Pour sauvegarder sa santé
Des millions de personnes doivent rester à leur domicile pour éviter d’être contaminés par le Covid‑19 et d’en contaminer d’autres. Cependant, des travailleurs sont obligés d’œuvrer à l’extérieur. Le travail de certains est indispensable pour sauver et protéger des vies (personnels de santé, salariés de l’alimentation, etc.) ; mais d’autres salariés y sont contraints alors qu’ils ne relèvent pas de secteurs indispensables.
En cette période de pandémie, l’employeur, qui tire profit de l’activité professionnelle des salariés, a une obligation légale de sécurité. Il doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » :
- des actions de prévention des risques professionnels ;
- des actions d’information et de formation ;
- la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes (Code du travail, art. L. 4121-1).
L’employeur met en œuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention (Code du travail, art. L. 4121-2), notamment :
- évaluer le risque ;
- adapter le travail à l’homme (conception des postes de travail, choix des équipements de travail, choix des méthodes de travail et de production, etc.) ;
- prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
- planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants.
L’employeur doit justifier qu’il a pris toutes les mesures nécessaires (Options, octobre 2016) pour réduire au maximum les risques de contagion. Il doit consulter les représentants élus du personnel sur les mesures de prévention dans l’entreprise.
Conformément aux instructions données par l’employeur, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.
Michel CHAPUIS
Droit de retrait vs carence de l’employeur
Pour pallier la carence de l’employeur, le travailleur salarié « peut se retirer » de « toute situation de travail » dont il a « un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé » (Code du travail, article L. 4131-1 depuis les lois Auroux de 1982).
Ce « motif raisonnable » relève de l’appréciation de chaque salarié, en fonction du contexte et de sa situation propre (qualification, ancienneté dans l’entreprise, etc. ; état de santé, etc.). L’exercice de ce droit individuel n’est pas soumis à l’autorisation de l’employeur, qui ne peut le refuser.
Le risque de contamination par le Covid‑19 peut constituer un « danger grave et imminent » au regard de ses conséquences possibles (maladie pouvant entraîner une incapacité temporaire prolongée et pouvant aller jusqu’à la mort) et de l’imminence possible de la contagion, quand toutes les mesures de prévention nécessaires ne sont pas mises en œuvre.
Les modalités d’exercice du droit de retrait sont prévues :
- le travailleur alerte immédiatement l’employeur (oralement) de la situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ;
- le droit de retrait est exercé de telle manière qu’elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent ;
- l’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent ;
- l’employeur prend les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave et imminent, d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail.
L’exercice du droit de retrait est protégé.
Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux. Un licenciement serait nul.
L’intervention des élus du personnel est prévue.
Lorsque le représentant du personnel au comité social et économique alerte l’employeur pour « danger grave et imminent », il consigne son avis par écrit sur un registre spécial.L’employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant du comité qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier.
En cas de divergence sur la réalité du danger ou sur la façon de le faire cesser, le comité social et économique est réuni d’urgence dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures. L’employeur informe immédiatement l’inspection du travail et l’agent du service de prévention de la caisse régionale d’assurance maladie, qui peuvent assister à la réunion du comité social et économique.
À défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du comité social et économique sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur. L’inspecteur du travail met en œuvre soit une procédure de mise en demeure (Code du travail, article L. 4721-1) soit la procédure de référé (Code du travail, article L. 4732-1 ).
Le droit de grève peut être mobilisé.
La revendication étant le respect de la loi concernant l’application effective par l’employeur des mesures de préservation de la santé, les salariés ne doivent alors subir aucune baisse de rémunération du fait de l’exercice de leur droit de grève.
Droit de retrait dans la fonction publique
Dans la fonction publique, moyennant certaines restrictions, le droit de retrait existe pour les agents qui s’estiment confrontés à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé, ou qui constatent que les systèmes de protection sont défectueux.
Edoardo MARQUÈS
Un agent qui fait usage de son droit de retrait peut quitter son poste de travail sans encourir de sanction ni de retenue sur salaire 1. Mais il a l’obligation préalable d’alerter son chef de service du problème à l’origine de son intention d’utiliser le retrait. Les textes n’imposent aucune formalité. Le retrait peut intervenir à la suite d’une information donnée par tous moyens. Le chef de service doit alors prendre des mesures nécessaires destinées à faire cesser la situation.
En outre, ce droit doit s’exercer de telle manière qu’il ne crée pas pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. Cette rédaction implique que le retrait ne peut s’effectuer s’il crée un danger grave et imminent pour des tiers (collègues ou usagers).
Qu’est-ce qu’un danger grave et imminent ?
