En Finir avec le Wall Street management

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En octobre 2011, Philippe McLaughin, directeur de l’Ecole de Management de Bordeaux interviewait Marie-José KOTLICKI et Jean-François BOLZINGER, secrétaires généraux de l’Ugict, pour son ouvrage de réflexions sur l’enseignement du management (1). Extrait.

Vous venez de publier un ouvrage intitulé « Pour en finir avec le Wall Street management ». Pourquoi cette expression et pourquoi cet anathème ?

« Nous avons commencé à nous interroger sur les modes de management à partir d’un tout premier constat. Il existe chez les cadres un hiatus de plus en plus profond entre la motivation dont ils font preuve et l’intérêt qu’ils portent à leur travail et un phénomène croissant de déresponsabilisation dans le fonctionnement des entreprises qui va de pair, nous apparaît-t-il, avec les distances induites par la financiarisation des stratégies.

Nous constatons parallèlement une aspiration de plus en plus manifeste à une meilleure maîtrise de l’organisation de son propre travail et à la recherche d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Enfin nous assistons à une indiscutable quête de sens, dans le travail, dans les objectifs de l’entreprise, dans ses comportements sociaux et sociétaux…

Cette quête, cette recherche, se sont exprimées très fortement, traduisant des demandes de réponses sur la finalité du travail, sur la restauration des moyens d’exercer une réelle responsabilité professionnelle et sociale, sur la revalorisation éthique professionnelle exigeante et surtout partagée à tous les échelons de l’entreprise.

Ce qui nous a frappé, c’est que toutes ces formes de mobilisation émanaient de professions très diverses sans liens communs apparents : magistrats, infirmiers, journalistes, chercheurs… Elles exprimaient, en revanche, cette préoccupation, celle-là bien connue, d’une relation au travail en constante détérioration et comme tombée en déshérence.

Enfin la crise financière a révélé des choix de gouvernance et de management d’entreprise pouvant conduire à des conséquences aussi dramatiques que des suicides.

Ces constats nous les avons étayés par des enquêtes auprès d’ingénieurs, de cadres et de techniciens que nous avons interrogés et dont les résultats nous ont confirmés dans nos observations, à savoir que s’il existait un dénominateur commun, c’était bien le travail et son sens.

Voici ce qui nous a conduit à nous pencher sur les pratiques managériales qui, pour nous, incluent les conditions de travail, son organisation, la stratégie et le pilotage de l’entreprise, ses incidences sur la structure hiérarchique et ses principes de fonctionnement…

Nous sommes arrivés à la conclusion que les années 1990 avaient, dans ce domaine, constitué est un tournant historique. Jusque-là, nous sommes en présence d’une vision entrepreneuriale du management dont le motif est certes le profit comme résultat optimisé et qui se veut pérenne d’une activité économique et industrielle. À partir des années 1990, à cette vision entrepreneuriale se substitue une vision exclusivement patrimoniale qui ne compte qu’avec l’immédiateté du profit, s’inscrit dans le court terme et où le décideur n’est plus le chef d’entreprise, le porteur de projet, mais l’actionnaire. Ce qui vaut, ce n’est plus le produit, le savoir-faire, le tour de main, la maîtrise technique ou commerciale, c’est le cours de la bourse. Il est symptomatique, que celles que l’on appelait, il y a deux décennies, les grandes entreprises, des fleurons de l’industrie, soient désormais désignées par le terme générique–ô combien significatif ! – d’entreprises du CAC 40.

C’est ainsi que l’on a vu apparaître un mode de management qui se prétend universel, celui que nous avons baptisé « Wall Street management » et qui ne vise à rien d’autre qu’à la mise en œuvre de la financiarisation de l’entreprise. Ce management ne se présente plus comme un mode de structuration du fonctionnement des entreprises, mais plus brutalement comme une technique basée sur le culte de la performance et de la compétition individuelle, mesurées et stimulées par la fixation d’objectifs quantitatifs au détriment des objectifs qualitatifs. »

 

  • Alter manager, mode d’emploi. Réflexions sur l’enseignement du management, Philippe McLaughlin -Directeur École de Management de Bordeaux (BEM), Editions Descartes et Cie – Oct. 2011
  • Pour en finir avec le Wall Street management, Marie-José Kotlicki et Jean-François Bolzinger, Editions de l’atelier – déc. 2009

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