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Table-ronde 3 : Impacts sur le travail, les métiers, l’emploi

Juliette Mattiolli

Experte senior en Intelligence Artificielle, Thales

Je vais me faire l’avocat du diable puisque je travaille dans l’Intelligence Artificielle depuis maintenant plus de trente ans. On arrive à en survivre, la preuve. Quand j’ai commencé, les mêmes peurs existaient à l’époque. On avait peur de la transformation des métiers. On avait peur de ce que cela allait impacter. Il y a des choses que vous utilisez au quotidien et vous ignorez même que c’est de l’Intelligence Artificielle embarquée. Je donnerai des petits exemples au fur et à mesure. Avec ce qui se passe actuellement, comme beaucoup d’entreprises, Thales a décidé de remettre l’Intelligence Artificielle au coeur de sa transformation numérique. Je vais faire un retour d’expérience sur ce qui s’est passé et comment nous essayons de gérer toutes vos peurs à l’intérieur d’un grand groupe comme le nôtre.

La différence entre Thales et les groupes tels que Google et autres, c’est que l’on fait du B to B et pas du B to C. On fait surtout du B to B dans les systèmes critiques. Cela veut dire que derrière, il y a des vies en jeu parce que nous allons développer, que ce soit pour la sécurité, la défense, mais aussi pour l’aéronautique et les transports comme les trains, des systèmes qu’il faut impérativement qualifier certifiés. Mettre de l’Intelligence Artificielle dans ces systèmes, cela suppose de répondre à certaines questions qui ont été déjà bien entamées, qui sont la responsabilité, mais aussi la certification et l’explication, un système d’aide à la décision. Ce matin, il y avait un exemple dans la banque. Il faut absolument qu’ils expliquent cette décision, sinon, ce ne sera pas accepté par l’usager. Monsieur expliquait les chatbots dans l’assurance. C’est pareil, aujourd’hui, ils sont vraiment au début de ce que pourrait être un chatbot. C’est plus un frein qu’une aide parce que ça devient un entretien à trois et qu’on n’est pas formés pour faire cet entretien à trois. Finalement, c’est un truc en plus et on ne sait pas quoi en faire.

Il y a toutes ces questions qu’il va falloir prendre en compte, et qui sont encore, pour beaucoup, des questions ouvertes au niveau scientifique. Quand on dit I.A. de confiance et I.A. responsable, ça passe par les données, les données et les données. Ce matin, il y a déjà eu des discours autour de cela. Il faut des données de bonne qualité, sans biais, équilibrées et pertinentes pour pouvoir apprendre. C’est exactement comme pour un enfant. Le résultat sera médiocre si on ne lui donne pas de la bonne matière première, mais il ne fera que répéter par coeur. Ce n’est pas un raisonnement qu’il construit. Il a juste appris des images. L’histoire du chat et du tigre est un exemple. Nous ne savons pas comment il a fait, mais il y a juste répété. Qualifier ce genre de mécanismes sans savoir comment et pour pouvoir l’embarquer dans un avion, même moi qui travaille dedans depuis trente ans, je ne monte pas dans l’avion.

En revanche, il y a énormément de gens qui essayent de faire en sorte que ces algorithmes soient explicables et pas traçables, explicables au sens humain du terme, avec des mots, et pas seulement au sens technique du terme où on déroule les systèmes d’équation et on arrive à comprendre ce qui se passe. Ça va demander des compétences nouvelles, ou en tout cas pas identifiées comme telles dans le monde de l’Intelligence Artificielle, de l’ingénieur ou des mathématiciens, qui sont ce que Madame appelait les sciences de l’Homme. Il faut comprendre ce que veut dire un dialogue, une explication, une argumentation. Il va falloir comprendre, dans un chatbot, l’intention du locuteur, et pas seulement lui donner des réponses qui tombent parfois à côté de la question parce qu’il l’a mal formulée. L’exemple que je donne tout le temps c’est : « Est-ce que vous avez l’heure ? ». Si l’Intelligence Artificielle ne s’arrête qu’à la question, elle répondra oui, mais elle ne donnera pas l’heure parce que la question n’est pas bien formulée. Il y a plein d’images comme ça. Il y a ce genre de choses sur lesquelles il va falloir travailler énormément.

