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L’intersyndicale d’AgroParisTech appelle à signer la tribune « Stop privatisation Grignon ».

Article mis en ligne le 30 avril 2021, publié dans Options n° 666

En soutien aux étudiants

Photo : DR

Tout comme l’intersyndicale (Cgt, Cftc, Fo, Cfdt, Fsu, Unsa et Sud) de l’établissement, la Cgt-Agri a apporté son soutien aux étudiants d’AgroParisTech. Depuis le début du processus en effet, « nous avons marqué notre opposition au projet de vente », souligne Thomas Vaucouleur, enseignant et cosecrétaire de la Cgt-Agri, parti à la rencontre des étudiants grévistes pour échanger avec eux et comprendre leurs demandes. Cette opposition est notamment motivée par le fait que le regroupement des grandes écoles parisiennes sur le plateau de Saclay, dans l’Essonne, ne garantit en rien, pour le syndicat, une amélioration des conditions d’étude et de travail, des étudiants comme des personnels. La cession du domaine de Grignon à un investisseur privé, destinée à autofinancer ce regroupement, serait pour lui « une erreur sur les plans à la fois économique, écologique, patrimonial et social ».

Cela ne peut donc se faire en catimini, affirment en substance les organisations syndicales. Provoquer un débat public, en levant le voile sur le contenu des candidatures et les dérives du projet, est d’ailleurs l’un des apports du blocus étudiant.

Ingénieur d’étude à AgroParisTech, animateur du collectif Enseignement supérieur de la Cgt-Agri et administrateur salarié, Pablo Granda en témoigne : « Comme administrateurs, nous devons voter sans avoir tous les éléments de la vente. Ce sont par exemple les étudiants qui ont obtenu les informations sur la structure et la composition du jury. » Le sujet a toujours été sensible. Lors d’un comité technique ministériel organisé en distanciel le 24 mars, l’intersyndicale a souhaité donner la parole aux étudiants. « Au prétexte que ce n’était pas à l’ordre du jour, l’administration a coupé la visioconférence. À la reprise, nous avons décidé de lire leur déclaration », poursuit Pablo Granda. Lors de ce comité, l’intersyndicale a demandé de « surseoir à la vente ».

Christine Labbe

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Responsabilité professionnelle : Terrains minés – Options 665

Article mis en ligne le 29 mars 2021,

Il s’agit d’une injonction contradictoire, de celles qui font perdre la tête. Le «soyez responsables»
se développe dans un contexte conflictuel : pas de réelles marges 
de manœuvre, pas de mot à dire
 sur les fameux objectifs, moins encore sur le sens du travail. Cette situation, douloureuse à vivre, stérilisatrice d’énergie et de créativité, renvoie au […]

Il s’agit d’une injonction contradictoire, de celles qui font perdre la tête. Le «soyez responsables»
se développe dans un contexte conflictuel : pas de réelles marges 
de manœuvre, pas de mot à dire
 sur les fameux objectifs, moins encore sur le sens du travail.
Cette situation, douloureuse à vivre, stérilisatrice d’énergie et de créativité, renvoie au fond au statut de l’entreprise et à sa gouvernance, singulièrement au rôle joué par les actionnaires. Lesquels ont su dégager leur exercice du pouvoir de toute «responsabilité»…
Alors, comment échapper aux injonctions contradictoires, dépasser cette tension logée au cœur du travail quotidien
 de la plupart des salariés qualifiés et ouvrir les chemins d’une responsabilité authentique ?

(suite…)

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Ugict : Responsabilité et vigie environnementale

Article mis en ligne le 19 mars 2021, publié dans Options n° 665

Les salariés revendiquent leur responsabilité environnementale, l’Ugict les accompagne.