Le retrait doit pouvoir être exercé lors de tout danger grave et imminent. Celui-ci s’exerce valablement dès lors qu’un agent a un motif raisonnable de penser qu’un tel danger existe 2. L’exigence d’un danger effectif est proscrite par le juge 3. En cas d’épidémie, le chef de service doit être à même de justifier qu’il a pris toutes les mesures de protection adéquates pour la santé de son personnel. Dans ce cadre, l’information, le plus en amont possible, des agents et de leurs représentants – notamment aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (Chsct) – sur les mesures de protection prises pourrait limiter l’exercice infondé du droit de retrait qui peut entraîner retenue sur rémunération ou sanctions.
La notion de danger se définit comme la capacité ou la propriété intrinsèque d’un équipement, d’une substance ou d’une méthode de travail de causer un dommage pour la santé (les dangers de l’électricité, de l’amiante, de la manutention…). Elle se distingue de la notion de risque qui représente l’éventualité de la rencontre entre une personne et un danger auquel elle peut être exposée.
La notion de danger grave est définie ainsi par une circulaire ministérielle : il s’agit de « tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée » 4. Pour la jurisprudence, ce danger doit être distingué du risque « habituel » du poste de travail et des conditions normales d’exercice du travail, même si l’activité peut être pénible ou dangereuse. Ainsi, une activité reconnue dangereuse en soi ne peut justifier l’exercice du droit de retrait.
S’agissant de l’« imminence », le droit de retrait vise « tout danger susceptible de se réaliser brutalement et dans un délai rapproché » 4. C’est donc la proximité de la réalisation du dommage (et non celle de l’existence d’une menace) qui doit être prise en compte. L’imminence ne concerne donc pas seulement la probabilité, mais la probabilité d’une survenance dans un délai proche 5.
Ainsi, dans la mesure où le droit de retrait vise une situation de travail, la crainte que représenterait par exemple une contamination dans les transports ne saurait constituer, a priori, une base solide d’exercice du droit de retrait. Toutefois, le danger qu’il constitue doit être envisagé au regard de létalité induite. Il peut donc être considéré comme grave et imminent pour les agents considérés comme fragiles (en particulier s’agissant des personnes atteintes de maladies respiratoires), pour lesquels l’exposition au virus pourrait emporter des conséquences graves.
Les missions incompatibles avec le droit de retrait
Le droit de retrait, comme tout droit accordé aux fonctionnaires, doit pouvoir être articulé avec la nécessité de continuité du service public et de préservation de l’ordre public. Le Conseil d’État, saisi sur la question de la réglementation du droit de grève par les chefs de service, conclut que la reconnaissance de ce droit « ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d’éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public » 6. Dans ce cadre, un certain nombre d’emplois, de corps ou de cadres d’emplois de fonctionnaires sont visés par des arrêtés interministériels de limitation du droit de retrait (policiers municipaux, administration pénitentiaire, agents en fonction dans les missions diplomatiques et consulaires, sapeurs-pompiers, militaires…).
Des mesures de protection indispensables
En période de pandémie, les personnels qui sont exposés au risque de contamination du virus du fait d’un risque professionnel ordinaire (personnels de santé, personnels chargés du ramassage et du traitement des déchets, notamment), ou parce que leur maintien en poste s’impose pour éviter toute mise en danger d’autrui, ne peuvent légitimement exercer leur droit de retrait au seul motif d’une exposition au virus à l’origine de la pandémie. Pour ces professionnels exposés de manière active au virus, il incombe aux chefs de service, en revanche, de prévoir des mesures de protection renforcées, telles que la dotation régulière et le port de masques, la prescription de consignes d’hygiène, la mise en œuvre de mesures d’organisation du service, la nécessité d’un suivi médical renforcé…
- 1. Voir, par exemple, l’article 5-6 du décret n° 82-453
du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique. - 2. Cour de cassation, chambre sociale, 10 mai 2001,
pourvoi n° 00-43437. - 3. Conseil d’État, 9 octobre 1987, requête n° 69829.
- 4. Circulaire du ministre du Travail n° 93-15 du 25 mars 1993 relative à l’application de la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982.
- 5. Cour d’appel, Paris 26 avril 2001, 21e chambre, Verneveaux c/ Ratp.
- 6. Par référence au droit de grève qui est un droit constitutionnel : Conseil d’État,7 juillet 1950, Dehaene.
Covid‑19 : Les mesures provisoires relatives aux concours et examens dans la fonction publique
L’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid‑19 du 25 mars 2020 1 fixe les dispositions législatives nécessaires à l’adaptation, dans l’urgence, des modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur et de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur, y compris du baccalauréat, et de toutes voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois des agents publics et des magistrats en cours ou engagées dont le déroulement a été ou est affecté par l’épidémie de Covid‑19.
