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À propos – septembre 2021

Article mis en ligne le 30 septembre 2021, publié dans Options n° 669

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La nausée, les mains sales et l’indifférence

L’affaire divise. Elle déchire, sème la -discorde, bat le pavé depuis des mois. Le paysage politique, ses clivages, ses alliances, ses jeux et ses codes s’en trouvent mis cul par-dessus tête. Comment s’est-on laissé prendre à ce piège ? Comment a-t-on pu laisser enfermer tout un ensemble de problématiques sanitaires et politiques complexes dans une seule seringue ? La question fera le bonheur des générations à venir de politistes, sociologues et psycho-analystes.

L’auteur de ces lignes, qui n’est ni médecin, ni épidémiologiste, ni charlatan, ni même candidat à la présidence de la République, se gardera bien de donner à qui que ce soit des leçons de savoir-vivre en pandémie. Mais, au vu des diverses manifestations dites « antivax » qui perdurent, il pense utile de procéder à, comme le chantait joliment Jackie Quartz, « juste une mise au point ». Sans prétention, à la va-vite, dans le désordre.

Commençons donc par rappeler que le « moi, je fais ce que je veux » n’a que peu de rapports avec la liberté. Rappel nécessaire au vu de la capacité qu’ont les extrêmes droites à l’instrumentaliser au service de n’importe quelle grogne, pourvu qu’elle vise le président de la République et agite les fantômes d’autres forces, obscures, invisibles et surtout… étrangères. Cette captation d’un air du temps empreint de dégagisme, de frustrations sociales et de détestations xénophobes a mis bas les masques dans les premières manifs antivax.

Des individus ont ainsi pu défiler en manifestant fièrement ce vieil antisémitisme qui attribue aux juifs tous les malheurs du monde. À leurs côtés, on dénonçait « Big Pharma » – un anglicisme annonçant que l’ennemi vient d’ailleurs – sans jamais évoquer la nécessaire levée des brevets, ni mentionner une multinationale « bien de chez nous », Sanofi pour ne pas la nommer, dont les errements et leurs causes n’ont rien de bien mystérieux. En tout cas, pas pour nos lectrices et lecteurs… D’autres enfin, systématisaient d’audacieux parallèles entre les décisions sanitaires du gouvernement et la politique génocidaire du IIIe Reich. Pour citer Pierre Desproges, pour le même prix, on a La Nausée et Les Mains sales. Avec, en prime, l’indifférence de leurs voisins de manifestation. C’est là le plus préoccupant, car – faut-il le rappeler ? – il ne suffit pas de vitupérer contre le gouvernement pour être fréquentable.

Défiance : cherche vaccin, stop. Urgent, stop.

On a évidemment le droit d’être dubitatif vis-à-vis de vaccins relativement vite mis au point ; troublé par leur multiplication rapide et surpris de ce que le corps médical discute de leurs usages en fonction de critères tels que l’âge. On peut préférer « attendre ». Même si l’on ne sait pas trop quoi. Encore faut-il que ces interrogations acceptent de prendre en compte un train de certitudes : le Covid tue ; sans attendre et massivement. En être porteur, c’est contribuer à sa diffusion. La vaccination, appliquée depuis plusieurs mois et dans de nombreux pays, n’a, elle, tué personne.

Sans protéger à 100 % de la maladie, elle en combat les complications mortelles ; elle contribue à alléger les charges hospitalières et elle constitue, à terme, le seul chemin vers un « après » encore très hypothétique du fait, justement, des inégalités vaccinales dans le monde. Ces simples faits fondent l’adhésion majoritaire à la politique de vaccination. D’où viennent alors la vivacité et la ténacité d’une opposition qu’on ne saurait, sauf à s’aveugler, ramener à sa seule dimension d’extrême droite ?

Pour l’essentiel, le refus procède d’une méfiance totale vis-à-vis de l’exécutif et de son management de crise, pur produit d’une tradition autoritaire perpétuée par tous les gouvernements précédents. On sait – ou l’on devrait savoir – que depuis l’affaire du sang contaminé, quelque chose s’est fêlé entre l’opinion publique et les scientifiques, médecins et hommes politiques. On sait – ou l’on devrait savoir – que la fêlure est devenue gouffre au fil d’une succession de scandales sanitaires : Distilbène, Isoméride, Levothyrox, Médiator. Autant de noms qui ont semé le doute et la peur. Le contexte politique dégradé a transformé la simple méfiance en défiance systémique, ouverte à tous vents, d’où qu’ils soufflent. Les pas de quatre gouvernementaux autour des masques, les semi-vérités sur les stocks de vaccins, l’instrumentalisation des scientifiques par un président autoproclamé épidémiologiste… Tout cela nous a transportés dans un univers cocasse, coproduction baroque et cruelle de Georges Orwell et d’Alfred Jarry. Personne ne souhaite obtempérer à Ubu roi.

Effets d’aubaine, intérêt général et banc de touche

Le héros de Jarry est en effet célèbre pour l’unique remède qu’il préconise face aux problèmes et aux fâcheux : « à la trappe ! » Cette pulsion primitive se retrouve, toutes proportions gardées, chez Emmanuel Macron. On la voit à l’œuvre dès les premiers jours de l’affaire Benalla, vis-à-vis de l’institution judiciaire, à l’encontre des chômeurs et autres « Gaulois », de ceux à qui on peut tout faire, puisqu’ils « ne sont rien ». Sa gestion de la pandémie peut paraître chaotique ; elle est surtout autoritaire. Elle décrète une obligation vaccinale qui n’ose pas dire son nom ; elle s’obstine à en faire une panacée, au détriment des gestes barrières et d’une rupture avec l’austérité qui grève la santé publique en France.

Ce modèle militaro-sanitaire est sans perspective. En matière de pandémie, il n’y a pas de panacée ; seul un ensemble de mesures combinées sur la durée peut permettre une victoire. Encore est-elle toujours à remettre sur le métier, ce dont attestent les retours de tuberculose ou de rubéole. Une bonne politique sanitaire ne se construit pas sur la contrainte, ni sur l’hypocrisie, ce que rappelle sans cesse l’Organisation mondiale de la santé. L’opinion publique peut donc s’en agacer à juste titre, d’autant que, ubuesque jusqu’au bout des ongles, le président envoie allégrement « à la trappe » nombre de droits et de libertés.

Le diable habite dans les détails du pass sanitaire, singulièrement dans ce qui permet d’attenter à la vie privée et au secret médical, dans la privatisation de certains contrôles. Il prolifère dans les textes réglementaires qui facilitent la vie aux employeurs désireux de se « séparer » – dans un flou juridique total et sans obligation aucune – d’un salarié rétif à la vaccination. Il n’est donc pas étonnant, dans un contexte aussi délétère, que certains s’exaspèrent, s’aveuglent et s’égarent. Reste – et le constat est troublant – que sur ces enjeux de santé publique, de libertés civiles, de droit du travail, bref, d’intérêt général, le monde du travail, justement, semble jusque-là assigné au banc de touche. Il lui revient d’en sortir.

Pierre Tartakowsky

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