En 1977, René Le Guen, secrétaire général de l’Ugict-Cgt et Président du groupement national des cadres (GNC) des industries électrique, nucléaire et gazière, publie un livre aux Editions sociales : « Voyage avec les cadres – Le GNC : 40 ans pour quoi faire ? »
Voici l’introduction de René Le Guen à ce premier ouvrage d’un cadre CGT sur les ICTAM publié à la veille du changement politique de 1981.
INVITATION AU VOYAGE
Les cadres, tout le monde en parle. Autrefois, ils étaient peu, ils sont maintenant plus de 4 millions.
Ils s’interrogent :
« Quelle place avons-nous dans cette société ? Quel rôle jouons-nous ? Où regarder ? Vers la bourgeoisie et le patronat ? Ils ne nous offrent guère de raisons d’espérer. Vers les ouvriers et les employés ? Peut-être… Mais si demain la gauche arrive au pouvoir, que deviendrons-nous ? Est-ce que ce ne sera pas la contrainte, la bureaucratie, l’inefficacité ? Serons-nous libres ? »
Ces questions nous intéressent, nous passionnent même. Et c’est pourquoi nous vous invitons aujourd’hui à ce voyage.
Des cadres, en effet, se posent les mêmes questions, mais pas tout à fait de la même façon, car ils ont vécu, ils vivent une expérience originale.
Il y a quarante ans, dans les industries de l’électricité et du gaz, a été constitué, à l’initiative de la fédération CGT de l’éclairage, un « Groupement national des cadres », une des toutes premières organisations de cadres en France.
Les gaziers et les électriciens avaient déjà fait du chemin, des expériences de la distillation du bois de Philippe le Bon et de la première dynamo de Gramme à la construction des grands barrages, des luttes des allumeurs de réverbères aux victoires du Front populaire.
En 1946, les deux industries ont été nationalisées. C’était la volonté des forces qui avaient libéré le pays, unies dans le Conseil national de la Résistance. Après une dure bataille aux côtés des ouvriers, des employés et du ministre de la Production industrielle, Marcel Paul, les cadres ont obtenu un statut social avancé qui assure l’unité du personnel de l’ouvrier au cadre supérieur, institue des rapports paritaires à tous les niveaux, dans tous les domaines. Parallèlement, la loi de nationalisation a créé les structures d’une gestion démocratique en faisant participer les travailleurs et les représentants des usagers à l’élaboration de toutes les décisions.
Depuis ces années, le paysage a bien changé.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis 1947, pressés par les intérêts privés, ont tout fait pour détruire le statut du personnel et les deux belles pièces d’industrie qui avaient été créées.
Les cadres de l’électricité et du gaz ont dû mener bien des batailles pour se défendre, défendre leurs entreprises et défendre le patrimoine national en soutenant une politique énergétique cohérente, conforme aux besoins et contribuant à l’indépendance nationale.
C’est ainsi qu’ils ont forgé leur syndicat spécifique qui a aujourd’hui la confiance de la moitié des cadres et agents d’EDF-GDF.
Le voyage est terminé.
Nous nous reposerons un instant et nous vous interrogerons : « Vous a-t-il intéressé ? Vous donne-t-il envie de continuer, vers l’avenir cette fois ? »
Car— à quoi bon vous le cacher — ce n’est pas par goût de la nostalgie que nous vous avons invités, mais parce que nous pensons qu’hier recèle des trésors pour demain.
Par exemple : les nationalisations.
Comment les choses se sont-elles passées en 1946 ? Quelles possibilités les cadres ont-ils eues pour développer leurs facultés créatrices ?
Comment demain une nationalisation peut-elle réussir ?
Comment faire pour éviter l’étatisme ? Pour qu’une véritable gestion démocratique s’instaure ? Pour que les cadres y aient toute leur place ?
Par exemple : le syndicalisme des cadres.
Comment le GNC a-t-il évité le « catégoriel » pour aller au spécifique » ? Qu’est-ce que les cadres de l’électricité et du gaz y ont gagné ? En quoi cette expérience a-t-elle pu favoriser le développement de ce syndicalisme spécifique sur le plan général ?
Comment assurer la liaison avec les autres catégories de travailleurs ? Comment d’autres cadres, par des moyens originaux, mais sans ignorer le passé, peuvent-ils eux aussi trouver le chemin vers plus de dignité, plus de liberté ?
Un voyage est terminé. Un autre commence.
RLG 1977