LE GROUPE POURSUIT LE DÉMANTÈLEMENT DE SON OUTIL INDUSTRIEL ET DE SA R & D EN FRANCE, ET SE SOUCIE PLUS DE SA STRATÉGIE FINANCIÈRE QUE DE SES ENGAGEMENTS À FOURNIR UN VACCIN CONTRE LE COVID. LOGIQUE ET MORTIFÈRE.
Le 5 février, Sanofi a présenté d’excellents résultats pour 2020. Un chiffre d’affaires de 36 milliards d’euros (+ 3,3 %) et un bénéfice net de 12,3 mil- liards d’euros (+ 340 % !) grâce à la vente de parts de la biotech américaine Regeneron, à ses vaccins notamment antigrippaux et à ses médicaments utilisés en réanimation. Le groupe se félicite également d’un bénéfice par action de 5,86 euros (+ 9,2 %) et y ajoutera le versement de 3,20 euros, soit au total 4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires ! « Sanofi évoluant dans un environnement international très concurrentiel, suspendre le dividende ou le limi- ter en raison de la pandémie actuelle [ce qu’ont pourtant fait d’autres grands labos, Ndlr] reviendrait à fragiliser l’entreprise, à réduire son attractivité et à altérer ainsi sa capacité à innover sur le long terme pour les patients », se justifie la direction du groupe, imperturbable. Le fait d’avoir été distancé dans la course au vaccin contre le Covid est présenté comme une péripétie sans incidence sur la santé du géant pharmaceutique. Et sur son image ? Ses dirigeants qui, au printemps, faisaient monter les enchères sur leur futur vaccin, se retrouvent pour l’heure contraints d’accepter un rôle de sous-traitant pour un concurrent plus performant, Pfizer associé à BioNTech. Après avoir empoché des centaines de millions de fonds publics de la France ou de l’Europe, difficile de ne pas contribuer du tout à la mobilisation générale…
Pour Big Pharma, la stratégie financière avant tout
Se donner tous les moyens pour découvrir de nouveaux traitements et médicaments ne semble pas vraiment prioritaire. Le directeur général de Sanofi a confirmé sans ciller qu’il fallait avant tout intensifier la purge. Le nouveau plan Evolve [sic] prévoit non plus 2 mais 2,5 milliards d’euros d’économies d’ici à 2023. Toute activité jugée insuffisamment rentable doit disparaître, quitte à démanteler l’ou- til industriel ou à abandonner des pro- grammes engagés depuis des années et en voie d’aboutissement.
En plus des 1 000 suppressions de postes annoncées en juin (sur 1 700 dans le monde), 364 emplois supplémentaires en recherche et développement sont concernés. « Nous avons perdu la moitié de nos effectifs en R & D depuis 2008, passant de 6 350 sur onze sites à 3 500 sur quatre sites
– bientôt trois –, rappelle Thierry Bodin, coordinateur Cgt pour le groupe. Nous dénonçons depuis des années le désengage- ment de Sanofi de domaines de recherche essentiels, comme le diabète, la maladie d’Alzheimer, le système nerveux central. La stratégie est d’externaliser et de délocaliser au maximum les capacités de recherche et de production, et de se recentrer sur les domaines au plus fort taux de retour sur investissement à court terme, comme l’oncologie, l’immunologie, les maladies rares, les thérapies géniques et les vaccins. » Le groupe ne s’est engagé que tardive- ment sur la technologie révolutionnaire de l’Arn messager, et son programme en partenariat avec la biotech Translate n’est même pas en phase d’essai. Cela arrive dans le grand Monopoly en cours où, plutôt que de miser sur les forces internes et une recherche longue et sans garantie, Big Pharma estime moins coûteux de racheter des start-up plus audacieuses qui auront pris tous les risques : un budget de 6 milliards d’euros est déjà engagé pour des rachats de ce type en 2021, et, la direction du groupe a dû le reconnaître, son propre budget de R & D a baissé de plus de 8 % en 2020.
Les salariés sont à la fois écœurés et en colère. Ils ont pesé pour que l’outil industriel soit mis à disposition en attendant le vaccin Sanofi, et estiment que la précipitation à l’origine du retard du groupe n’est pas sans lien avec la dégradation labos le savent et s’autorisent même à ne pas respecter leurs contrats (AstraZeneca) ou à les réinterpréter : Pfizer a subitement décidé que ses flacons contenaient six doses et non cinq, limitant son incapacité à fournir les doses prévues et boostant ses bénéfices de 12 %.
Avec l’ensemble de la Cgt et d’autres acteurs économiques et sociaux, les sala- riés de Sanofi défendent un projet plus ambitieux. Jamais le marché ne répondra sans garantie de gros profits aux besoins d’une société. On le constate alors que, partout dans le monde, des voix s’élèvent pour que les laboratoires libèrent ponctuellement leurs droits sur les brevets des vaccins existant contre le Covid, se heur- tant pour l’heure à des refus des laboratoires et des États qui les soutiennent *. Pour assurer un minimum de sécurité et de souveraineté sanitaire, pas d’autre issue que de construire un pôle public autour du médicament et de la santé, d’investir de véritables moyens dans la recherche, l’innovation, la relocalisation et le développement d’un outil industriel qui lui soit dédié. Ces secteurs sont d’ailleurs déjà fortement liés à la recherche académique, en tirent souvent des bénéfices à peu de frais, et bénéficient de larges subventions publiques. La santé n’a pas de prix, mais celui-ci pourrait être déterminé par de tout autres variables, comme l’intérêt général.
Valérie GÉRAUD
des conditions de travail – y compris chez leurs collègues américains –,les pressions qui s’accentuent et la baisse des moyens pour travailler avec des fournisseurs et partenaires de qualité. Ils dénoncent éga- lement des salaires qui stagnent malgré les profits faramineux – aucune augmen- tation générale cette année, hormis le rattrapage de 0,6 % de l’inflation. Des pratiques pas forcément étrangères au fait que l’entreprise s’est engagée à ne procé- der à aucun licenciement… mais qu’elle ne contrariera aucun départ volontaire. Par exemple dans le cadre du transfert des activités de R & D de Strasbourg (qui va fermer) à Vitry (Val-de-Marne)…
Le coût des désengagements publics
Le malaise est en fait profond. Beaucoup de salariés sont scandalisés par le cynisme de la direction, qui ne semble pas se pré- occuper de leur travail, de la préservation et du développement des savoir-faire et de l’expertise existants, encore moins des capacités de production en France. Les enjeux sont ailleurs : s’imposer mondia- lement sur les produits et les marchés les plus lucratifs.
« Nous alertons depuis des années sur l’im- mense gâchis de notre outil industriel et de nos capacités de recherche, et la crise sanitaire en donne la mesure, souligne Thierry Bodin. L’État semble impuissant, à moins qu’il ne se montre complice en espé- rant pouvoir sauver ce qui peut l’être. » Les