Veille de la Saint-Valentin : Marine et Gérald sur France 2 Vous êtes molle, molle, molle, décidément trop molle. C’est Gérald Darmanin qui se délecte, sur France 2, du bon tour qu’il joue à Marine Le Pen. Lui est ministre de l’Intérieur et des Cultes ; elle… On ne présentera pas Marine Le Pen, si […]
Veille de la Saint-Valentin : Marine et Gérald sur France 2
Vous êtes molle, molle, molle, décidément trop molle. C’est Gérald Darmanin qui se délecte, sur France 2, du bon tour qu’il joue à Marine Le Pen. Lui est ministre de l’Intérieur et des Cultes ; elle… On ne présentera pas Marine Le Pen, si ce n’est pour dire qu’elle court après une respectabilité qu’elle ne parvient jamais totalement à atteindre. France 2 lui en offre l’occasion à l’avant-veille de la Saint-Valentin, en l’appariant avec le jeune loup de la droite Macron-compatible. La chaîne a fait grand battage – service public, que de crimes commis en ton nom ! – en annonçant le match du siècle. On ne s’inquiète pas pour le siècle, il en verra d’autres ; quant au match, il s’est vite déroulé au son d’un vieux refrain de Georges Brassens :
« l’un tient le couteau, l’autre la cuiller »… N’entrons pas dans les détails du débat, ce serait sordide. Rappelons, en passant, que le ministre a déclaré sur un ton de gamin boudeur qu’il se refusait à payer les curés et les rabbins d’Alsace- Moselle, na, et qu’il jugeait décidément la présidente du Rassemblement national bien molle du genou. Ravie, épanouie, celle-ci lui a poliment donné la réplique, jugeant vraiment très bien
– j’aurais pu le signer – le livre de Darmanin. Sur ce, nos deux larrons ont fait assaut d’islamophobie, bras dessus bras dessous, à qui donne- rait le la. Oubliés les curés et les rabbins : sus à l’envahisseur au croissant de lune ! Sinistre mise en scène ! Il faut hélas la prendre au sérieux ; elle donne le coup d’envoi d’une future campagne présidentielle qui s’annonce organisée autour d’une question : qui sera le plus efficace pour stigmatiser l’islam et les musulmans ? Sujet évidemment central alors que la pandémie est loin d’être maîtrisée, qu’elle alimente les craintes pour l’avenir et exacerbe les difficultés du présent !
C’est qu’il faut distraire la galerie pour gagner la présidentielle. Au stade où il en est, Emmanuel Macron a besoin d’un méchant, d’un foncièrement répulsif, d’un affreux qui lui confère le bon rôle. Pour lui ravir le trône, Marine Le Pen a besoin, elle, d’apparaître fréquentable. Pour pré- parer l’après-Macron – car il y en aura un, comme il y a eu un après-Hollande – Gérald Darmanin reprend le scénario qui a si bien réussi à l’actuel président. Mais au lieu de se présenter en héraut d’une technocratie centriste, il soigne son image de chaînon manquant entre extrême droite et droite extrême. Perdus dans ces calculs statistico-stratosphériques, tous ces gens se prennent décidément pour les gardiens d’un troupeau de moutons craintifs et quelque peu niaiseux.
LabÉlysée 100 % Le Pen, made in Beauvau
Car le président était évidemment à l’initiative de ce bêbête-show, qu’il aurait – murmure-t-on – très apprécié. C’est qu’il nourrit un petit faible, de ce côté-là. Pas plus tard que ce 14 octobre, n’a- t-il pas missionné l’un de ses conseillers, Bruno Roger-Petit, pour un déjeuner avec Marion Maréchal, la nièce de Marine, plus à droite encore si c’est possible mais aux allures si proprettes ? Deux fers au feu, c’est toujours mieux et rien n’est superflu pour assurer le succès de l’os législatif que ses ministres bouffeurs d’imams et de femmes voilées ont obtenu. En étant rebaptisée en « défense des principes républicains », l’affaire atteint un tel degré d’antiphrase qu’elle éclipse Orwell et sa novlangue.
Soit dit en passant, c’est sans doute la première fois dans l’histoire de la République qu’une loi se présente en défense de ses principes. Jusqu’à présent, ils faisaient bloc et consensus. Remarquez, on aurait pu, fastoche, améliorer le produit république : faire un gros effort du côté de l’égalité des droits, réhabiliter le travail, assurer l’emploi et des salaires décents, rajouter une pincée de fraternité et de liberté… Mais l’objectif était autre : il s’agit d’agiter un ennemi intérieur pour rameuter des voix à la présidentielle, pour, d’une main de fer, serrer les rangs et les boulons. Surtout les boulons.
Le texte ne fait donc pas dans la demi-mesure : une suite d’interdits longue comme un jour sans pain, assortie de nouveaux délits pénaux et de mesures de contrôle. Liberté d’instruction, liberté des associations, liberté de culte et de conscience seront maintenues… sous condition. Autrement dit, le terme « liberté » devient « si autorisé ». Ça n’a l’air de rien, ça change tout ! Avec cette inversion de valeurs et de règles, la république sortirait de l’Assemblée nationale comme le bœuf sort de l’usine de corned-beef : hachée et en boîte, labÉlysée 100 % Le Pen, made in Beauvau.
Dix mille pigeons voyageurs, com’ coups de becs
Pendant ce temps-là, qui n’est pas tout à fait le même temps, car chacun voit midi à son fuseau horaire, l’armée chinoise se projette dans un avenir post-technologique. Elle annonce l’acquisition prochaine de quelque 10 000 pigeons voyageurs. Ce colombidé, détesté par les responsables municipaux à la propreté urbaine, est particulièrement apprécié par les colombophiles chinois. Au point d’ailleurs d’atteindre des sommes astronomiques. Mais en l’occurrence, il s’agit plus simplement de pouvoir assurer la transmission de messages en cas de rupture massive des services de communication.
Avec tout ce qu’on lit dans les journaux sur les hackers et autres rançongiciels, on comprend que les militaires de l’Empire du milieu veuillent tenir tous les bouts. D’où l’investissement dans cette sorte de Huawei à plumes, préparé au pire et dont le nombre annoncé – dix mille – est la traduction poétique de l’éternité. Voilà qui est de bon augure pour l’espèce ; gageons que les fabricants de poison destinés aux volatiles se réjouiront également à la perspective de commandes. Car même si Pékin a garanti qu’il s’agirait de vols intérieurs, on voit très bien, disons l’Inde, au hasard, en commander quelques centaines de tonnes, histoire de protéger ses propres routes aériennes d’éventuelles incursions colombines. On imagine enfin la migraine qui a saisi les têtes pensantes de la Silicon Valley, réalisant que l’avenir de l’intelligence artificielle pourrait désormais se fracasser contre une cervelle de piaf. Mais nous n’en sommes pas là : le bug mondial redouté par Pékin se fait encore attendre. Pour l’heure, les pigeons roucoulent en paix et en France, et la Saint-Valentin ne sonnera pas fatalement le glas de la république. À condition que ni bœufs ni moutons, nous l’aidions, avec ou sans pigeons, à ne pas perdre le nord…
Pierre TARTAKOWSKY