Depuis ce matin, on entend beaucoup l’Intelligence Artificielle orientée par les données, mais il y a toute une vague de l’Intelligence Artificielle qu’on appelait autrefois l’Intelligence Artificielle symbolique qui était plutôt basée sur des modèles mathématiques, qui seront beaucoup plus à même d’être prouvés, certifiés et qualifiés, qui pourront aider à faire autre chose que le diagnostic ou la reconnaissance de forme. Aujourd’hui, c’est surtout là que ça marche. Mais là encore, cela peut être appliqué dans des systèmes d’aide à la décision, mais ce ne seront que des systèmes d’aide à la décision qui devront aussi expliquer leurs décisions. L’homme est toujours au centre et devra rester au centre. Sinon, il y aura un problème. Le problème, contrairement à ce qu’on peut penser, c’est que la machine fait des erreurs parce qu’elle est programmée par un humain qui lui-même fait des erreurs. Dire à 100 % à une machine ne fait pas d’erreur, c’est quasiment utopique. Il va falloir aussi travailler là-dessus.

Il y a une partie complètement négligée au niveau de l’enseignement et de la formation au niveau ingénieur, c’est cette I.A. symbolique. Ce qui commence à revenir, c’est tout ce qui est le traitement du langage naturel automatique. De nouveau, il y a des choses parce qu’il y a la subtilité du langage. Google Traduction fait des choses très bien, mais ne remplacera jamais l’écriture d’un écrivain. C’est bien quand on ne sait pas parler une langue pour se comprendre dans la rue, mais la poésie ne sera pas là. J’ai entendu pas mal de gens qui disaient qu’il n’y a pas d’empathie, pas d’esprit critique. Aujourd’hui, c’est très diff icile, voire utopique, dans l’état actuel des sciences, de mettre du sentiment dans une IA, autre que du sentiment pré-câblé qui n’est pas du sentiment. Ça vous fait croire que, mais ce n’est pas ça.

Une fois qu’on s’est intéressé, chez Thales, dans quel type de système et dans quel type de produits on pouvait mettre de l’I.A. et comment déployer l’I.A., Monsieur Olivier Ezratty disait ce matin que c’était bien beau d’avoir des idées de R & D, mais après, il y a tout le déploiement, on s’est confronté au déploiement. Il faut avoir des gens autres que des chercheurs en Intelligence Artificielle. J’aimais bien l’image de la chaîne algorithmique. Il faut donc des gens qui vont le déployer, des gens qui vont l’utiliser. Il va falloir acculturer cette population pour pouvoir l’utiliser à bon escient, comme on a appris à nos enfants à utiliser les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux, c’est bien, mais il y a l’envers de la médaille. Ce n’est pas bien aussi, il faut être vigilant là-dessus. Il va falloir acculturer dès le plus jeune âge. Dès le plus jeune âge, je tiens à souligner une nouvelle mesure qu’a lancée la Région en octobre, qui est la première création d’un lycée avec une spécialité de l’I.A. L’idée est de former, dès la seconde, les jeunes à bien comprendre, savoir, développer, mais aussi comprendre les dangers. C’est vraiment la palette complète. Le lycée existe, mais la spécialité devrait s’ouvrir à la rentrée scolaire 2019. Je crois que c’est dans le douzième. Ce sera un lycée pilote. Dès le plus jeune âge, il faut faire cette démystification.

Chez Thales, nous avons commencé à faire cette démystification par le haut, parce que là aussi, beaucoup de managers et beaucoup de dirigeants lisaient sur internet ou entendaient beaucoup de choses sur les mythes induits par l’I.A. Nous avons fait des séances avec des financiers, des marketeurs, des commerciaux, pour leur expliquer ce que c’était et ce que ce n’était pas, parce que parfois, on croit que cela va tout faire. Ben non, ça ne fait pas tout. Au fur et à mesure, nous essayons de faire des séances. C’est une demi-journée. Ce n’est pas très long, mais ça permet de casser et de commencer à initier une discussion.

