Frappés de plein fouet par les mesures de confinement, les professionnels du spectacle vivant veulent travailler.
C’est essentiel pour eux et pour toute la société, défendent-ils. Explication et précisions sur les revendications de tout un secteur.
ENTRETIEN AVEC DENIS GRAVOUIL, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES SyNDICATS DU SPECTACLE, DU CINÉMA, DE L’AUDIOVISUEL ET DE L’ACTION CULTURELLE (FNSAC).
Options : Le 13 novembre, la Fnsac-Cgt a appelé à une nouvelle mobilisation pour défendre le cinéma et le spectacle vivant. Comment s’est passée cette journée ?
Denis Gravouil : Avec 150 manifestants à Tulle, 250 à Nantes, 80 à Grenoble, 200 à Bordeaux et à Rennes ou encore 300 à Paris, elle a été un succès. Le 2 novembre, notre appel à se rassembler pour obtenir de l’État un soutien public massif au secteur du spectacle avait buté sur l’interdiction qui nous avait été faite de descendre dans la Cette fois, nous avons obtenu l’autorisation et nous avons démontré que les salariés et intermittents que nous représentons, qu’ils soient musiciens, auteurs, personnels administratifs ou d’accueil, danseurs, choristes, techniciens ou comédiens, ne sont pas décidés à s’en laisser conter.
– À quelle situation faites-vous face ?
– À une situation catastrophique. Si, dans le cinéma, des tournages sont encore possibles, nous avons de grosses inquiétudes pour l’année 2021. Non seulement, nous risquons d’assister à la disparition d’une multitude de petites salles mais aussi à un encombrement des sorties de films qui va compliquer leur rencontre avec le public. Dans le spectacle vivant, le désastre est total puisque, depuis huit mois maintenant, excepté pendant quelques semaines cet été, l’activité est à l’arrêt. À l’arrêt total même, comme dans ce que l’on nomme la musique « debout», les rencontres de rock ou de rap où, depuis le mois de mars, il n’y a plus eu aucun concert. Nous faisons face à une crise inédite dans l’histoire. Pendant les Première et Deuxième Guerre mondiale, le spectacle ne s’est pas arrêté. La culture a pu être instrumentalisée, comme elle l’a été sous le nazisme. Mais elle n’a jamais été sommée de se mettre en sommeil. Nous avons eu quelques inquiétudes après les attentats de 2015. Mais, si problèmes il y a eu, ils sont restés limités dans le temps et dans l’espace. Dans l’espace parisien, pour l’essentiel.
– Beaucoup de spectacles ou de films sont accessibles désormais en vidéo ou sur Dvd. Les réseaux sociaux leur offrent aussi un accès nouveau. Certains disent que c’est là une alternative satisfaisante en ces temps difficiles. Qu’en pensez-vous ?
– Effectivement, il est possible d’accéder à des spectacles ou à des films sur vidéo, de même que cela fait des années que les plateformes numériques jouent un rôle essentiel dans la diffusion de la musique. Mais nous ne pouvons pas nous en contenter. D’abord parce que les plate formes ne suffisent pas à faire vivre les chanteurs et les musiciens. Pour vivre et se faire connaître, ceux-ci ont besoin de se produire sur scène. Ensuite, nul ne peut rester indéfiniment enfermé chez soi devant un écran. L’espèce humaine est ainsi faite : elle a besoin de contacts et de rencontres. Les spectacles sont des éléments essentiels de la démocratie. Ce sont des moments où l’on réfléchit et où l’on partage des émotions. Des moments où l’on fait société. JeanLuc Godard disait que le cinéma était un « transport en commun ». Que dire de mieux ?
– Le gouvernement justifie la fermeture de tous les établissements culturels en soulignant qu’ils ne relèvent pas de l’« activité essentielle ». L’argument est-il fondé, selon vous ?
– Le gouvernement confond « secteurs essentiels » et « secteurs vitaux ». Les hôpitaux et leurs services d’urgence constituent une activité vitale pour la société, c’est incontestable. Mais la culture a un caractère essentiel. Il l’est au sens où le théâtre, le cinéma, la littérature et les arts sont l’essence même de l’humanité. Ils sont ce qui permet de vivre ensemble, d’imaginer et de résister. Si ce n’est pas vital, c’est essentiel.
– Quelles mesures attendez-vous désormais du gouvernement ?
