont nous étions porteurs est vite devenu un projet revendicatif pour l’UGICT et toute la CGT pour le privé. Je la mets en rapport avec les difficultés récurrentes à définir clairement sur le terrain, ce qui revient aux structures interprofessionnelles et professionnelles de la CGT, particulièrement au niveau départemental. Je pense que les mutations mal prises en compte entre la cohérence socioprofessionnelle et industrielle de la métallurgie des années trente jusqu’aux cinquante, par rapport aux réalités nouvelles, avaient progressivement transformé la FTM et ses USTM en véritable Confédération à elles seules. En trente ans, les entreprises des industries naissantes de l’automobile, de la construction d’avions et de la téléphonie, authentiquement entreprises « des métaux » à coté des plus anciennes de la machine outil, de la sidérurgie, de la navale, de la construction électrique, voir du tissus parisien de petites et moyennes entreprises dites du « travail sur métaux », étaient devenues des groupes aux technologies et organisations du travail beaucoup plus diversifiées, (voir en particulier l’électronique et l’informatique.) Je la mets enfin en rapport avec les structures du patronat de la métallurgie lui-même, qui distingue : ses structures de négociations sociales qu’elle maintient au niveau le plus général possible pour rendre plus difficile l’influence syndicale et obscurcir, au profit des directions d’entreprises, le rapport entre les accords qu’elle conclue et le vécu concret des travailleurs ; et ses structures de représentations industrielles, technologiques et commerciales qu’elle décentralise à contrario au niveau concret des branches (le GIFAS par ex).
On le sait, la FTM n’a pas poursuivi plus avant le choix du Congres de Grenoble. Je pense que ce fut une erreur. Sous la direction d’A Sainjon surtout, mais également après, ce qui semble l’avoir emporté (parmi les arguments avancés (4)) est le retournement de tendance de la décennie 70 du point de vue de la syndicalisation….les difficultés sur ce terrain, avec leurs conséquences sur les moyens militants et financiers, justifieraient ce renoncement, avec la crainte de se retrouver avec des entités, certes diversifiées et plus proche des réalités mais trop faibles et donc en difficulté.
Je ne réponds pas à la place des dirigeants actuels de la FTM, d’autant que les dernières négociations à l’UIMM ont apporté quelques améliorations à la grille. Mais je pose la question : Quelle portée concrète et donc quel caractère mobilisateur pourrait avoir un projet global de Classifications / salaires minimas garantis / système de carrière et de formation / durée et organisations du travail, etc, qui en resterait au niveau de généralité d’une Convention Collective Nationale couvrant la diversité actuelle de ce que nous continuons d’appeler « la métallurgie » ? Poser la question, c’est y répondre : Sans projets de Conventions Collectives par branches, ou pour le moins de forts avenants de branches, ce n’est plus l’UIMM qu’il s’agirait de contraindre à négocier, mais directement le MEDEF !
Je reste convaincu qu’il fallait maintenir l’objectif de décentralisation en fédérations de branches, précisément en raison des difficultés d’organisation : rapprocher le discours syndical des réalités concrètes vécues dans leur diversité pouvait être un moyen de relancer l’intérêt pour la syndicalisation en cours d’essoufflement. Certes, les dirigeants fédéraux de l’époque n’auraient plus eu le poids que leur donnait la grande fédération des métaux, mais en partageant l’honneur et la responsabilité de diriger le mouvement d’adaptation décidé, ils auraient, avec un plus grand nombre de futurs secrétaires de fédérations nouvelles, plus souples et plus mobiles, mis le mouvement davantage en capacité de réagir aux mutations en cours……En tous cas, c’est ce à quoi s’était résolu J Breteau.

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(1) C’est ce collectif qui, avec les camarades du SNCIM sera à l’origine de la création de l’UFICT.
(2) Parallellement devait d’ailleurs s’ouvrir une négociation nationale qui débouchera sur une « Convention Collective Nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie », négociation à laquelle participera notre SNCIM et qui apportera des améliorations sensibles, notamment sur la position 1, comme position d’accueil des jeunes diplômés des écoles d’ingénieurs, avec le délai de promotion automatique en position 2.
(3) C’est particulièrement vrai dans les industries de pointe : électronique et aéronautique par exemple. Mais c’est vrai aussi, plus globalement et de manière perverse, avec les travaux de la « trilatérale » au plan mondial et des assises du CNPF à Marseille pour la France ou seront précisés, dès le début de la décennie 70, les enseignements que les multinationales et le patronat tiraient des événements , aboutissant aux nouvelles formes, dites de « gestion des ressources humaines » et de restructuration des grandes entreprises dans lesquelles nous baignons aujourd’hui. L’aspiration à la reconnaissance individuelle sera dénaturée au profit de l’individualisation et contre les garanties collectives. Les restructurations conduiront aux filialisations et à l’éclatement des grosses unités de production, aux sous traitances, voir plus tard avec la mondialisation, aux délocalisations.
(4) Il m’a été dit que G Séguy se serait opposé à une telle évolution. Il m’a été dit aussi que les rapports d’alors entre la CGT et le Parti Communiste ont conduit à s’aligner sur la position de ce dernier, défavorable à une telle évolution. Personnellement, je n’ai jamais entendu, ni à l’époque, ni depuis dans l’exercice de mes responsabilités au PCF, évoquer une telle intervention. S’il ne faut pas l’exclure, sachant ce qu’était l’instrumentalisation du syndicat pour sa capacité à participer aux rassemblements partisans et la place de la métallurgie, aux cotés du PCF dans les grands moments du mouvement ouvrier, les considérants syndicaux de nature revendicatifs étaient suffisamment forts pour ne pas y céder.

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