Nous avons décidé de faire ce qu’on appelle en interne des POC, des Proofs Of Concept. Ce sont des petites démonstrations avec les utilisateurs finaux. Nous avons pris des populations à l’extrême de la technique, comme les sciences de l’homme ou les sciences. Pour le coup, nous avons pris des juristes, et essayer de mettre un juriste au numérique, finalement, l’expérience a été très concluante. Ils s’étaient dit que les I.A. supprimeraient leur travail. En fait, non. Nous sommes arrivés à déf inir des outils d’aide à la lecture rapide qui permettent de mettre en lumière les passages de gros contrats importants pour qu’un juriste s’intéresse à ce paragraphe et fasse son métier de juriste, plutôt que d’avaler des pavés et des pavés de choses sans trop de valeur. Là, il va directement à l’endroit où il y a de la valeur. On n’enlève en rien son métier. Au contraire, l’I.A., j’en suis convaincue, est là pour aider, pour soulager certaines tâches, pour remettre les métiers à leur juste valeur.

Il y a plein d’exemples. En ce qui concerne la finance, le pôle Finance et Innovation est en train de faire un livre blanc sur l’impact de l’I.A.E. et d’autres technologies, parce que ce que je dis peut s’appliquer à d’autres technologies, dans les métiers de l’industrie financière, avec des remarques comme ce que j’ai entendu aujourd’hui sur le conseiller augmenté. Ce sera un trio et pas un duo, ce sera juste l’I.A. et le client parce que de toute façon, il y aura toujours des situations complexes qu’il va falloir comprendre. Il y a des choses qui sont du dialogue non verbal. Quelqu’un qui vient et qui vous explique son problème, quand je le vois, j’arrive mieux à comprendre son problème que quand je l’ai au téléphone, et pourtant, je ne suis pas une I.A. Il y a plein de choses sur lesquelles l’homme, au contraire, reviendra au centre. Par contre, il est clair que certains métiers vont changer, certains métiers seront amenés à être modifiés. C’est pour cela qu’il faut continuer à se former tout au long de sa carrière. Vous ici, vous pouvez, au même titre que les employeurs et les régions, contribuer à cette formation continue. C’est une formation continue et une information continue. Ce sont les deux qu’il faut faire. Voilà ce que je voulais partager avec vous.

Christine Eisenbeis

INRIA, SNCS-FSU

Je suis une chercheuse en informatique à l’INRIA et je suis aussi syndicaliste, membre de l’Institut de recherche de la FSU pour le chantier Travail et syndicalisme. La question de départ étant : est-ce qu’on parle du travail dans nos syndicats ? C’est une question qui n’a pas forcément de réponse évidente. On pourra en parler par la suite. À l’intérieur de ce chantier Travail, j’essaye de me poser la question, mais pourquoi est-ce qu’on ne parle pas de numérique ou d’Intelligence Artificielle ou d’Informatique Avancée, comme nous l’avons dit aujourd’hui. À force d’écrire des textes sur ce sujet, j’ai croisé des gens de la CGT autour de Jean-Luc Maletras, ex-ingénieur de Thales. Il m’a dit qu’ils se posaient la même question au sein de sa Confédération, pourquoi on parle peu du numérique au sein de la CGT. Je suis très contente de voir que la CGT a fait cette journée-là parce que c’est un sujet super important et un peu rébarbatif. C’est pour cela que le sujet est difficile à poser sur la place.

Je voudrais vous faire remarquer que les outils numériques changent notre manière de faire notre travail syndical. D’expérience, on remarque qu’on fait de moins en moins d’assemblées générales, plus de discussions par e-mails, par des listes de discussion et des listes de diffusion. Cela pose des problèmes pas plus compliqué que le fait que la Direction intervient parfois sur une liste en disant qu’on n’avait pas le droit de dire ça, que c’était confidentiel. Est-ce qu’on aurait fait une réunion syndicale ou la Direction serait intervenue en disant : vous n’aviez pas le droit de dire ça ? Il se passe des choses au niveau de notre travail syndical dans l’utilisation des outils numériques. Je ne sais pas s’il y aura une captation, si elle était mise sur Internet, mais ce sont des questions extrêmement importantes qui méritent d’être posées avant toute intervention. On ne dira pas la même chose selon que la discussion reste entre nous aujourd’hui ou si elle est mise sur Internet. On l’a carrément oublié. Il y a une dizaine d’années, nous serions montés au créneau tout de suite. Il faut que nous ayons des lieux de débat et du temps pour débattre entre nous, dans des endroits où on peut dire ce qu’on veut. On a le droit de dire des conneries. Aujourd’hui, je revendique le droit de dire des bêtises. Je ne suis pas sûre d’avoir raison, comme dit une de mes amies syndicalistes.

