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Éditos

À propos – novembre 2020

Article mis en ligne le 30 novembre 2020, publié dans Options n° 661

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Sondage Ugict : un vécu critique qui s’approfondit

La dernière livraison du sondage réalisé régu- lièrement par l’institut Viavoice pour le compte de l’Ugict fournit d’intéressants éclairages sur le Covid, le confinement, le plan de relance gou- vernemental… Alors que la vie politique du pays semble se résumer à deux chiffres, celui des admissions hospitalières et celui des décès, les réponses des cadres aux questions annuellement posées témoignent de la permanence, dans le travail, du ravage opéré par les politiques des directions et par les politiques publiques.

Pour ne s’en tenir qu’à des chiffres essentiels 1, 64 % des cadres estiment que le plan de relance du gouvernement ne sera pas efficace. Ce désaveu déjà considérable – près de sept cadres sur dix – est lui-même éclairé par l’ampleur de la réponse à une autre question. Interrogés pour savoir si, selon eux, les exonérations et les aides publiques prévues pour les entreprises devraient être sou- mises à différents critères (politiques d’emploi et d’embauche, niveaux de salaire et efforts de pro- tection de l’environnement), les cadres répondent positivement à hauteur de 84 % ! L’écart est donc énorme entre les orientations mises en œuvre par la puissance publique et l’opinion des cadres. Il s’explique en grande partie par la défiance qui solde le bilan social de la dernière période, carac- térisé par de grandes réformes structurelles qui, loin de faire consensus, divisent profondément l’opinion publique. C’est ainsi que 43 % des cadres estiment que le gouvernement devrait renoncer à sa réforme de l’assurance chômage et, à 54 %, souhaitent qu’il abandonne celle des retraites.

Confinement et réalités des pratiques managériales

Ces appréciations s’enracinent dans un vécu aux antipodes de toute dynamique de progrès et d’es- poir. C’est ainsi que 49 % des cadres estiment que leur évolution professionnelle a été stagnante ces dernières années. Et ils sont 53 % à estimer qu’elle stagnera dans les années à venir. On est d’emblée loin des sursauts et mobilisations profession- nelles que la période exige. Tout le reste est d’ail- leurs à l’unisson, à commencer par le salaire. Ce carburant de l’investissement professionnel est aujourd’hui vidé de sa capacité propulsive : 47 % le jugent en inadéquation avec leurs responsabi- lités et 49 % avec leur qualification, tandis qu’ils sont 56 % à estimer qu’il est décalé de leur temps de travail réel, et 57 % de leur charge de travail. Malgré tout, l’implication des cadres demeure haute ; ils sont d’ailleurs 62 % à constater que leur salaire n’en tient pas compte…

Sur ce socle de mécontentement prolifèrent des pratiques managériales dont la qualité et la mise en œuvre sont loin de convaincre les cadres qui en sont à la fois objets et acteurs. Pour 44 % d’entre eux – 3 points de plus que l’année der- nière –, elles se sont dégradées, tandis que pour 44 % d’autres, elles n’ont pas changé, crise ou pas crise. À titre d’illustration, 58 % des cadres jugent que le système d’évaluation individuelle de leur entreprise n’est pas transparent. Seuls 37 % le pensent fondé sur de bons critères.

Dans ce cadre managérial dégradé, le niveau d’intégration aux choix stratégiques des entre- prises renvoie à un état des lieux doublement calamiteux. Environ 72 % des cadres estiment qu’ils ne sont pas associés à ces choix ; ce niveau correspond exactement à celui de 2014, et n’a pas varié depuis. Une telle stabilité en dit long sur la sincérité des discours managériaux tenus par les théoriciens patronaux sur la gouvernance des entreprises et sur leurs bonnes pratiques.

Ces différentes réponses – quel que soit leur degré de sincérité – signalent un « laisser-fairisme » pragmatique, rythmé par le stress et par la mécanique instrumentalisée des contraintes du contexte sanitaire. De fait, 61 % estiment que leur charge de travail a augmenté, et 53 % que leur temps de travail s’est allongé. Ce qui conduit 59 % d’entre eux à travailler pendant les jours de repos. Là encore, ce chiffre – d’une grande stabilité ces dernières années – témoigne bien qu’on est face à une organisation du travail et non face à d’éven- tuels débordements conjoncturels. Sur ce plan, les nouvelles technologies et leurs usages jouent un rôle central. Trois cadres sur quatre déclarent ainsi les utiliser pour leur usage professionnel et sur leur temps personnel. Ce qui conduit 69 % d’entre eux à souhaiter bénéficier d’un droit effectif à la déconnexion, pour protéger leur vie privée et leur santé. Pour mémoire, ils n’étaient que 56 % en 2016 à souscrire à cette idée ; le résultat de 2020 accuse une hausse de 9 points par rapport à l’année précédente, ce qui renvoie en partie au management mis en œuvre à partir de la généra- lisation d’un télétravail en mode dégradé.

Des droits, des droits ! pour l’emploi et pour le climat

Interrogés pour savoir à qui ils font confiance pour la défense de leurs droits, les cadres témoignent d’un isolement internalisé : à 46 %, ils l’accordent d’abord… à eux-mêmes. Les organisations syndi- cales arrivent loin derrière avec un taux de 25 % devant les avocats (11 %), leurs directions (9 %), les pouvoirs publics (8 %) et enfin les partis politiques (1 %). Le petit 9 % accordé aux directions d’entre- prises prend tout son sens lorsqu’on rapproche la question des droits de celle de l’éthique profes- sionnelle. En effet, 53 % des cadres estiment que leur éthique professionnelle entre en contradic- tion avec les choix et les pratiques réelles de leur entreprise ou de leur administration. Alors que 47 % estiment au contraire qu’il n’y a pas conflit, ils ne font pas pour autant confiance à leurs direc- tions en termes de droits.

On retrouve cette configuration dans les réponses apportées à la question d’un accès au droit d’alerte dans le cadre de leurs responsabilités, d’un droit permettant de refuser de mettre en œuvre une directive contraire à l’éthique individuelle. S’ils sont 57 % à répondre positivement, force est de constater que ce pourcentage accuse une baisse constante depuis l’année 2016, où ils étaient 62 %. Cette évolution se vérifie dans l’augmentation de 4 points de ceux qui se déclarent contre. Un peu comme si cette liberté apparaissait à la fois hors de portée au vu du management autoritaire qui prévaut et pouvant responsabiliser – au mauvais sens du terme – le cadre qui en userait dans un contexte peu enthousiasmant.

Face à quoi, ils opposent des priorités claires, en plaçant en tête (64 %) l’équilibre entre vie profes- sionnelle et vie privée. Le salaire arrive en seconde position (52 %) et le contenu et le sens de leur travail en troisième position (49 %). Notons que la carrière arrive en dernière position (15 %) ce qui, là encore, en dit long sur l’impact démobilisateur des politiques patronales, sans doute accru par le caractère intensif du télétravail. De fait, 75 % des cadres jugent que les pratiques favorisent les durées excessives de travail sans garantir un quel- conque droit à la déconnexion. Dernier message, véritable clin d’œil lancé à la crise sociale et clima- tique, ils sont 66 % à penser utile que les instances représentatives du personnel puissent avoir le droit de suspendre la décision d’une entreprise en matière d’emploi ainsi que sur les questions environnementales. À bon entendeur…

Pierre TARTAKOWSKY

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