Face à la lenteur des décisions politiques et à l’inaction de la plupart des entreprises, les salariés refusent l’impuissance. En tant que citoyens, mais aussi parce qu’ils savent qu’une activité ne prenant pas en compte les enjeux climatiques ne sera pas pérenne. Dans cet esprit, l’Ugict développe ses outils pour aider les salariés à intégrer la notion d’impact environnemental à leur activité professionnelle. Le syndicat diffuse son « Manifeste pour la responsabilité environnementale », réaffirmant ses principes et ses priorités. Notamment intégrer ces enjeux dès les formations, en particulier celles des ingénieurs, et gagner de nouveaux droits dans l’entreprise : « Limitée à un devoir de loyauté envers les directives financières, la responsabilité professionnelle doit être réhabilitée et adossée à l’intérêt général, avec un droit de refus et de proposition alternative, pour faire primer l’éthique et la déontologie professionnelles. » Le collectif ingénieurs de l’Ugict, récemment constitué, travaille à la définition d’un « droit d’alerte technologique », pour « défendre la technicité des ingénieurs mais également un regard sur leur travail, avec la volonté de mettre les qualifications au service de la réduction de l’impact environnemental et de l’élaboration de produits répondant aux besoins sociaux ».

Autre chantier en cours, qui fera l’objet d’une présentation détaillée d’ici à l’été, l’Ugict va mettre à disposition des salariés un « outil d’évaluation de l’impact environnemental » des entreprises, avec l’aide de militants, de fédérations et de collectifs confédéraux (notamment chargés de l’industrie et de l’environnement) investis sur la question, et du cabinet d’expertise Secafi. Les salariés qualifiés en responsabilité veulent utiliser leur pouvoir décisionnel et leur place dans les entreprises pour redonner de la finalité et du sens à leur travail, en particulier sur cet enjeu mobilisateur, et pas seulement chez les plus jeunes : « L’outil permettra aux Ictam, à partir des informations dont ils bénéficient dans le cadre de leur travail, d’évaluer l’impact environnemental de leur entreprise et de faire des propositions pour le réduire en construisant un rapport de force » souligne l’Ugict. Baptisé Radar environnemental, l’outil sera participatif – fondé sur la micro-expertise de chacun, évolutif et adaptable à chaque situation de travail. Des kits complets et une formation seront mis à disposition. Il va être expérimenté ce printemps par les syndicats de Thales, Saint-Gobain et Orange, avant un lancement en septembre.

V. G.

Credit photo : Vincent Isore/maxppp

 

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Fatalisme climatique ? Les salariés en contre-pouvoir

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 665

La loi climat ne prévoit rien pour contraindre les entreprises à réduire leur fort impact sur le réchauffement climatique. Les salariés n’en disposent pas moins de leviers pour leur imposer des pratiques plus vertueuses.

La loi « climat et résilience » examinée depuis le 8 mars à l’Assemblée nationale s’annonce peu ambitieuse (lire page 9). Par exemple, elle n’engage pas les pouvoirs publics dans des financements d’envergure pour la rénovation thermique de l’habitat, le développement des transports collectifs, du chemin de fer ou des circuits économiques courts, pour des relocalisations.

Autant d’activités pourvoyeuses de dizaines de milliers d’emplois et qui contribueraient à l’accélération de la transition écologique. Par ailleurs, la loi s’en remet à la bonne volonté des entreprises pour « favoriser la décarbonation des modes de production ». Rien qui ne les contraigne réellement à réévaluer l’ensemble de leurs pratiques pour réduire leur impact environnemental. La moitié des émissions mondiales de CO2 sont pourtant le fait de seulement 100 entreprises. Mais, en invoquant la « résilience », outre l’effet de mode, cette loi ne s’accommode-t-elle pas d’emblée d’un certain fatalisme ?

Le capitalisme vert, comme la couleur du dollar ?

À l’instar des 150 de la « Convention citoyenne pour le climat », qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour proposer des mesures engageant concrètement la société vers un modèle de développement plus vertueux, les salariés ne se résolvent pas à l’inaction. Nombre d’entre eux savent que si les gestes individuels de la vie quotidienne peuvent faire bouger les lignes, aucun changement d’ampleur ne s’accomplira si rien n’est fait au sein des entreprises. Par ailleurs, les salariés, et pas seulement les plus jeunes, ne conçoivent plus d’agir à l’inverse de leurs convictions quand ils sont au travail.

La bataille environnementale au sein de l’entreprise s’affirme d’autant plus incontournable qu’elle n’est plus perçue comme contradictoire avec les intérêts sociaux et l’emploi. En témoigne par exemple l’actuelle mobilisation pour la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne.