J’ai beaucoup de points dans mon intervention, mais j’aurais voulu discuter de ce qui nous oblige. Depuis ce matin, on n’arrive pas à dire pourquoi on utilise ces outils. On avait créé un texte avec un collègue qui s’appelle « Ce qui nous oblige et ceux qui nous obligent ». On n’a toujours pas dit pourquoi on le faisait depuis ce matin. On a dit que ce serait bien, comme cela, on diminuerait notre temps de travail, mais dans les faits, on se rend compte que ça intensifie notre travail. Ça nous pourrit la vie. On emmène du travail chez soi grâce ou à cause des ordinateurs. Je pourrais éventuellement le développer, mais je vais plutôt passer à la partie que j’ai appris à travailler au sein du chantier Travail et syndicalisme. On a parlé des outils qui nous arrivent par-dessus, je vous ferai remarquer le mode passif. Le monde est devenu numérique, c’est un mode passif et c’est inéluctable. Notre Direction Générale à l’INRIA nous a dit, dans un message, que le monde devient numérique est inéluctable, que le futur sera numérique ou ne sera pas. Ça se discute. C’est discutable. C’est pour cela que c’est important d’être là aujourd’hui.

J’ai appris, de cette chape qui nous arrive par le dessus, de partir du travail, c’est-à-dire de l’activité réelle, de la discussion que nous pouvons avoir avec nos collègues. On développe, au sein du chantier Travail, la démarche ergologique développée par le philosophe Yves Shvartz. Cela fait très longtemps qu’il l’a mise en place. Auparavant, ça s’appelait l’analyse pluridisciplinaire des situations de travail. C’est pour essayer de voir ce qui nous active, ce qui nous fait travailler. On travaille au milieu de plein de lois, de normes, de processus, et maintenant de logiciels qui nous font travailler, mais une fois qu’on a enlevé toutes ces lois, ces normes et ces processus, qu’est-ce qu’il nous reste, quelle est notre activité, qu’est-ce qui nous anime. Pour que vous compreniez, je vous donne un petit exemple des amis qui travaillent en ergologie. Ils ont développé un dispositif qu’on appelle Etonnant travailleur. C’est une espèce de dispositif où chacun va raconter quelques grammes de son activité, quelques minutes de son activité, puis s’est mis en débat au sein d’une petite assemblée de 40 ou 50 personnes.

À la première édition de ce dispositif, j’ai découvert que je n’étais pas seule à penser qu’il fallait mettre des accents sur les majuscules. Quand vous lisez un texte de journal, par exemple, vous voyez à Paris, mais il n’y aura pas l’accent sur la lettre a. C’était une éditrice qui le disait. Elle disait qu’il faut mettre des accents sur la majuscule. Je me suis, enfin, quelqu’un qui pense la même chose. Ça fait gamberger. On en discute avec les collègues. Du coup, je me suis intéressée à la question, même si c’est super anecdotique par rapport au sujet lourd d’aujourd’hui, mais c’est pour vous montrer comment un agent ou un salarié peut être mis face aux outils informatiques. J’ai découvert une discussion sur Internet ou des gens se posaient la question : est-ce qu’on met des accents sur les majuscules ? Sur les claviers d’ordinateur, c’est un peu compliqué, ça dépend de votre clavier. Il y a des gens qui disent que c’est trop facile, je mets des majuscules accentuées dans un coin de mon texte, et quand j’en ai besoin, je fais un copier-coller et je le mets là où j’en ai besoin. Il y en a un autre qui dit, c’est trop simple, il suffit d’appuyer sur la touche Alt 0192. Une autre a dit qu’elle a toujours cru qu’il ne fallait pas mettre d’accent sur les majuscules. Pour cause, je n’ai jamais trouvé comment on fait sur un ordinateur. Je croyais que ceux qui ont inventé l’ordinateur savent tout sur tout, donc il est normal qu’il n’y ait pas d’accent sur les majuscules. Un autre qui dit qu’il faut avoir un Mac, comme l’a dit ce matin notre ami et collègue Ivan Lavallée, ça règle tout. Enfin, la phrase qui tue : j’ai un clavier québécois et on peut facilement écrire toutes les accents nécessaires pour le français et même plus.

