Quelques leçons de Perseverance On a honte de le dire mais par une distraction dont l’origine est sans doute à chercher du côté des routines du confinement, on n’a pas ici mentionné l’exploit de Perseverance. Mais si, vous savez bien, ce robot mobile de plus d’une tonne que la Nasa a fait se poser comme […]
Quelques leçons de Perseverance
On a honte de le dire mais par une distraction dont l’origine est sans doute à chercher du côté des routines du confinement, on n’a pas ici mentionné l’exploit de Perseverance. Mais si, vous savez bien, ce robot mobile de plus d’une tonne que la Nasa a fait se poser comme une fleur sur Mars. C’était le 18 février ; depuis, Perseverance explore la planète, bardé d’une batterie d’outils à donner le tournis, allant d’une collection de spectromètres divers à un petit hélicoptère de 2 kilogrammes, sorte de R2D2 aérien…
Pas besoin d’être un admirateur inconditionnel des records pour saluer l’exploit. Pour réussir, il a fallu réunir de l’argent, beaucoup ; de l’intelligence, énormément ; de puissants moyens industriels et une formidable capacité de coopération entre les « corps de métiers » qui, d’un bout à l’autre de la chaîne de production, ont assuré la cohérence, la qualité, la fiabilité d’un programme évidemment inscrit dans une visée de long terme. On aimerait qu’à son image, les travailleurs de la recherche, fondamentale ou appliquée, de l’enseignement, de l’industrie, bénéficient de la même volonté partagée et des mêmes atouts. Si tout va bien, une future mission menée conjointement par la Nasa et l’Agence spatiale européenne devrait ramener tous ces petits robots sur notre planète autour de l’année 2031. Espérons que, d’ici là, la pandémie actuelle sera jugulée et que ses répliques prévisibles auront été jugulées ; que la biodiversité sera réellement protégée et que le travail humain bénéficiera d’une pleine liberté, bref, que la grande pulsion de mort qui nous menace aura été éradiquée. Certes, cela fait beaucoup dans un laps de temps très court. Mais est-ce réellement plus difficile, plus hors de portée que la Planète rouge ? Ou est-ce une question de volonté, de moyens et de « persévérance » ? Posée en ces termes, la question autorise de manifester l’optimisme de ceux qui ont la tête dans les étoiles tout en gardant les pieds sur terre.
À misère aimable, place à table…
Sur la terre, justement, la vie continue avec, comme le rimait Prévert, « la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons » et « les épouvantables malheurs du monde, qui sont légion ». On sait que la misère, justement, parle au cœur du président de la République et de son gouvernement. Tous en parlent toujours très bien, avec la mine convenue et la componction qui s’imposent. Les pauvres, tss tss, quel malheur… Cette compassion d’État s’évapore néanmoins lorsque dame Misère hausse le ton. Les pauvres devraient savoir rester à leur place. Lorsqu’ils y manquent, ils la perdent, leur place. Une réforme du Conseil économique social et environnemental en administre la démonstration.
La troisième chambre de la République regroupe ce qu’il est convenu d’appeler la société civile, et peut jouer un rôle important en amont du processus législatif. C’est par exemple dans son hémicycle qu’a été pensée et préparée la « loi de lutte contre la grande pauvreté ». Une loi de lutte ce n’est pas rien ! L’association qui en est à l’origine, Atd Quart-monde, est une des figures de la solidarité militante ; elle porte une longue tradition d’expertise, construite à partir de la pensée, du savoir et de l’expérience des personnes les plus pauvres, et s’attache à travailler avec les organisations syndicales. À sa façon, c’est un Perseverance, défrichant des terrains difficiles – 15 % de la population vit sous le seuil de pauvreté – avec un équipement humain remarquable, mais réduit. Sans doute cela, a déplu ; ou bien c’était trop cher, ou encore c’est, comme le chantait Brel, « qu’il sentait pas bon »… Toujours est-il que – réforme-réforme-hop-hop – Atd Quart-monde se voit prié de faire ses valises. On ne va quand même pas accueillir toute notre pauvreté alors même qu’elle s’accroît. Surtout pas celle qui n’hésite pas à parler haut et à lever un regard effronté vers les étoiles.
Méfions-nous, la confiance est partout
On ne parle plus que d’elle, la confiance est partout. Voici une loi sur l’école de confiance et en voilà une autre sur la justice de confiance… Cette inflation galopante évoque la scène du Livre de la jungle (le dessin animé, hein !), où Kaa le serpent hypnotise le jeune Mowgli en lui susurrant : « Aie confiance, crois en moi », avec le projet très net d’en faire son petit-déjeuner. Il faut bien que tout le monde mange… Méfiance, donc. Justement, on apprend que le Sénat vient de voter la suspension des allocations familiales pour les parents d’élèves absentéistes. Cette formidable avancée s’opère grâce à la loi sur les principes républicains, véritable boîte de Pandore qui a permis les surenchères les plus autoritaires.
Le chantage aux alloc’, c’est une vieille lune de la droite, infatigablement portée par l’ineffable Éric Ciotti, et qui jusqu’à présent avait toujours été repoussée. Il s’agit une fois encore de passer un « contrat de responsabilité parentale » entre les parents d’un élève absentéiste et l’école. En cas de récidive, l’Éducation nationale pourrait demander la « suspension du versement de la part des allocations familiales dues au titre de l’enfant en cause »… Un autre projet, encore dans les cartons, prévoit la même peine pour les élèves violents, et nul doute qu’on proposera un jour de l’appliquer à ceux qui ont du mal à suivre en classe. Car la pente est glissante. Ce qui vaudrait ici vaudrait rapidement pour tout…
Cette pétition de principe légèrement démente, selon laquelle la répression de la famille serait un encouragement à l’assiduité scolaire des enfants, n’aboutirait qu’à piétiner des familles à faibles ressources, soumises ainsi à double peine. Elle alimenterait également une double haine : celle de l’école qui humilie, celle de la société qui méprise. Elle banaliserait surtout une conception étrange de la « citoyenneté », ramenée à une somme de « contrats » dont l’essence est d’ouvrir une négociation permanente et particulièrement asymétrique autour des droits fondamentaux qui, comme leur nom l’indique, ne sont justement pas négociables. Comme par exemple le droit à l’éducation. Même en faisant preuve d’une grande confiance, il serait sans doute judicieux de retarder le retour de Perseverance sur Terre. En attendant que le ciel s’éclaircisse.
Pierre Tartakowsky