Improbable encore il y a peu, elle rassemble les salariés et leurs syndicats, à commencer par la Cgt, mais aussi Greenpeace, Oxfam, Les Amis de la Terre et un ensemble d’organisations de défense de l’environnement. Il faut dire que Total essaie de mettre sur le dos de l’écologie la reconversion du site en « plateforme zéro pétrole » et la suppression de 200 des 460 emplois (plus 500 emplois indirects minimum) ! Le site ne raffinerait plus de pétrole brut et serait dédié aux agrocarburants et au recyclage du plastique, des activités pourtant pas sans impact environnemental, puisque les agrocarburants contribuent à la déforestation, et que le recyclage du plastique n’est pas possible sans ajout de dérivés de produits pétroliers.

Par ailleurs, Total devrait alors importer davantage de pétrole raffiné du Moyen-Orient ou d’Asie, alourdissant ainsi le coût écologique pour ces pays, qui ne respectent pas mieux les normes sociales, et le coût économique pour les Français qui, pour l’heure, ont encore besoin de produits pétroliers. Cette opération de greenwashing évite aussi à Total d’investir 500 millions d’euros pour entretenir son oléoduc Le Havre-Grandpuits. Les salariés et associations travaillent désormais ensemble à un projet alternatif et pérenne.

Tout est lié, et la défense de l’environnement, comme celle de la santé, devient un motif légitime de mobilisation collective dans les entreprises. Quant à ces dernières, certaines commencent à comprendre, parfois sous la pression de leurs actionnaires, que réduire leur impact écologique n’est pas qu’une question d’image, mais aussi de maîtrise du ratio qualité-coût. Elles disposent de marges pour examiner leur mode de production, la gestion de leurs approvisionnements, de leurs déchets, de leurs bâtiments, leur logistique sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Bien au-delà du changement des touillettes plastiques pour le café, elles pourraient même gagner de l’argent tout en améliorant la qualité de vie et le pouvoir d’achat des salariés.

Réduire l’impact environnemental d’une activité : à bénéfice partagé

C’est ce dont témoigne le juriste Arnaud Casado, maître de conférences à l’université Paris-I, qui œuvre à construire et à consolider des passerelles entre droit du travail et droit environnemental, au travers de ce qu’il a défini sous le concept de « droit social à vocation environnementale » *. Il a récemment été sollicité pour intervenir auprès d’élus et de syndicalistes Cgt à l’union départementale de Paris : « Il ne s’agit pas de minimiser l’importance des actions syndicales classiques, y compris pour gagner de nouveaux droits, explique Christian Galani, responsable de la formation syndicale à l’Ud et juriste lui-même, mais d’éclairer comment la collectivité de travail peut d’ores et déjà peser sur certains choix des entreprises, avec un triple bénéfice, pour l’environnement, pour l’entreprise et pour les salariés. »

Arnaud Casado y a évoqué quelques exemples d’actions concrètes, notamment pour décarboner les mobilités. Celui d’une entreprise qui a formé ses salariés à l’écoconduite lors des déplacements. L’environnement y a gagné une réduction de ses émissions de CO2 (moins 2 000 tonnes en un an), l’entreprise dépense moins en carburant (plus 400 euros de crédits d’impôt par salarié concerné) et les salariés ont touché une prime carburant de 1 000 euros.

Dans le Rhône, une autre entreprise a réorganisé les horaires de travail de ses salariés pour qu’ils puissent prendre certains trains et gagner du temps, se rendre au travail en covoiturage avec d’autres collègues, ou utiliser leur vélo : là aussi gains en qualité de vie et gains financiers pour tous. « De nombreuses ressources sont mobilisables, ajoute Arnaud Casado. Des accords de télétravail bien négociés, de l’intéressement qui peut aussi intégrer la dimension responsabilité sociale et environnementale, une gestion avisée des activités sociales et culturelles du comité d’entreprise. C’est comme quand on joue aux cartes, même si on n’a pas en main toutes les cartes espérées, on peut quand même essayer de jouer la partie. Les entreprises ne résistent pas au changement si elles ont à y gagner. Et le syndicalisme traditionnel ne peut pas ignorer ces préoccupations, sinon d’autres organisations s’en saisiront. »

