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Droits

Forfaits en jours – Précisions de la jurisprudence

Article mis en ligne le 30 mai 2021, publié dans Options n° 667

Depuis les décisions rendues en 2010 par le comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, de nombreux contentieux individuels contre les modalités des forfaits en jours continuent d’être engagés devant les juridictions, en premier lieu devant les conseils de prud’hommes. La jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, continue d’apporter de nouvelles précisions au régime juridique applicable, en déclarant nulles des conventions individuelles de forfait et ainsi en invalidant des dispositions de conventions collectives de branche contraires au « droit à la santé et au repos ».

par Michel CHAPUIS

Une affaire récente à connaître

La présente affaire traite de la validité d’une convention de forfait en jours prévu par un accord collectif de branche : l’accord du 23 juin 2000 relatif à l’application de la Rtt dans le secteur du bricolage, examiné au regard des exigences tant du droit national que du droit de l’Union européenne et du droit international.

Faits et procédure

Mme X. a été engagée par la société Beynostbrico, aux droits de laquelle vient la société Beynost commercial, en qualité d’adjointe du responsable du magasin de bricolage qu’elle exploitait dans un centre commercial. Le 26 juin 2014, la société Holdis, exploitante de l’hypermarché situé sur le même site, l’a informée du transfert de son contrat de travail à son profit à compter du 1er juillet 2014.

La salariée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes, notamment au titre de l’exécution de son contrat de travail.

La salariée a été déboutée par la cour d’appel de Lyon le 14 décembre 2018. Pour la débouter de ses demandes en rappels de salaire à titre d’heures supplémentaires, de repos compensateurs et d’indemnité pour travail dissimulé pour les périodes allant du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2013 et du 1er juin 2014 au 4 juillet 2014, l’arrêt retient que les dis- positions conventionnelles concernant les conditions de travail des cadres auto- nomes soumis à un forfait en jours sont bien de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail des salariés en for- fait en jours restent raisonnables.

La salariée a ensuite formé un pourvoi en cassation

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation reprend le raisonne- ment qu’elle suit depuis l’arrêt du 29 juin 2011 (arrêt rendu à la suite des décisions du comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, publiées le 14 janvier 2011, obtenues dans le cadre de leurs réclamations collectives par la Cgt et la Cfe-Cgc, condamnant la France pour violation de la Charte sociale européenne) : «Vu l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-39 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/ Ce du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne:

  1. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences
  2. Il résulte des articles susvisés de la directive de l’Union européenne que les États membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du
  3. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et »

La Cour de cassation applique ces textes et son raisonnement juridique à l’affaire en cause.

La Cour de cassation considère que : l’article 3 II de l’accord du 23 juin 2000 relatif à l’application de la Rtt dans le secteur du bricolage, qui se borne à prévoir, d’une part, que le chef d’établissement veille à ce que la charge de travail des cadres concernés par la réduction du temps de travail soit compatible avec celle-ci, d’autre part, que les cadres bénéficient d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives et ne peuvent être occupés plus de six jours par semaine et qu’ils bénéficient d’un repos hebdomadaire d’une durée de trente-cinq heures consécutives, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.

La Cour de cassation juge que la cour d’appel qui, dans son arrêt, « retient que les dispositions conventionnelles concernant les conditions de travail des cadres autonomes soumis à un forfait en jours sont bien de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail des salariés en forfait en jours restent raisonnables », a violé les textes susvisés (cf. l’alinéa 11 du  préambule  de  la   Constitution   du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-39 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). Par conséquent, la Cour de cassation en déduit que « la convention de forfait en jours était nulle ».

La Cour de cassation « casse et annule » l’arrêt rendu le 14 décembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon, en ce qu’il déboute Mme X. de ses demandes en paiement de rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents, d’indemnité pour repos compensateur non pris et d’indemnité pour travail dissimulé pour les périodes allant du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2013 et du 1er juin

2014 au 4 juillet 2014 et remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble.

Ainsi, la salariée a obtenu gain de cause devant la Cour de cassation et la cour d’appel de renvoi devra appliquer la décision de la Cour de cassation et répondre favorablement aux demandes de la salariée (Cassation sociale, 24 mars 2021, société Holdis et autre(s) contre Mme A. X.).

Apports de l’arrêt

Par cet arrêt, la Cour de cassation, chambre sociale, insiste sur la nécessité d’assurer l’effectivité du droit au repos du salarié en forfait en jours, par un dispositif de suivi régulier de la charge de travail du salarié concerné.

La Cour de cassation, chambre sociale, sanctionne par la nullité les conventions individuelles de forfait et donc les conventions collectives de branche dont les dispositions n’assurent pas la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Autres arrêts récents

Cette décision est à rapprocher d’une précédente affaire, concernant un salarié directeur général d’une association, dans laquelle la Cour de cassation, chambre sociale, considère que des dispositions de la convention collective nationale, en ce qu’elles ne prévoient pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.

Selon ces dispositions, l’article 9 de la convention collective nationale des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs du 16 juillet 2003 prévoit que, pour les directeurs, l’organisation du travail peut retenir le forfait en jours dans la limite de deux cent sept jours par an, que l’avenant n° 2 du 21 octobre 2004 à cette convention collective, relatif à l’aménagement du temps de travail des cadres, se limite à prévoir, en son article 2, que dans l’année de conclusion de la convention de forfait, la hiérarchie devra examiner avec le cadre concerné sa charge de travail et les éventuelles modifications à y apporter, que cet entretien fera l’objet d’un compte rendu visé par le cadre et son supérieur hiérarchique, que les années suivantes,  l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail du cadre seront examinées lors de l’entretien professionnel annuel, en son article 3 que les jours travaillés et les jours de repos feront l’objet d’un décompte mensuel établi par le cadre et visé par son supérieur hiérarchique qui devra être conservé par l’employeur pendant une durée de cinq ans.

Par conséquent, la Cour de cassation, chambre sociale, juge que « la convention de forfait en jours était nulle » (Cassation sociale, 6 novembre 2019, association Noël Paindavoine).

Dans une autre affaire antérieure, concernant une salariée ingénieure technico- commerciale et la convention collective nationale des entreprises de commission, de courtage et de commerce intracommunautaire et d’importation-exportation de France métropolitaine, le même raisonnement a été suivi et la salariée a obtenu gain de cause devant la Cour de cassation (Cassation sociale, 17 janvier 2018, société Embraer Europe).

Réparation indemnitaire

Dans ces affaires, les salariés peuvent obtenir des dommages-intérêts d’un montant significatif au regard des différents préjudices (heures supplémentaires, congés payés afférents, indemnité pour travail dissimulé, défaut de repos, etc. ; exemple : Cassation sociale, 17 février 2021, société Europe 1-Europe News, le salarié – chroniqueur radio – obtient 385 000 euros).

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