Dans la fonction publique, l’ordonnance prévoit la possibilité d’aménager, de modifier le contenu des épreuves des concours et examens et suspend la durée de validité des listes d’aptitude.
Les conditions d’application de l’ordonnance
L’article 1er prévoit que sauf mentions contraires, les dispositions de la présente ordonnance sont applicables du 12 mars au 31 décembre 2020 à toutes les modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur et de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur, y compris le baccalauréat, et à toutes les voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois de la fonction publique.
Elles ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de Covid‑19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. De très nombreuses procédures de recrutement, d’avancement ou de promotion, notamment par concours ou examen dans les différents corps, cadres d’emplois, grades et emplois ont été interrompues.
Cette ordonnance vise donc à prévoir les conditions dans lesquelles ceux-ci pourront être poursuivis à d’autres échéances, voire réorganisés. L’article 5 de l’ordonnance permet de prendre les mesures nécessaires pour assurer la continuité du déroulement des voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois des agents publics, dans le respect du principe constitutionnel d’égalité de traitement des candidats. Le principe de sécurité juridique ne permet pas au pouvoir réglementaire d’apporter en urgence toutes les modifications nécessaires dans le déroulement des épreuves, eu égard à l’incidence potentielle de ces dernières sur les conditions de préparation des candidats et à leurs attentes légitimes. Il convient par conséquent de conférer un fondement légal à ces modifications, dans le respect par ailleurs du principe constitutionnel d’égal accès aux emplois publics.
En outre, si la plupart des mesures envisagées relèvent du domaine réglementaire, il convient de déroger aux dispositions d’ordre législatif qui imposent la présence physique des membres de jurys ou d’instances de sélection.
Les éventuelles modifications du nombre et du contenu des épreuves
Le même article 5 de cette ordonnance prévoit que peuvent être adoptées des mesures d’adaptation du nombre ou du contenu des épreuves pour simplifier le processus d’accès aux emplois publics, en raccourcir la durée et ainsi pourvoir aux vacances d’emploi en temps utile. Ces mesures pourront prendre la forme de la suppression des épreuves, notamment écrites, peu susceptibles d’être passées à distance, et du maintien des seules épreuves orales jugées nécessaires pour apprécier les vertus et talents des candidats.
Organisation d’épreuves à distance
En complément, seront également adoptées les dispositions nécessaires pour permettre la continuité du déroulement des concours et examens face à l’impossibilité des déplacements physiques des candidats comme des membres de jury. Des dispositifs de visioconférence ou d’audioconférence, assortis des garanties nécessaires à assurer l’égalité de traitement des candidats ainsi que la lutte contre la fraude, seront également mis en place toutes les fois que les conditions matérielles seront réunies pour permettre l’organisation du processus de sélection à distance.
Les garanties procédurales et techniques permettant d’assurer l’égalité de traitement des candidats et la lutte contre la fraude seront fixées par décret.
Les dispositions spécifiques aux agents de l’État et hospitaliers
Le I de l’article 6 de l’ordonnance prévoit que, lorsqu’à la date du 12 mars 2020, le jury d’un concours ouvert n’a pu établir la liste classant par ordre de mérite les candidats déclarés aptes, la liste complémentaire établie par le jury du concours précédent peut être utilisée afin de pourvoir des vacances d’emplois.
La durée de validité de deux ans de la liste complémentaire, si elle arrive à échéance au cours de la période qui va du 12 mars au 31 décembre 2020, est prolongée jusqu’au terme de cette période.
En outre, dans la fonction publique de l’État, lorsqu’un concours est en cours ou a été ouvert pendant la période, les candidats doivent remplir les conditions générales prévues pour l’accès au corps auquel ils postulent au plus tard à la date d’établissement de la liste classant par ordre de mérite les candidats déclarés aptes par le jury.
La suspension de la durée de validité des listes d’aptitude dans la fonction publique territoriale
Dans la fonction publique territoriale, l’article 44 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires, prévoit que les listes d’aptitude sont valables pour une durée de quatre ans à l’issue du concours. Afin de ne pas pénaliser les candidats dans leur recherche d’un employeur à la suite de leur réussite au concours et de permettre aux autorités organisatrices des concours de pourvoir aux vacances d’emplois constatées, le décompte de la période de validité de ces listes est suspendu pendant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois (II de l’article 6).
- 1. Ordonnance publiée au Journal officiel du 28 mars 2020, application de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid‑19.