L’Ugict pilote d’ailleurs un projet baptisé Radar environnemental (lire encadré), avec à l’esprit que les salariés ont une expertise à faire valoir sur ces questions, et doivent pouvoir peser sur les orientations et les pratiques de leur entreprise. D’autant plus quand ils sont en responsabilité et susceptibles d’être impliqués au civil ou au pénal en cas d’impact grave sur la santé ou sur l’environnement…

Valérie Géraud

* Arnaud Casado, « Covid-19 : quatre propositions concrètes pour réussir son déconfinement et sa transition écologique grâce au droit social à vocation environnementale », 13 mai 2020.

Et la vidéo « Amorcer une juste transition grâce au droit social à vocation environnementale », 12’ 30” sur Youtube.

 

 

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Unédic – Le spectacle tient la scène

Article mis en ligne le 13 mars 2021, publié dans Options n° 665

Rares sont les mobilisations qui conjuguent la revendication du droit au travail et celle d’un accès garanti à la protection sociale. Le mouvement d’occupation des lieux culturels qui s’est développé tout au long du mois de mars y parvient. Décryptage.

Entretien avec Denis Gravouil Représentant de la Cgt au bureau de l’Unédic et secrétaire général de la Cgt-Spectacle.

06/05/2013 – MONTREUIL – SEINE-SAINT-DENIS -FRANCE – Table ronde Options – Photo Nicolas MARQUES / KR Images Presse

– Options : Pourquoi le rejet de la réforme de l’assurance chômage tient-il tant de place dans le mouvement actuel des professionnels du spectacle ?

– Denis Gravouil : D’abord parce que cette affaire nous concerne. À l’heure actuelle, déjà, 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés. Avec cette réforme, le gouvernement entend enterrer définitivement les droits des privés d’emploi, tout particulièrement des travailleuses et travailleurs précaires qu’ils soient intérimaires, saisonniers, « extras » dans l’hôtellerie, guides-conférenciers ou intermittents employés dans d’autres secteurs que les nôtres. Les professionnels du spectacle ne vivent pas sans les autres salariés. Les agents de sécurité, comme les personnels d’accueil ou les attachés de presse, sont indispensables à notre travail. Même si la réforme ne nous concerne pas directement, nous ne nous en sortirons pas seuls. Le régime spécifique des intermittents ne survivra pas sur les ruines du régime d’assurance chômage. Si pour essayer d’entamer notre mobilisation, le gouvernement espère jouer la division en dissociant la question des droits au chômage des intermittents de ceux des autres salariés, il va déchanter. Ça ne marchera pas.

 

– Quels sont les principaux points que prévoit cette réforme ?

– Quatre mesures qui, chacune à leur façon, entament le droit à disposer de conditions dignes d’existence en cas de perte d’emploi. Pour commencer, la transformation du mode de calcul des allocations. Cette mesure va s’imposer dès le 1er juillet 2021. Selon les évaluations faites par les services de l’Unédic, elle devrait entraîner une baisse moyenne de 20 % de l’indemnisation versée à quelque 840 000 personnes, soit 38 % des allocataires du régime d’assurance chômage, dont les plus fragiles. Les jeunes, tout particulièrement. La deuxième mesure prévue consiste en un durcissement des critères d’accès à l’ouverture des droits en faisant passer le seuil d’éligibilité de quatre à six mois travaillés sur les vingt-quatre derniers mois. Cette disposition va être déflagrante. Face à l’opposition unanime des syndicats, le gouvernement a été obligé de lâcher du lest : d’en repousser la mise en œuvre à un « retour à meilleure fortune » comme il l’a fait pour la troisième mesure annoncée : l’introduction annoncée d’une dégressivité de 30 % des allocations versées aux personnes de moins de 55 ans dont le salaire de référence est supérieur à 4 500 euros brut par mois.

 

– Que revêt cette notion tout à fait nouvelle dans les règles d’attribution des allocations-chômage d’un « retour à -meilleure fortune » ?