Je me suis posée la question. C’est pour donner le rapport des personnes face à l’informatique. Pourquoi on n’en parle pas plus que ça ? Pourquoi on ne critique jamais ces outils-là ? Il n’y a pas d’évidence. Une des hypothèses que je fais, c’est que pour oser en parler et mettre en critique, il faut peut-être être informaticien. J’ai envie de vous poser la question. Dans la salle, qui n’est pas informaticien ? Vous êtes assez nombreux. Le sujet intéresse nos informaticiens. Pour se mettre en capacité, c’est quelque chose que je défends avec beaucoup de mes collègues chercheurs à l’INRIA, on défend le fait qu’il faut apprendre l’informatique à l’école, mais l’informatique, ce n’est pas le mode d’emploi de Windows, de Word ou d’Open Office, ce sont les bases, le b a ba. On fait de l’algorithmique en faisant un collier de perles. On met trois perles jaunes, deux bleues, trois jaunes, deux bleues. C’est un algorithme. On peut le faire en maternelle. Nous pouvons faire des choses de base tout au long de la scolarité. L’enseignement en informatique est en train de se mettre en place tout doucement. On parle d’organiser un CAPES d’informatique.

Je reviens à mon idée de départ. Tout cela est vraiment discutable. A mon avis, la vraie innovation que nous pouvons mettre en place, c’est de continuer à conserver du temps. Nous pouvons gagner du temps puisque les outils nous font gagner du temps, en principe, pour travailler, s’occuper de sa famille, de sa vie, pour militer, parler du travail et pour discuter. Pour terminer, je vais revenir sur la question de la dématérialisation et de la numérisation qui ferait diminuer le nombre d’emplois. Dans notre institut de recherche, nous sommes deux personnes au moins de l’INRIA ici, il a été décidé de diminuer le nombre d’ingénieurs techniciens de 80 en cinq ans. Pour cela, il a été décidé de mutualiser les services RH et le service des affaires financières. Comment ? Grâce à un logiciel, bien sûr. Nous avons fait pas mal de luttes syndicales, d’assemblée générale, de discussions, de ceci ou de cela. On a montré, en CHSCT, le travail réel. On a une préconisation révolutionnaire qui était d’attendre que les logiciels fonctionnent avant de changer les affectations. Rien n’y a fait. Au bout de deux ans, ils voulaient supprimer 80 postes. La réalité est que 68 personnes fonctionnaires titulaires sont parties. Récemment, ils nous ont annoncé qu’ils avaient embauché l’équivalent en CDD, 66 personnes en CDD. Ce qui veut dire que nous avons remplacé des titulaires par des contractuels. Ce qui veut dire aussi que toute l’expérience des personnes qui étaient s’est évanouie. J’en prof ite pour revenir sur la formation que plusieurs personnes ont évoquée. C’est un sujet super important. Ça n’a pas de réponse simple, à mon avis, cela devrait partir du travail réel. Si ça va très vite, c’est disruptif. On risque de casser une chaîne dans la formation. Si on a de moins en moins d’informaticiens, à un moment donné, on aura de moins en moins de formateurs, donc moins de formateurs, etc.