– Les annonces sans concertation du couvre-feu puis du reconfinement ont placé le spectacle, le cinéma, l’audio visuel et l’événementiel dans une situation catastrophique. Il aurait été possible d’anticiper. La deuxième vague était annoncée par les personnels de santé. Le gouvernement n’a rien voulu prévoir, se contraignant à agir au coup par coup. Nous avons conscience de la gravité de la situation, mais cette façon de faire n’est pas admissible. Depuis le début de la crise, nous travaillons pour mettre en place des protocoles stricts afin que les entreprises de spectacle ne soient pas des lieux de propagation du virus, et permettre ainsi une reprise timide de l’activité. Il faut sortir de cette politique qui nous impose sans cesse des mesures d’urgence sans rien organiser sur le long terme. Rien ne justifie que, mi-novembre, nous ne sachions toujours pas comment vont se préparer les fêtes de fin d’année. Décembre est un mois essentiel pour le spectacle vivant, pour les compagnies de cirque, pour les plus petites qui se produisent au moment des arbres de Noël. Peut)-être le gouvernement ne le sait-il pas, mais l’Opéra de Paris réalise en fin d’année un quart de ses recettes.
– Que serait-il possible de faire pour éviter un effondrement du secteur ?
– Nous voulons travailler. Nous voulons vivre de nos métiers. Ce que nous espérons aujourd’hui, c’est un soutien massif de l’État à nos activités pour permettre les répétitions, les résidences et les tour nages, et produire ainsi les œuvres qui permettront de rencontrer le public dès que ce sera possible. Il faut absolument que nous ayons la possibilité de continuer à travailler pour éviter la situation à laquelle nous avons été confrontés l’été dernier où, faute, d’avoir pu le faire au printemps, les professionnels du spectacle vivant n’ont pu assurer la tenue des festivals. Tout comme les athlètes, les danseurs, les marionnettistes, les choristes, les circassiens, les comédiens et les musiciens ne peuvent interrompre leur travail. Monter un spectacle nécessite des années de travail. Se produire sur scène demande des mois de préparation et de répétition. Même si nous ne pouvons pas accéder au public, nous devons pouvoir nous préparer à le faire. Les aides financières annoncées par la ministre de la Culture ne peuvent résoudre les problèmes. Roselyne Bachelot a annoncé la mobilisation de 85 millions d’euros pour le spectacle vivant et de 30 millions pour les salles de cinéma. Mais ces sommes sont, pour l’essentiel, destinées aux seules entreprises. C’est une goutte d’eau face au marasme auquel nous sommes confrontés.
– Une somme qui ne permet pas à « la culture de se réinventer », comme Emmanuel Macron l’appelait de ses vœux en mai dernier ?
– Emmanuel Macron se moque de la culture comme il se moque du service public, lui qui n’a jamais eu un mot sur les performances lamentables de Cyril Hanouna sur Cnews, mais n’a pas hésité à déclarer que l’audiovisuel public était « la honte de la République ». Le macronisme mobilise une novlangue prônant une réinvention permanente. Nous n’avons pas attendu son promoteur pour nous réinventer. Comme le cinéma, le spectacle vivant n’est pas un modèle industriel mais une économie de prototypes qui, par nature, implique sans cesse d’imaginer et d’innover. Si réinvention il doit y avoir, c’est au gouvernement de s’y atteler.
– C’est-à-dire ?
– Que compte-t-il faire pour aider la société à affronter la crise économique et sociale d’une ampleur inégalée que nous vivons ? Sans doute était-il justifié de recourir comme il l’a fait au chômage partiel. Mais cela ne peut suffire. Le gouvernement s’acharne à vouloir imposer une réforme du régime d’assurance chômage qui, de l’avis unanime des syndicats, va être catastrophique pour le monde du travail. Il est temps pour lui de se réinventer. La prolongation annoncée des droits à l’indemnisation chômage jusqu’au 31 août 2021 ne sera pas suffisante pour protéger les salariés touchés par la crise sanitaire. Les salariés en général, et les artistes en particulier. Nous demandons donc une prolongation des droits d’un an après la fin de toutes les interdictions de travailler, et ce, sans oublier les entrants dans le régime d’assurance chômage, dont beaucoup de jeunes. Nous demandons aussi que les prestations sociales et la continuité des droits – qu’il s’agisse des droits aux congés maternité, aux congés maladie ou à la formation professionnelle – soient garanties à tous quelles que soient les périodes de travail accumulées. Le gouvernement doit en finir avec les dogmes qui sont les siens. Il le doit aux salariés comme aux intermittents du spectacle. La culture n’est pas seulement un argument commercial que l’on porte en étendard quand on veut vendre un Tgv en Chine. C’est une condition à la démocratie.
Propos recueillis par Martine HASSOUN