– Une amélioration de la situation sur le marché de l’emploi, que le gouvernement pense pouvoir déclarer à la rentrée 2021. Pour l’instant, aucun critère n’en définit les conditions. Mais une chose est sûre : cette notion tourne le dos à une conception de la protection sociale fondée sur le droit à des moyens d’existence en tout temps et à tous les salariés qui ont cotisé et participé à la solidarité interprofessionnelle.

 

– Une dérive qui concerne aussi l’introduction prochaine d’une dégressivité des allocations versées aux cadres, ne pensez-vous pas ?

– Absolument. Qui plus est, ne nous y trompons pas, cette disposition préfigure le rétablissement d’une dégressivité qui s’imposera plus tard à tout le monde, alors même que toutes les enquêtes faites à ce sujet le démontrent : cette mesure, imposée de 1996 à 2001, était aussi injuste qu’inefficace. Non seulement, elle n’accélère pas la reprise d’emploi des plus qualifiés, mais elle engendre des difficultés supplémentaires pour les chômeurs les moins qualifiés, ceux-ci se retrouvant en concurrence sur les mêmes postes avec des personnes mieux formées.

 

– Comment expliquer cet acharnement à réformer contre ceux qui, d’une certaine façon, ont le plus besoin de la protection du régime ?

– Deux obsessions : d’abord, l’idée selon laquelle les chômeurs ne veulent pas travailler, qu’il leur suffirait de « traverser la rue » pour trouver un emploi. Les études récurrentes sur la fraude aux prestations l’alimentent. Certains voudraient en faire un épouvantail plus inquiétant que la fraude fiscale, alors que Pôle emploi évalue cette fraude-là à 0,4 % du montant des prestations versées, alors que rien n’est jamais dit de l’ampleur du non-recours au droit à l’assurance chômage. Même si ce phénomène est mal cerné, nul ne le conteste. Chaque année, des centaines de millions d’euros ne sont pas versées à des demandeurs d’emploi, tout simplement parce que ceux-ci méconnaissent leurs droits ou les abandonnent. En 2018, la loi votée pour la « liberté de choisir son avenir professionnel » demandait la rédaction d’un rapport sur ce sujet pour mieux en sonder sa réalité et évaluer ses conséquences. Depuis des mois, la Cgt ne cesse de demander que ce travail soit fait et que, d’urgence, des mesures concrètes soient prises pour s’en prémunir. En vain. Il faudrait pour cela admettre la nécessité de protéger les privés d’emploi.

 

– Et cette volonté n’est plus ?

– Le projet porté par le libéralisme est exactement son contraire. Que la paupérisation des chômeurs soit un non-sens économique, ses promoteurs s’en moquent. Leur projet n’est pas celui d’un régime assurantiel qui assure des droits à tous ses cotisants. Ce pour quoi ils militent est toute autre chose : un modèle fondé sur l’assistance, qui n’offre plus qu’un tout petit filet de sécurité aux demandeurs d’emploi, non pour leur assurer des conditions de vie décentes mais pour mieux accompagner la précarité. La politique mise en œuvre par le gouvernement est toute entière inspirée par ce projet. Emmanuel Macron a une priorité : donner des gages aux marchés. Il veut pouvoir démontrer sa volonté de réduire le poids de la dette des organismes de sécurité sociale. Qu’il n’ait pas pu avancer sur le dossier des retraites, il l’admet. Mais il veut prouver qu’il a tout fait pour avancer sur celui de l’assurance chômage et, à travers lui, sur celui du marché du travail en œuvrant pour une plus grande flexibilité.

 

– La quatrième mesure prévue par la réforme de l’Unédic, celle d’un report à 2022 du projet de modulation de la cotisation patronale selon le taux de recours des entreprises aux Cdd, y participe ?

– Effectivement puisque, si les trois premières dispositions réduisent les droits des salariés , celle-ci laisse les entreprises user et abuser des contrats précaires. La modulation des cotisations d’assurance chômage payées par les employeurs, telle que prévue, n’est guère contraignante. Tout d’abord, elle doit ne s’appliquer qu’en septembre 2022. Ensuite, elle ne concernera que les entreprises ayant échappé à la crise et, enfin, si et seulement si elles recourent à des Cdd de moins d’un mois. Bien sûr, la mesure a fait hurler le patronat. Mais qu’on ne s’y trompe pas : pour le principe seulement. Cette temporalité d’un mois concerne très peu de contrats et certainement pas les femmes, touchées huit fois plus que les hommes par les temps partiels…

 

– Est-ce pour toutes ces raisons que, cette fois, contre la réforme de l’Unédic, l’unité syndicale a été totale ?