Jean – Luc Molins

Collectif confédéral Développement industriel et numérique, Ugict-CGT

J’en profite pour saluer le document qui est sorti et émane du Collectif numérique qu’anime Didier Lassauzay, qui appartient au Collectif DIN mais sur la partie numérique. C’est lui qui a animé ce travail. Dans ce document, il y a des axes de réflexion. C’est un premier document confédéral sur les enjeux liés au numérique. C’est utile d’avoir, encore une fois, une réflexion dans la CGT sur les enjeux qui sont posés, notamment comment nous pouvons mettre le numérique au service de la citoyenneté, du syndicalisme et de l’engagement syndical. Sur la question qui nous est posée aujourd’hui, je vais traiter l’axe travail et comment, en tant que syndicaliste, on la travaille, y compris à l’Ugict-CGT. Par rapport à ce qui a été dit, on a engagé le travail au dix-septième congrès de l’Ugict-CGT. C’était déjà un axe fort du mandat précédent. En mai 2014, nous avions décidé d’engager la campagne sur le droit à la déconnexion et la réduction du temps de travail. Pour l’Ugict-CGT, ça ne date pas d’hier. Ça fait longtemps qu’on travaille sur ce sujet et qu’on a pointé des enjeux sur lesquels, pour les ICT, il était important d’investir une activité syndicale réfléchie et construite, pour construire le numérique autrement. Construire le numérique autrement, c’est le site que nous avons ouvert sur lequel vous trouverez toutes les productions de l’Ugict-CGT concernant le numérique pour construire le numérique autrement, comme le nom du site l’indique. Tous les témoignages que nous avons eus dans la journée montrent que le numérique n’est pas construit pour servir le progrès social et le progrès environnemental, mais au contraire, il est utilisé par le capital pour accroître les marges dans les entreprises et mieux rémunérer le capital. Je ne m’étends pas là-dessus. Je reviendrai en détail sur les propositions structurantes que nous faisons là-dessus déjà depuis plus d’un an.

Je vais traiter de l’Intelligence Artificielle, le sujet d’aujourd’hui. Ivan Lavallée nous a dit, ce matin, que l’Intelligence Artificielle, c’est de l’algorithme, de la data et de la probabilité. Je vais décomposer les trois. Algorithme, si on regarde à travers le prisme du travail qui, en tant que syndicalistes, nous intéresse, quelle place lui donne-t-on dans le travail. C’est fondamental. Il y a eu un questionnement là-dessus. Est-ce que cela doit être une aide à la décision ou est-ce que cela doit remplacer l’humain et procéder à la décision à la place de l’humain ? Vous connaissez la réponse. Nous ne sommes pas pour substituer la machine à l’homme. Cela étant, ce sont des questionnements qu’il faut avoir quand on conçoit les algorithmes pour savoir quelle place nous allons leur donner dans cette relation de travail. Ensuite, qui a le droit d’éditer un algorithme ? Qui le contrôle ? Quels sont les critères ? Il y a la question de l’audition des algorithmes. On dit souvent que le numérique sert à fliquer les salariés et à tracer leur activité, mais il faut retourner le problème. Pourquoi on n’utiliserait pas le traçage que permet le numérique pour fliquer l’activité des entreprises ? C’est ce qu’il faut qu’on fasse, qu’on réfléchisse à ces choses là. Industrie Eole Europe, dans son programme de décembre 2015, porte cette question, de tracer les conditions sociales et environnementales de fabrication. Pourquoi nous, en tant que syndicaliste, nous ne poserions pas ces sujets-là, au lieu de faire de la RSE de façade comment le font les entreprises ? Pourquoi nous n’imposerions pas de pouvoir utiliser le numérique pour construire le numérique autrement, c’est-à-dire tracer l’activité des entreprises ? Comment sont produits les produits manufacturés et les services ?

La dimension éthique était très présente dans les débats. Tous les ans, l’Ugict-CGT fait un baromètre avec l’Institut ViaVoice. Ce qui remonte de manière lancinante et constante, c’est que les cadres rencontrent des problèmes éthiques dans le cadre de leur activité professionnelle. Il en est de même pour les professions intermédiaires. Nous avons 54 % de cadres, pour le dernier baromètre 2018, qui rencontrent des problématiques dans le cadre de leur activité professionnelle. La proposition de l’Ugict-CGT est de dire qu’il faut que les cadres puissent disposer d’un droit d’alerte pour refuser de mettre en oeuvre une consigne contraire à l’éthique professionnelle. C’est une revendication qui porte chez eux puisqu’ils sont 59 % vouloir disposer de ce nouveau droit. La question qui est posée, c’est comment construire les nouveaux droits qui doivent accompagner la transformation numérique des entreprises et des organisations du travail. C’est là-dessus qu’il faut qu’on avance. C’est un sujet sur lequel ils sont sensibles et sur lequel on a des possibilités de mobilisation.

