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À propos – mars 2021

Article mis en ligne le 13 mars 2021, publié dans Options n° 665

 

Vous pouvez le faire ? Il peut le faire !

On s’était promis – promis juré – qu’en cette rubrique, on se tiendrait à l’écart du pouvoir contaminant, virulent et hégémonique de la Covid, qu’on éviterait son actualité aux allures de montagnes russes : masques, vaccins, couvre-feux et confinements rythmés par la succession vertigineuse des palinodies gouvernementales. À quoi bon commenter ce qui occupe, sature et obscurcit vingt-quatre heures sur vingt-quatre l’espace médiatique ? On pensait par ailleurs, un peu naïvement, pouvoir continuer à s’attacher à des sujets légers et mineurs : la culture mise à poil et la nudité de la femme, stigmatisée ; le travail mis à mal et l’emploi renvoyé à la maison ; l’islamo-gauchisme et la frénésie dénonciatrice mise en œuvre par des élus en mal de boucs émissaires ; des pigeons voyageurs chinois qui gardent le cap et des journalistes britanniques qui perdent le nord, affolés par les confidences savamment jaugées (elles aussi, Covid oblige), du couple ex-royal de Meghan et Harry ; des forêts ariégeoises violées à la tronçonneuse par des cambrioleurs un petit peu trop entreprenants. Bref, traiter de ces choses qui, en l’absence de cinémas, de théâtres, de concerts, font office de dérivatifs bienvenus. Surtout lorsque le contexte est rythmé de macroneries législatives qui préparent un avenir où parler, montrer, photographier, partager sur un réseau seront des activités à risque. Oh, qu’on ne s’inquiète pas, il sera toujours possible de commenter les aventures et mésaventures de Meghan et Harry, parce que les gens ont quand même le droit de savoir. Pure arrogance, on a cru, un moment, avoir relevé le challenge. Jusqu’à ce que, fatalitas, Jean Castex prenne la parole. Il n’a fallu que quelques phrases pour réduire les hautes murailles de notre résolution en poussière. Impossible, en effet, de faire comme s’il ne s’était rien passé. Non qu’il se soit passé quelque chose, notez bien. Mais il faut rendre hommage à un gouvernement qui tente de se hausser à la hauteur de David Copperfield, dont on sait qu’il faisait, d’un claquement de doigts, disparaître un train. Hélas, malgré de laborieux efforts, le président – qui est joueur – et son Premier ministre – qui n’en a pas l’air – évoquent davantage le Sâr Rabindranath Duval et son génial : « Vous pouvez le faire ? Il peut le faire ! » Interprété par Pierre Dac et Francis Blanche, c’était désopilant. Réécrit par Macron-Castex, ça ne fait rire personne.

Vous avez compris ? C’est qu’on vous l’a mal expliqué

S’il y a une chose contre laquelle les Français sont massivement vaccinés, c’est la langue de bois. Or, le couple dirigeant de l’exécutif la pratique à grande échelle, piégé par ses rodomontades. Résumons, pour celles et ceux qui y auraient perdu leur vaccin : fin janvier, le président de la République fait le pari (le garçon s’avoue joueur) de ne pas reconfiner le pays et de juguler la pandémie. « Vous pouvez le faire ? » Deux mois plus tard, il n’a pas pu. Jean Castex se retrouve alors chargé de la mission délicate d’annoncer que le fameux pari présidentiel est perdu, sans pouvoir – loyauté ministérielle oblige – désavouer publiquement le Sâr. D’autant que la grogne et le désordre menacent ; comment, pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu, dire la vérité en la rendant présentable ? Le Premier ministre avait le choix entre plusieurs répertoires, en s’inspirant de phrases célèbres dues à ses prédécesseurs. Il pouvait, par exemple, essayer une raffarinade (« Ce n’est pas la Covid qui gouverne ») ; miser sur la sympathie de l’aveu désespéré jospinien (« Contre la Covid, l’État ne peut pas tout ») ; voire utiliser le quasi-surréalisme balladurien (« Je ne fais pas de promesses, mais je les tiens »). Mais – c’est tout à son honneur – l’homme n’a pas voulu rejoindre la cohorte des plagiaires et a tenu à se montrer créatif, dans les limites imparties par l’Élysée.

Il s’est donc inspiré du canonique « Ceci n’est pas une pipe » de René Magritte pour déclarer, avec ce ton plein de bon sens que le monde entier nous envie : « Ceci n’est pas un confinement ». Mais, « pensée complexe Macron » oblige, il a immédiatement introduit de la complexité dans le propos : il s’agit bien d’un confinement, mais il s’agit de le « relativiser » en prenant ce qu’il n’est pas pour ce qu’il est, à savoir de simples « mesures de freinage supplémentaires ». À ce stade, on pouvait espérer qu’un membre du cabinet particulièrement sensible prévienne Police-secours, alerte la cellule sanitaire de Matignon, bref, appelle au secours afin qu’une main charitable lance une bouée au malheureux en train de se débattre dans les eaux sombres d’une communication en plein naufrage. Il n’en fut rien. On n’entendit qu’un brame, un seul – « il peut le faire, il va le faire » – ridicule au point d’en être désolant.

 

Ça ne vous fait pas rire ? Préparez-vous à pleurer

Les esprits critiques et malicieux qui peuplent le pays se sont évidemment gaussés des efforts sémantiques pourtant méritoires du Premier ministre. Les chicaneurs l’ont interpellé : pourquoi n’avait-on pas écouté les médecins, les scientifiques, infectiologues, statisticiens de la santé et autres ignorantus qui réclamaient ce confinement depuis belle lurette et à grands cris ? Répondre « parce que le garçon est joueur » était évidemment impossible. Il a donc fallu mobiliser une gamme d’approximations, de semi-vérités et de propos sentant bon le Café du commerce pour établir une vérité dont l’essence se résume en deux phrases. Prendre une décision de confinement trois mois plus tôt aurait été brutal. Trois mois et une saturation globale de la capacité hospitalière plus tard, elle devient habile. Non seulement ce postulat autoritaire n’a pas désarmé les critiques du corps médical, mais il est venu alimenter un double diagnostic. D’une part, celui d’un gigantesque n’importe-quoi-n’importe-comment injuste et aveugle aux inégalités qui écument le pays au rythme même du taux de contagion. D’autre part, le constat que sous les dehors ineptes et quasi clownesques de ses décisions politiques, sous l’empilement surréaliste de reconfinements locaux, nationaux, couvre-feux, attestations kilométriquement calibrées, interdits et autres humiliations collectives, s’agite un projet autoritaire qui, déjà, n’hésite plus à montrer les dents. Lorsqu’on veut éviter que l’essentiel devienne un sujet de discussion collective, on truque d’abord le débat en pipant le sens des mots. On habille ensuite ses contradicteurs en islamo-adversaires et on les dénonce à la vindicte publique. Il ne reste plus qu’à lâcher les chiens – le pays n’en manque pas – et à laisser jouer les effets de meute. « Vous pouvez le faire ? Ils sont en train de le faire. »

Pierre Tartakowsky

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