– Sans aucun doute, mais un élément y a aussi fortement aidé : la volonté du gouvernement de reprendre la main sur la gestion de l’organisme. La question n’est pas seulement technique ; elle est éminemment politique. En visant le contrôle de l’organisme paritaire, l’État confirme son intention d’en changer le mode de financement : de substituer l’impôt aux cotisations sociales, d’abandonner le modèle assurantiel pour lui préférer un modèle d’assistance. La question qui nous est posée est simple : comment veut-on sortir de la crise ? Veut-on en sortir par l’appauvrissement des droits et des protections garanties au monde du travail, ou par leur renforcement ? Ce que vivent les professionnels du spectacle offre le miroir grossissant de ce que vivent tous les autres salariés : une furieuse envie de se forger un avenir, de pouvoir travailler et vivre dignement. Le moment n’est pas à encourager plus encore la précarité. Il est à assurer des conditions de vie décentes à tous en attendant que l’activité reprenne pleinement. Et pour cela, de prendre des mesures d’urgence : la réouverture des lieux culturels, l’abandon définitif de la réforme et l’instauration d’une nouvelle année blanche pour l’ensemble des travailleurs précaires et demandeurs d’emploi, quel que soit leur secteur d’activité. Qu’il s’agisse de l’emploi, du salaire, de la culture, des droits sociaux ou des liens collectifs : ces besoins sont ceux de tous. Ils doivent être satisfaits.

Propos recueillis par Martine Hassoun

 

Crédit Photo : Nicolas Marques/KR Images Presse

 

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Cartographie des tiers-lieux

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 665

Encore aujourd’hui, ces espaces de travail constituent un phénomène essentiellement urbain. Jusqu’à quand ?

Il y a un paradoxe : alors que les tiers-lieux, comme les espaces de coworking, pourraient être des outils d’aménagement du territoire, ils ont longtemps peiné à décoller et apparaissent encore aujourd’hui comme un phénomène essentiellement urbain. La seule étude d’envergure a été réalisée en 2018 par la fondation Travailler autrement, avec l’appui du Commissariat général à l’égalité des territoires (Cget) * : elle montre qu’il existait, à cette date, 1 463 tiers-lieux sur tout le territoire, dont plus de la moitié situés au cœur des 22 grandes métropoles françaises couvrant un tiers de la population. Et au sein de la métropole lyonnaise par exemple, 80 % de ces lieux se concentrent dans le centre de Lyon.

La crise sanitaire peut-elle être une opportunité de « rééquilibrage territorial » ? Parce que le télétravail peut inciter des populations à s’installer dans des zones périurbaines ou plus rurales, les Régions y croient et y travaillent, même si les obstacles au développement de ces lieux, comme l’hétérogénéité de la couverture numérique des territoires, sont réels. Comme en Nouvelle-Aquitaine, les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser) sont à pied d’œuvre. Dans cette région, 714 000 actifs auraient télétravaillé pendant le premier confinement ; selon une consultation, 91 % souhaitent poursuivre, majoritairement deux jours par semaine. Tiers-lieux mobiles – comme les Protobus présents en région parisienne – ou fixes dans des gares désaffectées ou sous-utilisées… toutes les pistes sont aujourd’hui à l’étude. À moyen terme, l’objectif est que chaque habitant puisse accéder, en voiture, à un espace de proximité en moins de vingt minutes. C. L.

* « Tiers-lieux : un défi pour les territoires », septembre 2018.

Crédit photo : Antoine Tomaselli/maxppp

 

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Télétravail : Partir, revenir…

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 665

Merveilles du numérique ! Séduits par des offres proposant de travailler partout en France mais aussi depuis l’étranger, certains salariés, lassés d’être rivés à leur domicile, partent pour la mer ou la montagne. Mais le bureau n’a pas dit son dernier mot.

