L’Ugict et la Secafi finalisent un outil d’évaluation par les salariés de l’impact environnemental de leur entreprise. Objectif : qu’ils et elles se saisissent de ces enjeux en tant qu’acteurs et force de proposition.
Quand je suis entrée en école de commerce, je voulais faire de l’humanitaire. Mais j’ai bifurqué vers le métier d’ingénieure environnementale, qui est en plein développement. Je voulais agir là où je me sentirais la plus efficace, et j’en avais assez d’entendre les discours sur le changement climatique culpabiliser les individus, alors que les industries y contribuent bien plus. J’ai ainsi été recrutée par un grand groupe industriel réellement déterminé à dépasser le greenwashing et la responsabilité sociétale des entreprises (Rse) telle qu’elle est généralement abordée. »
Lola 1, jeune syndiquée à l’Ugict-Cgt, a également participé à la démarche lancée par le syndicat, avec le soutien du cabinet Secafi, pour donner aux salariés des outils d’évaluation des pratiques environnementales de leur entreprise. Il s’agit aussi de les éclairer sur leur propre expertise, car chacun, par son travail, dispose d’une expérience et de leviers pour devenir une force de proposition dans les transitions indispensables qui se mettent en œuvre. Première étape, un questionnaire (lire encadré) a été élaboré pour amorcer la réflexion, s’approprier les enjeux et prendre conscience du large périmètre des interventions possibles, de la conception d’un produit ou d’un service aux déchets qu’il génère, en passant par l’organisation du travail ou les transports.
« Nous partageons, depuis des années, le souci d’un nombre croissant de salariés en responsabilité – et pas seulement des jeunes diplômés – d’agir concrètement et collectivement, dans le cadre du travail, pour que les entreprises prennent en compte les enjeux environnementaux, précise Sophie Binet, cosecrétaire générale de l’Ugict 2. Proposer un outil d’évaluation environnementale de leur entreprise aux salariés, c’est aussi les aider à prendre conscience de leur expertise et les inciter à se mobiliser. Au nom de leurs valeurs, mais aussi de l’indispensable transition technologique déjà en cours, pour que les activités et les emplois évoluent de manière pérenne. C’est à la fois un enjeu pour les entreprises et pour le syndicalisme. »
Pour Lola, ces questionnements relèvent du quotidien : « Je travaille à améliorer le coût environnemental sur tout le cycle d’un produit, l’écoconception pouvant consister à favoriser une rupture technologique ou une réorganisation de la chaîne de valeur dans l’approvisionnement en matières premières, ou dans le recours aux sous-traitants. Par exemple, si nous utilisons une substance chimique désormais interdite pour une peinture, nous demandons à nos fournisseurs de trouver de nouvelles solutions technologiques pour des composants plus performants et non toxiques. Encouragée par notre direction, cette démarche stimule la recherche, l’innovation et responsabilise l’ensemble de nos services. »
S’approprier les enjeux à partir de sa micro-expertise au travail
L’environnement n’irrigue pas du jour au lendemain les cultures d’entreprise, pas plus celles des salariés ou du syndicalisme, d’autant que certaines problématiques peuvent paraître complexes ou trop pointues. « Chacun d’entre nous doit pourtant comprendre que cette approche est désormais incontournable pour défendre l’emploi et son avenir, et qu’on peut peser bien plus qu’en supprimant les touillettes en plastique ! » : Philippe Thibaudet, délégué syndical central Cgt du groupe Saint-Gobain, qui a également participé à la conception du questionnaire, est arrivé à cette conviction que sans être des spécialistes, tous les salariés pouvaient et devaient s’exprimer sur le sujet. « Notre groupe compte des activités polluantes, et certains salariés se montrent réticents, voire hostiles, quand on leur parle des nécessités à réfléchir autrement leur travail. Quant aux militants, ils estiment parfois qu’ils ont d’autres urgences et n’ont pas le temps. Mais il ne faut pas s’illusionner, si nous n’anticipons pas sur une transition respectueuse de l’environnement, certaines de nos activités ne seront plus compatibles avec les nouvelles normes et disparaîtront. Alors que si nous nous y préparons, nous pouvons par exemple œuvrer à l’instauration de circuits courts dans la gestion de nos approvisionnements et de nos déchets, à des relocalisations, à la création de nouveaux métiers, et donc au maintien, voire au développement d’emplois pérennes. »
Passer de la théorie à la pratique sera un travail de longue haleine, mais il y croit. D’autant que même des entreprises comme Saint-Gobain commencent à se soucier de leur empreinte carbone : les grands groupes sont désormais classés aussi en fonction d’indices environnementaux, qui renforcent – ou non – leur attractivité tant du point de vue des investisseurs que des jeunes diplômés les plus prometteurs. Alain Petitjean, qui pilote le projet pour la Secafi, estime pour sa part que les impératifs environnementaux aideront les salariés à s’imposer comme interlocuteurs et acteurs des changements de l’entreprise : « Toutes les entreprises cherchent à décarboner leur activité à tous les niveaux de leur activité et, actuellement, celles qui engagent des projets de transition ou de reconversion bénéficient d’aides de l’État et captent aussi toute l’attention des investisseurs. Quant aux salariés, pour la plupart ils sont fiers de leur entreprise et souhaitent qu’elle ait une bonne image. Ils sont prêts à s’impliquer si leur entreprise les forme, leur donne du pouvoir d’initiative individuel et collectif. Si elle favorise le dialogue social et confère plus de droits aux organisations représentatives du personnel et aux Cse sur les questions environnementales. La Secafi a intégré certains éléments relatifs aux problématiques environnementales dans les rapports annuels remis aux Cse, ils commencent à être appréciés, dans tous les secteurs. » Il ne s’agit pas, en effet, d’apporter quelques solutions cosmétiques, mais bien de construire les entreprises et les emplois durables de demain.
Valérie Géraud
- Elle souhaite pour l’instant que son nom et son groupe restent anonymes.
- Pour des raisons sanitaires l’atelier « Produire autrement et articuler enjeux économiques, sociaux et environnementaux », prévu le 6 avril dans le cadre des débats préparatoires au congrès de l’Ugict, a été reporté au mois de juin.