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Points de vue

Numérique : le défi environnemental

Article mis en ligne le 30 avril 2021, publié dans Options n° 666

Sylvain Delaitre, ingénieur recherche chez Thales recherche & technologie, membre du collectif confédéral Recherche de la Cgt. Hyperconnectivité, puissance de calcul, stockage des données… parce que le numérique est avant tout du « matériel » qui produit de la chaleur, il représente aujourd’hui l’équivalent de la consommation électrique du Canada. Parmi les voies à l’étude pour en […]

Sylvain Delaitre, ingénieur recherche chez Thales recherche & technologie, membre du collectif confédéral Recherche de la Cgt.

Hyperconnectivité, puissance de calcul, stockage des données… parce que le numérique est avant tout du « matériel » qui produit de la chaleur, il représente aujourd’hui l’équivalent de la consommation électrique du Canada. Parmi les voies à l’étude pour en réduire l’empreinte écologique : la reconstruction d’une filière française et européenne des composants électroniques.

Comment concilier innovation numérique et environnement ? Cette question pose d’abord une difficulté sémantique. Il faut en effet faire la différence entre, d’une part, l’innovation, qui relève souvent d’un mécanisme opportuniste porté par une réflexion sur les usages, et d’autre part la recherche et développement, inscrite dans un processus de long terme. La négation de cette différence est le tour de passe-passe opéré par la « start-up nation » voulue par Emmanuel Macron : en réalité, les innovations, dont on peut reconnaître qu’elles ont une réelle utilité, sont essentiellement des innovations marketing, qui reposent sur plusieurs décennies de recherche et développement. C’est le cas du cloud, par exemple, qui apporte un vrai service en termes de stockage ou de synchronisation des données. Mais que l’on s’intéresse aux réseaux de neurones, au web, à l’intelligence artificielle… les Gafam n’existeraient pas sans la recherche et les connaissances développées par les chercheurs, notamment de Stanford ou Berkeley et les financements étatiques. C’est ce qui fait la force de l’innovation aux États-Unis. L’image de Bill Gates innovant tout seul dans son garage est un mythe.

Ceci étant posé, l’empreinte écologique du numérique, en lien avec l’hyperconnectivité, la puissance de calcul et le stockage des données, est aujourd’hui une réalité très documentée. Le numérique, c’est l’équivalent de la consommation énergétique du Canada. Ce que l’on appelle le « minage » du bitcoin, c’est-à-dire le calcul collaboratif par lequel les transactions sont sécurisées, représente à lui seul celle de l’Irlande. Le numérique, en effet, c’est avant tout extrêmement matériel. Certes, le cloud, pour reprendre cet exemple, permet le stockage externe et « virtualisé » des données. Mais l’informatique dite « en nuage », ce sont aussi des dizaines de serveurs qui consomment des tranches entières de centrales, avec d’énormes quantités de chaleur produites qui se dissipent dans l’atmosphère. À force de dupliquer les données et d’assurer une hyperconnectivité comme une facilité d’usage, la consommation énergétique de la puissance de calcul s’est envolée, portée par des architectures qui ne sont pas forcément dédiées et optimisées. C’est un peu comme si l’on construisait une voiture avec un assemblage de Lego.

Or nous savons que cette optimisation, notamment en utilisant des composants dédiés à intelligence artificielle (Ia), est une des clefs pour réduire la consommation électrique du numérique, de d’ordre de 100 ou de 1 000. Voici trois ans, le rapport Villani insistait sur le fait que l’Ia, dont le développement est effectivement très énergivore (déploiement de calculateurs, traitement des données, objets connectés…) n’englobe pas seulement des logiciels, mais des composants électroniques qui font aujourd’hui l’objet d’hypermonopoles aux États-Unis ou en Asie, en particulier à Taïwan. En Europe, il ne reste plus que Stmicroelectronics ou des fabricants de semi-conducteurs comme Soitec, des matériaux utilisés pour la fabrication des puces équipant les outils numériques.

C’est pourquoi se pose la question d’une filière française et européenne * dans ce domaine et d’un vrai projet industriel, dans l’esprit initial du projet Galileo, le système de localisation par satellite européen. Mais cela nécessite un véritable pilotage, dans le sens de la réponse aux besoins des citoyens. Ces entreprises pourraient être à la base de la reconstruction d’une filière électronique indépendante, en coopération par exemple avec le Commissariat à l’énergie atomique, Thales ou Atos. Au niveau européen, la réflexion a été amorcée, mais il y a désormais urgence à réinvestir. Si l’argument environnemental plaide pour cette voie, il s’agit aussi d’une question de souveraineté.

 

Propos recueillis par Christine Labbe

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