Maison calme en bord de mer, dotée de bureaux pour parents et enfants, idéale pour le télétravail : il n’aura pas fallu longtemps pour que les plateformes communautaires de location de logements s’adaptent à la situation créée par la crise sanitaire. C’est que l’envie, voire le besoin de télétravailler hors de chez soi, motivés notamment par le manque d’espace et l’absence de lieu adapté, sont une réalité mise en évidence, dès le premier confinement, par les données de l’opérateur Orange : entre le 13 et le 20 mars, près de 1,2 million d’habitants du Grand Paris, soit 17 % de la population, ont quitté la région pour rejoindre leur famille ou occuper leur résidence secondaire en Charente-Maritime, dans l’Orne, l’Yonne ou l’Ille-et-Vilaine. On estime que la moitié d’entre eux ont télétravaillé.

Dans la loi, rien n’interdit de télétravailler depuis un autre lieu que le domicile et il n’y a pas, à ce jour, de jurisprudence sur un conflit employeur-salarié portant sur ce sujet. Chez Microsoft France, où les salariés, hormis ceux qui sont « en urgence sociale », télétravaillent intégralement depuis le premier confinement, la liberté est quasi totale « dès lors qu’il n’y a pas de contraintes clients ni de réunions sur site, ce qui est d’ailleurs le cas depuis le 16 mars 2020 », précise Matthieu Trubert (Cgt-Microsoft). De fait, ils sont la cible idéale d’une multiplicité d’acteurs, de start-up spécialisées, d’agences de voyages ou de résidences de vacances qui proposent des offres dédiées aux télétravailleurs occasionnels ou permanents, avec un double objectif : rechercher de nouveau profits dans un marché émergent et compenser la chute des recettes touristiques.

En délivrant des visas pour travailleurs nomades, ouverts sous condition de revenus aux travailleurs indépendants comme aux salariés, certains pays comme l’Estonie, la Géorgie, mais aussi les Bermudes ou La Barbade participent du mouvement. Partir télétravailler à l’étranger ? « La demande existe, mais elle reste marginale », souligne pourtant Matthieu Trubert.

Un télétravail possible en « tout lieu »

Dans la pratique, comme le rappelle l’accord national interprofessionnel (Ani) de novembre 2020, le lieu d’exercice du télétravail est en effet souvent limité, par accord d’entreprise, à la résidence principale, voire aux « tiers-lieux » comme les espaces de coworking. Mais avec le premier confinement, cette limite a brutalement sauté : « Avant la crise sanitaire, les salariés télétravaillaient à domicile ; avec le confinement, ils ont travaillé où ils le voulaient », explique Nayla Glaise (Cgt-Accenture).

Parce que cela suppose un télétravail intégral, une installation à l’étranger est plus problématique : l’option a été d’ailleurs rapidement rejetée par les employeurs, confrontés à une accumulation de difficultés : l’obligation de santé et de sécurité ; l’égalité de traitement (formation, droits collectifs, titres-restaurants…) ; le droit à la déconnexion ; la sécurité informatique… Même les entreprises qui, comme le groupe pharmaceutique Novartis, promettent aux salariés de pouvoir travailler « où, quand et comme ils veulent » (voir page…), y ont renoncé, au motif des différences de législations entre États (impôts individuels, impôts sur les sociétés, systèmes de protection sociale…). Celles qui ont des établissements transfrontaliers font exception : dans son nouvel accord, Framatome, par exemple, autorise le -télétravail dans les pays voisins pour des raisons de proximité géographique.

Une confusion entre temps de travail et de repos

Cette option étant en grande partie rejetée, reste l’ensemble du territoire. Dans les accords nouvellement conclus ou en cours de négociation, comme chez Thales ou Accenture, le lieu d’exercice du télétravail fait partie des articles qui ont dû être musclés et s’organise désormais à cette échelle en portant la mention « En France métropolitaine ». Souvent d’ailleurs, dès lors qu’il est déclaré auprès de la société, le télétravail peut s’exercer « en tout lieu » pour prendre en compte la diversité des nouveaux profils éligibles au télétravail et les motivations de chacun, ainsi déclinés dans l’accord du groupe Framatome : meilleure conciliation entre vies personnelle et professionnelle, recherche de davantage de concentration, situation de proche aidant… Quiconque veut donc profiter des work hubs ou des séjours en workation, combinant travail et environnement de vacances, en a la possibilité. Mais sous couvert de modernité, les anglicismes masquent difficilement les dérives dont ils sont porteurs : après avoir investi le domicile, voilà que le travail s’invite également sur les lieux de vacances, brouillant encore davantage la frontière entre-temps de travail et de repos.

