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Ambition de la France, moyens et rôle de l’État

Bertrand PAILHES

Coordonnateur national pour la stratégie d’Intelligence Artificielle

Je travaille dans les services du Premier ministre. Je suis Coordonnateur national de la stratégie pour l’Intelligence Artificielle. Mon rôle est de mettre en oeuvre la stratégie présentée en mars dernier par le président de la République, sur la base du rapport de Cédric Villani sur l’Intelligence Artificielle. Ce n’est pas très original pour la France de faire une stratégie d’Intelligence Artificielle, tous les pays le font, mais pour autant, on peut se poser la question, pourquoi faire une stratégie sur l’Intelligence Artificielle. Les exemples que nous avons eus précédemment montrent que ces technologies se déploient sans intervention particulière du gouvernement et, comme cela a été mentionné, les entreprises sont intéressées par cette problématique. Elles ont identifié des leviers de création de valeur. Les chercheurs eux-mêmes sont très mobilisés sur la question.

À nouveau, pourquoi faire cette stratégie ? Deux objectifs principaux qui ont guidé à la fois la commande de ce rapport à Cédric Villani et la stratégie exposée par le Président. D’une part, c’est essayer de faire porter, par l’Intelligence Artificielle, des valeurs françaises et européennes, donc d’inclure dans cette Intelligence Artificielle une finalité qui a été résumée comme une Intelligence Artificielle au service de l’humain. C’était le titre du rapport et le titre de la conférence de mars dernier. C’est une dimension importante. C’est une dimension où l’Europe, et singulièrement la France, se distingue des autres grandes régions en avance en Intelligence Artificielle. Deux pays sont très en avance et mettent beaucoup d’investissements, à savoir la Chine et les États-Unis. La Chine, pour donner un ordre de grandeur, ce sont 13,5 milliards d’euros sur trois ans. C’est beaucoup plus que ce que la France peut mettre. C’est probablement équivalent à ce que l’Europe mettra en additionnant tous les pays européens. Il y a une recherche fondamentale sur l’Intelligence Artificielle et sur laquelle je reviendrai, mais c’est aussi une vision de l’Intelligence Artificielle qui porte les valeurs de ces organisations politiques. Pour donner un exemple, en Chine, il y a des développements très avancés sur un crédit social de la population, qui fait de la reconnaissance faciale partout dans un grand nombre d’espaces publics pour moduler ce crédit social qui permet l’accès au logement, l’accès au travail. C’est une vision assistée qui n’est pas celle que nous partageons en Europe et qui n’est pas celle partagée par les États-Unis, qui ont par ailleurs des intérêts industriels très forts, avec des acteurs très puissants dans le domaine de l’Intelligence Artificielle.

La proposition politique exprimée par la France, qui a d’ailleurs rencontré un certain écho chez nos partenaires Européens, Canadiens, Japonais, notamment dans le monde occidental, c’est cette notion d’humanité qui doit être au coeur de la stratégie. Le deuxième objectif de cette stratégie, pourquoi nous l’avons fait, c’est parce qu’on pense que l’Intelligence Artificielle est un élément important de la future création de valeur. Comme le numérique en général, ça va changer la manière dont la valeur se répartit dans un grand nombre de secteurs. Les exemples qui viennent d’être cités le soulignent. Ça a été le cas dans l’industrie. La grande nouveauté de l’Intelligence Artificielle, c’est que ça automatise beaucoup de tâches et de services qui étaient moins concernés par cette question dans les années 80. L’enjeu est de localiser la valeur créée par ces technologies, de ne pas être uniquement des consommateurs de technologies développées ailleurs, mais aussi voir comment nous pouvons nous-mêmes développer des entreprises, des emplois, des capacités de recherche sur ce sujet.

La stratégie a été définie autour de quatre axes qui ont été présentés par le Président. Le premier, qui est très lié à ce dernier point sur la création de valeur, c’est de renforcer l’écosystème, notamment l’écosystème de recherche. Dans la présentation que nous avons eue sur l’Intelligence Artificielle, on a souligné l’importance de la dimension de recherche publique et privée, qui est une caractéristique particulière de ce secteur où la recherche privée est de plus en plus importante. La dimension de recherche est vraiment la clé de l’avance technologique et de l’avance dans le développement des entreprises. La capacité à inventer les nouveaux algorithmes d’une part et avoir les données d’autre part, ce seront les vrais différenciant de l’Intelligence Artificielle. Je dis souvent qu’il y a deux piliers de base dans une stratégie, ils ont été évoqués, ce sont les données et les talents. On ne peut pas faire d’Intelligence Artificielle si on n’a pas de données. On ne peut pas faire de l’Intelligence Artificielle si on n’a pas les talents. Le premier axe est un axe sur les talents, considérant que les talents les plus pointus et les plus exigeants sont dans le domaine de la recherche. Il se trouve que nous avons des capacités particulièrement importantes et performantes en France. Nous allons choisir, dans les prochains jours, entre quatre et six instituts interdisciplinaires de l’Intelligence Artificielle qui seront répartis sur le territoire. Ils seront nos têtes de pont en matière de recherche sur l’Intelligence Artificielle avec cette notion d’interdisciplinarité qui porte justement la question des valeurs, la question de ne pas avoir uniquement une approche technologique de l’Intelligence Artificielle, mais aussi inclure les sciences humaines et sociales, et une réflexion sur les effets de l’Intelligence Artificielle sur les entreprises, le travail, la société en général. Le deuxième volet, ce sont évidemment les données. C’est le deuxième pilier. Le gouvernement a une stratégie d’ouverture pour renforcer les données. Ce sont les données publiques, la constitution de bases de données de travail intéressantes pour les chercheurs, les entreprises, notamment les entreprises innovantes. Il y a aussi la question de la circulation et de l’accès aux données. On pense à ce qu’on appelle les données d’intérêt général qui sont les données détenues par des acteurs privés. On estime qu’elles devraient être mieux partagées pour en tirer le maximum de bénéfices.