Dernier point, le droit à la représentation et garantir le droit à la négociation collective. À l’heure où vous avez une plateformisation, c’est l’expression d’Antonio Casilli, chercheur à Télécom Paris Tech et l’Ecole des hautes études en sciences économiques et sociales. Il utilise ce terme de plateformisation de la relation de travail à travers les soi-disant indépendants, mais aussi les entreprises qui se plateformisent de plus en plus. La question, quel que soit le statut des travailleurs et des travailleuses, c’est la question d’un droit à la représentation de manière à ce que le syndicalisme puisse agir et éviter qu’on utilise des sous-salariés pour porter atteinte au droit existant à travers le Code du travail et notre système de protection sociale. Nous avons besoin de rassembler tout le monde. C’est pour cela que c’est important qu’on engage un travail syndical là-dessus.

La question de la data, cela a été dit avant moi, il y a la question du choix de la data. Si vous n’avez pas des données de qualité, vous aurez des algorithmes qui feront n’importe quoi. C’est important d’en avoir suffisamment et de qualité. Ensuite, concernant les données, il y a les choix en termes de techniques de codage. Vous pouvez avoir des données contenant des implicites qui induiront en erreur, y compris les chercheurs quand ils utiliseront ces données. Des études ont été faites là-dessus. C’est important de prendre en compte tout cela pour se rendre compte que, oui, on a raison quand on dit que c’est important, que le dernier mot doit revenir à l’humain. C’est lui qui doit avoir prise sur la machine et c’est bien la machine qui doit faciliter son travail et pas décider à sa place. Les problèmes éthiques, à mon avis, les algorithmes n’en ont pas tellement. Par contre, la question du sens du travail et la question de l’éthique pour un humain, c’est quelque chose qui existe et qui est prégnant.

Je vais rapidement passer sur les enjeux de formation, mais il faut savoir que ces enjeux de formation sont fondamentaux. A partir du moment où la relation de travail est modifiée avec l’Intelligence Artificielle, on a besoin de savoir comment on va se situer professionnellement à travers l’utilisation et la nouvelle place que nous allons avoir dans le processus de travail, ce qui veut dire que la formation doit inclure un nouveau volet. Ce n’est pas seulement le métier qui évolue sur lequel il va falloir professionnellement suivre les évolutions. L’APEC, l’Association Pour l’Emploi des Cadres a fait d’excellentes études sur l’évolution des métiers en termes de contenu. Il y a aussi la question de l’utilisation des outils. C’est une dimension nouvelle. Aujourd’hui, quelqu’un qui a un métier, même si ce métier évolue et même s’il doit suivre une formation pour suivre les évolutions de ce métier, il doit, en plus, se former à la question de l’utilisation des nouvelles technologies pour pouvoir exercer pleinement son activité et sa qualification. C’est un élément nouveau qu’il est important de prendre en compte.

Dernière chose, sur le site le numérique Autrement où vous trouverez toutes nos productions, il y a 24 propositions concrètes que nous mettons en débat. Elles ont besoin d’être discutées et affinées au plus près des réalités et du terrain. Elles concernent six chantiers :

  • Le premier porte sur la nécessité de développer l’emploi qualifié et de diminuer la charge et le temps de travail. C’est unir progrès technologique et progrès social. C’est inscrire ces évolutions technologiques dans le sens du progrès social, c’est-à-dire la réduction du temps de travail, du temps libéré, une facilitation du travail, une relaxation du temps de travail. Relaxer le temps de travail, c’est le chercheur Christophe Degryse qui l’utilise, il faut aller sur la dés-intensification du travail. C’est lutter contre l’intensification du travail qui a été évoqué et qui existe.
  • La formation, reconnaissance de la qualification. Cela veut dire plus de salaires. Ce n’est pas seulement produire plus et être plus qualifié. Ça doit se voir aussi en termes d’évolution de carrière.
  • Changer le management.
  • Garantir la santé au travail et l’équilibre vie privée et vie professionnelle, c’est le droit à la déconnexion. C’est ce sur quoi nous avions déjà travaillé en 2014.
  • Développer des droits collectifs, la coopération et notre modèle social. C’est la question de la plateformisation de la relation de travail et comment arriver à ne pas exclure certains travailleurs et certains travailleurs de la protection sociale et du droit du travail.
  • Garantir les droits et les libertés. Ça a été évoqué, ce sont les questions des données personnelles, comment, y compris au travail, on a droit à une vie privée. L’employeur n’a pas à tout savoir quand on est au travail.

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