Les entreprises ont de plus en plus recours au vote électronique aux élections professionnelles au comité
social et économique. Un arrêt qui fait jurisprudence apporte d’importantes précisions
sur le juge compétent en cas de contestation et sur la place de la négociation collective dans le processus.
par Michel CHAPUIS
Faits
La société Rapides Côte d’Azur a engagé le processus de mise en place d’un comité social et économique au sein de l’entre- prise. Par déclaration unilatérale de l’employeur (Due), l’entreprise a décidé d’un recours au vote électronique. Le syndicat Cgt des transports des Alpes-Maritimes a contesté cette décision devant le tribunal d’instance de Nice, qui l’a débouté.
Pourvoi du syndicat
Le syndicat fait grief à l’ordonnance de le débouter de sa demande en annulation de la déclaration unilatérale de l’employeur sur le vote électronique, alors :
1°/ que la négociation collective et l’exécution du contrat de travail sont régies par le principe de loyauté ; que le préalable de négociation imposée par l’article L. 2314-26 du Code du travail pour la mise en place du vote électronique suppose qu’en l’absence de délégué syndical, l’employeur recherche un accord avec des élus, mandatés ou non, ou directement avec des salariés mandatés, en application des articles L. 2232-24, L. 2232-25 et L. 2232-26 du Code du travail ; qu’en retenant, pour refuser d’annuler la décision unilatérale de l’employeur, que la possibilité préalable pour l’employeur de provoquer des négociations avec l’organisation syndicale Cgt s’avérait matérielle- ment impossible en l’absence de délégué syndical, le tribunal a violé le principe de loyauté régissant les relations de travail ;
2°/ qu’en l’absence de délégué syndical, un accord d’entreprise peut être conclu entre l’employeur et des élus, mandatés ou non, ou directement avec des salariés mandatés en application des articles L. 2232-24, L. 2232-25 et L. 2232-26 du Code du travail ; qu’en retenant qu’un accord d’entreprise ne pouvait être négocié que par une délégation d’une organisation représentative dans l’entreprise et que la bonne volonté de l’employeur quant à la recherche d’un accord devait s’analyser en fonction de la réalité au sein de l’entreprise lors de l’adoption de la Due, quand il résulte des articles L. 2232- 24 et suivants du Code du travail qu’un accord d’entreprise peut être négocié par d’autres interlocuteurs qu’une délégation d’une organisation syndicale dans l’entre- prise incarnée par un délégué syndical, le tribunal a violé les articles L. 2232- 24, L. 2232-25, L. 2232-26, L. 2314-26 et R. 2314-5 du Code du travail ;
3°/ que pour débouter le syndicat demandeur, le tribunal a retenu qu’aucun membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique n’avait été expressément mandaté par la Cgt pour négocier un accord relatif à la mise en place du vote électronique ; qu’en statuant ainsi, quand la mise en place du comité social et économique au mois de mars 2019 était postérieure à la Due litigieuse sur le vote électronique, le tribunal a statué par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 2232-24 du Code du travail ;
4°/ qu’en retenant qu’il résulte de l’article L. 2232-24 du Code du travail que la négociation avec un membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique mandaté par une organisation syndicale représentative ne peut porter, en tout état de cause, que sur des accords collectifs relatifs à des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif, le tribunal a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, et a violé l’article L. 2232- 24 du Code du travail ;
5°/ que les dispositions du Code du travail sont d’ordre public, et que par principe, elles présentent un caractère impératif ; que leur violation prive d’effet tout acte contraire négocié ou imposé unilatéralement par l’employeur ; qu’en retenant, pour débouter le syndicat demandeur, qu’il ne s’imposait pas à l’employeur, à peine de nullité, d’entamer des négociations préalablement à l’adoption d’une Due sur le vote électronique, le tribunal a violé les articles L. 2314-26 et R. 2314-5 du Code du travail.
Réponse de la Cour de cassation à l’employeur qui contestait le pourvoi
Le recours au vote électronique, qu’il soit prévu par accord collectif ou par décision unilatérale de l’employeur, constitue une modalité d’organisation des élections, et relève en conséquence du contentieux de la régularité des opérations électorales.
Il en résulte que ce contentieux relève du tribunal judiciaire statuant en dernier ressort et que le pourvoi est recevable.
Réponse de la Cour de cassation au pourvoi du syndicat
Il résulte des articles L. 2314-26 et L. 2314-5 du Code du travail que la possibilité de recourir au vote électronique pour les élections professionnelles peut être ouverte par un accord d’entreprise ou par un accord de groupe, et, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur.
Il ressort de ces dispositions que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électro- nique.
Dès lors que le législateur a expressément prévu qu’à défaut d’accord collectif, le recours au vote électronique pouvait résulter d’une décision unilatérale de l’employeur, cette décision unilatérale peut, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou dans le groupe, être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires prévues aux articles L. 2232-23 à L. 2232-26 du Code du travail.
Le tribunal d’instance, qui a constaté qu’il n’y avait plus dans l’entreprise de délégué syndical depuis le mois de février 2018, en a exactement déduit, par ces seuls motifs, que la décision unilatérale prise par l’employeur le 22 août 2018 sur le recours au vote électronique était valide.
La Cour de cassation, chambre sociale, 13 janvier 2021, Syndicat départemental Cgt des transports 06 c/ société Rapides Côte d’Azur rejette le pourvoi.