Sur la base de ces deux piliers, le troisième axe de la stratégie est d’avoir une stratégie orientée autour de projets relativement concrets. Nous arrivons à une dimension importante de l’Intelligence Artificielle. Il y a beaucoup de débats théoriques sur le sujet, mais nous l’avons vu dans les exemples exprimés juste avant, nous sommes déjà dans la mise en oeuvre. La question est de penser les algorithmes de demain, d’avoir les capacités de recherche, mais c’est aussi de déployer, à un rythme compétitif vis-à-vis de l’ensemble de nos partenaires et concurrents, l’Intelligence Artificielle dans un certain nombre de secteurs. Je citerai deux secteurs clés, le secteur de la santé où le Président a annoncé la création d’un hub des données de santé dont l’objectif est de rassembler un certain nombre de données de santé, les données de la CNAM, du SNDS (Service National des Données de Santé), et d’autres types de données comme les données cliniques des hôpitaux, pour découvrir de nouvelles possibilités dans le domaine de la santé, notamment dans le diagnostic médical, mais également dans la détection d’interactions médicamenteuses qu’on a du mal à détecter. Le deuxième exemple, c’est le véhicule autonome. C’est un enjeu important pour la filière industrielle française. Une stratégie a été présentée en mai, dont l’objectif est de se doter, avec les principaux constructeurs, mais aussi les équipementiers comme Valeo qui va ouvrir un centre d’Intelligence Artificielle à Paris, d’autres équipementiers et des start-up, la capacité à se positionner sur cette question du véhicule autonome. Il y a une dimension technologique, reconnaître les panneaux et la vision, et il y a surtout une dimension afin de permettre le déploiement de ces véhicules et le développement de ces véhicules en France et en Europe, ce qui veut dire passer par des phases d’expérimentation sur les routes à brève échéance en France.

Enfin, le quatrième volet très important qui distingue notre stratégie de celle d’autres pays, c’est ce volet éthique qui vise à essayer de construire ce développement de l’Intelligence Artificielle, en ayant une réflexion éthique concomitante. Elle se fait à deux niveaux. Le premier niveau sera au niveau international. Le Président souhaite la mise en place d’un groupe international d’étude sur l’Intelligence Artificielle sur le modèle du GIEC pour le climat, afin d’avoir un ensemble de scientifiques qui réfléchissent sur les impacts de l’Intelligence Artificielle et produisent des recommandations qui orienteraient les politiques publiques des gouvernements. Au niveau national, c’est la volonté de s’orienter vers un débat éthique, probablement sur le modèle du Conseil consultatif national d’éthique sur la bioéthique dans le domaine de la santé afin de construire cette réflexion. L’année 2019 sera clé pour construire ces institutions avec l’ensemble des parties prenantes. Je voudrais terminer sur la conviction que nous avons au sein du gouvernement sur l’Intelligence Artificielle. D’une part, je partage ce qui a été dit sur ce qu’on appelle l’Intelligence Artificielle générale, c’est-à-dire la création d’une Intelligence Artificielle avec un niveau d’intelligence comparable aux animaux ou aux hommes. Je partage l’idée que c’est un horizon relativement lointain sur lequel il faut se préparer, mais qui n’est pas l’enjeu d’aujourd’hui, du point de vue de la recherche, du déploiement dans les entreprises ou de l’impact sur la société. C’est un point sur lequel nous avons des équipes de recherche qui vont avancer sur ce sujet, mais il faut avoir conscience que l’Intelligence Artificielle est parmi nous. Elle est déployée dans d’autres pays, par d’autres entreprises, par certaines entreprises en France. Elle n’est pas toujours accompagnée de cette réflexion éthique sur les valeurs. Il faut systématiser ce type de réflexion. La réalité est parfois plus prosaïque que ce qu’on lui fait porter. Dans de nombreux cas, c’est une amélioration d’une procédure. C’est un système d’apprentissage qui n’est pas forcément très compliqué, mais qui peut avoir, si on ne le maîtrise pas, ce syndrome de ne pas comprendre ce qui se passe.

Mon message aux administrations, puisqu’il y a un volet de transformation publique dans le plan d’Intelligence Artificielle, et aux entreprises, c’est de pratiquer et d’essayer l’Intelligence Artificielle. Pour cela, il faut avoir les données, il faut avoir les talents. Dans certains cas, il faut peut-être acheter des solutions sur étagère, mais dans de nombreux cas, notamment quand ça touche le coeur du métier des organisations, il faut se doter de moyens, essayer de bien comprendre les données, quel type de compétences on a besoin pour développer une librairie de machine learning ou d’apprentissage sur ces données, de voir les effets du point de vue du service rendu et des objectifs de l’organisation, et de penser les effets sur l’organisation générale du travail, que ce soit une administration ou une entreprise. Effectivement, ça a été mentionné, dans un certain nombre de cas, ça va automatiser des procédures, ça va accélérer certaines possibilités, mais dans certains cas, ça va donner de nouveaux outils à des agents qui devront apprendre à les comprendre et s’en servir.

 

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