La mobilisation des officiers navigants de Gazocean contre la réforme des retraites

Les officiers français de Gazocean participent et soutiennent majoritairement le mouvement de grève contre la réforme des retraites. Les 3 navires de la compagnie ont voté l’arrêt du travail le 05, le 12, puis le 17 décembre. Ensuite, s’inscrivant dans  la contestation durablement, 2 des 3 navires français ont voté la grève les 09, 14, 24 et 29 Janvier 2020.

L’adhésion massive des officiers au mouvement de contestation traduit une colère contre des « réformes » toujours plus régressives et la dégradation apparemment inexorable de nos conditions de travail. Ces réformes mortifères pour notre profession sont le fruit de la collaboration des gouvernements libéraux avec les Armateurs français qui détruisent des droits acquis par les générations successives de marins français, « nos pairs et nos pères »…

Entre 1673 (date de la création de la Caisse des Invalides de la Marine) et 1948 (date de la convention collective des officiers de la marine marchande), les conditions de travail et la protection des navigants et de leurs familles n’ont cessé de progresser. Les marins français, à l’époque très nombreux, appartenaient à l’élite de la marine marchande mondiale en termes de droits sociaux, de salaires et de qualification.

Mais dès 1986 avec la création du pavillon Kerguelen, et en 1987 avec le TAAF, les Armateurs bénéficient d’allègements fiscaux et salariaux et peuvent embarquer des marins étrangers à bas salaires. Puis en 2005, le RIF est créé pour assouplir encore les contraintes d’exploitation des navires. Nous voyons alors disparaître les conditions de nationalité afférentes au pavillon national, et apparaître de nouveaux allègements de fiscalité et l’exonération des cotisations patronales. A noter que l’ITF classe le RIF parmi les pavillons de complaisance.

Entre 1950 et 2017, le nombre de marins français est passé de 50000 à 30000 environ (données ENIM), et ces dernières années, les salaires n’évoluent plus, voir régressent dans certaines compagnies (réduction du nombre de jour de congés par jour embarqués, sans revalorisation du salaire). La prime est de plus en plus souvent un élément de rémunération et de négociation, alors qu’elle échappe aux cotisations et n’ouvre aucun droit aux travailleurs.

Sous RIF, les salaires nets sont quasiment égaux aux salaires bruts, ce qui met notre caisse, l’ENIM, sous perfusion financière. Ce « déséquilibre » n’est pas dû à des droits trop « avantageux », mais au fait que les armateurs sont exonérés de cotisations. L’ENIM paye toujours les retraites, la santé et le chômage, mais se trouve « amputée de ses recettes ». Le déficit est en fait construit de toute pièce par la loi… Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage !

A Gazocean, les marins ont vu se libéraliser le transport de gaz et en ont subi les conséquences :

  • Avant 2004 (année où GDF est transformé en Société Anonyme)
    • 100 % des navigants étaient français.
    • Les navires travaillaient entre l’Algérie et la France dans le cadre d’affrètements « à long terme » négociés entre états. Ils transportaient jusqu’à 5 cargaisons par mois et par navire entre un pays producteur et un pays

Depuis 1894, plus d’un siècle voué à la défense de la profession

  • 2008 (fusion de GDF et de SUEZ) et lancement de 3 nouveaux navires sous RIF, construis à St Nazaire pour profiter des GIE
    • Un PSE est cependant déclenché par la direction, entrainant la disparition des personnels d’exécutions français (PEX) au profit de marins L’inspection du travail reconnaitra que le PSE n’était pas « légal » car la raison invoquée (économique) n’était pas justifiée.
  • Les navires commencent à faire du tramping international, aux ordres directs des traders. Les cargaisons, beaucoup plus rares, sont fréquemment « re-chargées » dans des ports de déchargement pour contourner certaines règles du commerce international ou simplement pour faire de la spéculation.
  • 2018 (Rachat de la « Buisness Unit GNL » de ENGIE par TOTAL). De nouveaux navires pourraient entrer en flotte, des restructurations profondes sont en cours mais nous ne savons pas les effets qu’elles auront sur le statut des marins de la Cependant…

… il est déjà question de réduire le nombre de français sur les navires. L’armement passerait de 10 officiers à 6 ou 7 officiers, voyant entrés des officiers roumains parmi les équipages. Bien sûr, rien n’est encore effectif, mais les salariés qui ont été consultés ont répondu défavorablement à l’option prise par la direction de réduire les effectifs de français par navire.

Les navigants français ne comprennent pas que l’arrivée de nouveaux navires ne soit pas l’occasion de recruter massivement et d’augmenter sensiblement les effectifs français, dans le contexte très porteur du transport de Gaz Naturel Liquéfié. Cela aurait pour effet d’ancrer la compagnie dans le tissu économique européen, d’augmenter son influence et sa réactivité sur un marché en expansion et potentiellement très nerveux, d’augmenter son attractivité vis à vis de nouveaux acteurs du secteur, de renforcer, de développer et de consolider ses compétences.

Notre métier implique une forte qualification, et il est long de former les équipages. Le schéma proposé par la direction, avec une répartition de 4 « officiers supérieurs » pour 2 ou 3 officiers (lieutenant pont et/ou officier mécanicien), détruit la base nécessaire à la formation des officiers supérieurs, à la pérennisation des équipages et au maintien des compétences acquises.

Ajoutez à ça l’incertitude introduite par le gouvernement sur l’avenir de notre système de retraite, et l’effet inévitablement désastreux de ces réformes sur l’attractivité de notre métier, et vous avez un contexte de fortes tensions, propice aux prises de consciences et aux mobilisations.

Gazocean n’a pas connu de mouvement de grève depuis de très nombreuses années, probablement en raison de bonnes conditions de travail et de salaire. Mais depuis une dizaine d’années, ces conditions se dégradent rapidement et engendrent du stress et de l’instabilité :

  • Déjà mi 2018, une grève a été évitée « in extremis » au sujet de l’augmentation annuelle des salaires, car la direction entendait refuser aux navigants une augmentation négociée (NAO) égale à l’inflation publiée par l’)NSEE.
  • Puis dernièrement, suite au projet de réforme du système des retraites, l’appel à la grève de la CGT d’abord, puis de l’intersyndicale a été entendu et suivi à plusieurs reprises par les équipages.

Il faut comprendre cette mobilisation exceptionnelle comme un signe fort adressé aux Armateurs, aux Affréteurs et au gouvernement :

Les marins français sont las de voir leurs droits et leurs conditions de travail alignés à la baisse au niveau de ceux des travailleurs précaires internationaux. A mesure qu’ils sont précarisés, leur conscience du contrat social que représente notre mode  de   fonctionnement  se   développe.   Notre  système   de  sécurité  sociale  (Santé/Chômage/Retraite)  est le cœur  du « fonctionnement à la française ». Il est un exemple partout dans le monde où il est reconnu comme le système le plus juste.

C’est cette institution que nous entendons collectivement défendre, et même renforcer.

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Publié le :
7 février 2020

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