Intervention de Philippe Martinez
Secrétaire général de la CGT
Je tenais à saluer cette initiative pour plusieurs raisons, mais la raison essentielle, c’est le fait de montrer encore plus que la CGT s’intéresse à tout. La CGT est présente sur tout ce qui concerne le monde du travail, donc tout ce qui concerne l’avenir du travail. Évidemment, je dis cela en pesant mes mots parce que face à ceux qui ont tendance volontairement à vouloir nous cantonner dans une image de dinosaure, d’organisation syndicale du passé, nous faisons la démonstration tous les jours, peut-être pas encore suffisamment, que nous sommes une organisation syndicale moderne, bien dans son temps, nous avons des progrès à faire sur un certain nombre de choses, mais bien dans son temps et tout nous intéresse. Il n’existe aucun sujet, notamment ceux qui concernent l’Intelligence Artificielle, mais plus globalement ce qu’on appelle les progrès technologiques, qui nous feraient peur. Il faut qu’on soit encore plus présent sur ces questions parce que si nous ne sommes pas présents, d’autres s’en occupent, et le peu que j’ai entendu de vos débats montre qu’ils s’en occupent, mais à leur façon.
Cette question est essentielle. Nous avons besoin de comprendre ces phénomènes, donc écouter tout le monde pour se faire une opinion entre le mythe et la réalité. Quand on annonce sur des soi-disant rapports scientifiques que des évolutions technologiques peuvent supprimer 50 000, 60 000, 70 000 emplois dans notre pays, nous avons besoin de vérifier si c’est une réalité ou si ce n’est pas pour nous faire accepter, en tout cas pour faire accepter au monde du travail d’autres reculs sociaux. Il est essentiel de comprendre, entre nous et avec d’autres, ce qui est en jeu. Comprendre aussi pour intégrer des questions qui sont « notre coeur de métier ». Evidemment, ce sont les questions sociales, les questions d’emploi, les questions de reconnaissance de qualification, les questions du contenu du travail qui est déjà un problème aujourd’hui pour bon nombre de salariés. C’est d’ailleurs un des thèmes majeurs de notre prochain congrès, qu’est-ce que c’est que le travail, quel est le sens du travail, qu’est-ce que cela veut dire bien travailler. Ces questions seront accentuées avec ces évolutions. Mais au-delà, se posent évidemment des questions éthiques qui nous intéressent aussi, y compris en termes de sécurisation des données.
Nous sommes confrontés et nous continuerons à être confrontés, évolution ou pas, c’est pour cela que je dis qu’il faut comprendre, à des arguments du gouvernement et du patronat que nous connaissons par coeur. Quels moyens on donne à la recherche pour continuer, pour essayer de rester au top niveau ? Chaque fois que je croise des chercheurs, j’en ai croisé quelques-uns dans la dernière période, ils cherchent plus de l’argent que de temps passé à faire leurs travaux. Cela reste un vrai problème dans ce pays où on nous parle beaucoup de recherches, de high-tech, de start-up. Je crois que c’est un des mots préféré du président de la République, mais quand on croise des chercheurs, ils cherchent de l’argent. Quand ils n’arrivent pas à en trouver notre pays, ce qui est souvent le cas, ils vont chercher ailleurs. Le problème majeur aujourd’hui, ce sont ces fuites de cerveaux dans les labos de recherche parce qu’on ne reconnaît pas non seulement leur travail, mais y compris leur qualification, parce que des chercheurs au SMIC, il y en a quelques-uns, voire en dessous du SMIC. C’est un problème. Quand on met en avant l’humain, la qualification et toutes ces questions, on est obligé d’évoquer ces questions. Nous sommes bien au coeur de la raison d’être de la CGT.
Deuxième aspect, ce sont les questions d’indépendance industrielle et de défense nationale. Là aussi, notre président de la République fait une tournée à l’occasion du centenaire. Il est en train d’essayer de nous vendre que la reconversion de l’acier s’est bien passée. Le constat que nous faisons, c’est que notre pays recule en matière industrielle, y compris parce que nous avons été absents et nous sommes absents depuis des années dans la recherche, sur des produits qui devraient être conçus et réalisés dans notre pays. On est dépendant. Je travaille chez Renault. Je ne sais plus qui a parlé du véhicule autonome. Galileo, il y a quinze ans, on me disait, dans six mois, c’est bon. Aujourd’hui, 10 % des véhicules et des composants d’un véhicule automobile sont fabriqués en France. Je crois que 8 % sont fabriqués chez Renault. Ça pose des problèmes. Mes collègues chercheurs, techniciens, ingénieurs et cadres, au Technocentre de Guyancourt, ne sont pas plus bêtes que les autres. Ça pose aussi des questions de défense nationale. Si ma mémoire de métallurgiste est bonne, quand la majorité des composants de nos avions, y compris de nos avions militaires, est fabriquée très loin de chez nous et peut être maîtrisée à distance, ça pose aussi des questions de défense nationale. Comme c’est un sujet d’actualité qui intéresse depuis très longtemps la CGT, ce sont aussi les questions environnementales. On parle beaucoup, dans la période, de CO2, de taxe sur le pétrole, mais ces mutations, quel contrôle en ont les citoyens sur les effets environnementaux. Il y a des vraies questions démocratiques qui se posent. Quand on fabrique des composants ou autre chose dans des pays où les règles sociales, je n’en parle même pas, et les règles environnementales ne sont pas respectées, je ne pense pas forcément à des pays lointains qu’on appellerait émergents, il me semble que dans un grand pays de l’autre côté de l’Atlantique sur les questions environnementales, en tout cas celui qui dirige ce pays n’a pas tout à fait la même vision que nous des enjeux environnementaux. Ces questions doivent être au coeur de l’activité de la CGT. Dans un contexte international qui est de plus en plus compliqué, maîtriser ces technologies et être au coeur de ces enjeux, c’est de la responsabilité de la CGT. Cette initiative doit être saluée comme elle se doit, mais en même temps, comme de nombreuses choses que l’on fait à la CGT, parfois, nous faisons des choses très bien mais nous ne sommes pas assez fiers de ce que nous faisons. Ce genre de débats doivent être menés partout en étant fiers de ce qu’on fait et fiers de ce qu’on porte pour donner aux salariés et aux citoyens en général, pas l’image de la CGT portée par certains, mais la vraie image de la CGT, c’est-à-dire une CGT ouverte qui s’intéresse aux évolutions du monde et qui ne laisse personne de côté. C’est bien un enjeu majeur de la période.
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