Selon une étude réalisée par la chaire Workplace management de l’Essec Business School, c’est au bureau que 57 % des salariés veulent occuper leur temps de travail, quand 37 % préfèrent être à domicile et seulement 6 % dans un tiers-lieu…

Coanimateur du réseau Sharers & Workers sur les transformations du travail, Franck Bonnot confirme la demande d’un télétravail hors du domicile habituel, dans un tiers-lieu pris au sens large : dans une entreprise étudiée, la consultation a montré que cela intéressait 25 % des salariés, presque 40 % des trentenaires. Mais, faute de recul, personne ne peut prendre la mesure d’un mouvement qui pourrait n’intéresser qu’une poignée d’actifs, parmi les plus aisés et les plus familiers avec les outils numériques. Tout juste sait-on que la reprise progressive de l’activité économique, avec le premier déconfinement, s’est accompagnée d’une « reprise partielle » des mouvements de population vers les grandes villes, a montré l’Insee 1, ce qui atteste plus vraisemblablement d’un télétravail qui continue, pour certains, de s’adapter aux contraintes sanitaires et de s’exécuter dans les maisons familiales au sens large.

Vers une nouvelle géographie du travail ?

Cela peut-il durer ? Se développer ? Les salariés sont-ils prêts à quitter les grandes métropoles, comme le laissent entendre de multiples études ? Ce pari est fait notamment par plusieurs collectivités des Alpes, comme La Clusaz qui, en collaboration avec une plateforme communautaire, propose des offres locatives « dédiées au télétravail », sortes de produits d’appel visant à une installation définitive des salariés et de leur famille. Dans tous les cas, les mouvements de populations sont observés de près par ceux qui s’interrogent sur la possibilité d’une « nouvelle géographique du travail » portée par une généralisation annoncée de ce mode d’organisation. Mais la réalité des attentes des salariés doit être nuancée et questionnée : « Elle prend corps dans le cadre d’une situation sociale très dégradée, contrainte par les mesures sanitaires, avec l’impossibilité d’avoir des loisirs, notamment culturels. Dans ce contexte, il est extrêmement compliqué de se projeter sur “l’après” et les consultations faites à un instant T comportent obligatoirement des biais. Rien ne dit que les attentes qui s’expriment aujourd’hui dans ces consultations n’évolueront pas », souligne Franck Bonnot.

C’est que le bureau n’a pas dit son dernier mot. Dans une étude sur le bureau post-confinement réalisée par la chaire Workplace management de l’Essec Business School 2, c’est bien là que 57 %  des salariés interrogés continuent à vouloir occuper leur temps de travail, quand 37 % veulent être à domicile et seulement 6 % dans un tiers-lieu. Si ces moyennes diffèrent selon le statut professionnel, le type d’espace habituel de travail ou la catégorie socioprofessionnelle, « le bureau sera toujours essentiel pour les organisations et les salariés », soulignent les auteurs de l’étude, soucieux notamment de maintenir un lien social avec les collègues.

Pour l’heure les salariés sont surtout à la recherche de stratégies d’adaptation aux contraintes imposées à l’exercice de leur travail et à leurs déplacements. Partout, c’est le cas. Exemple aux États-Unis, où la ville de San Francisco a vu partir plus de 80 000 familles entre mars 2020 et novembre 2021, un chiffre en augmentation de 77 % en un an. Mais le récit supposé selon lequel elles quitteraient la ville pour le soleil de la Floride ou du Texas ne s’est pas vérifié, prévient un article du San Francisco Chronicle 3 s’appuyant sur les données des services postaux : c’est à proximité qu’elles sont parties s’installer, dans l’un des six contés voisins. Prêtes à revenir au bureau ?

Christine Labbe

  1. Insee Analyses n°54, juillet 2020, d’après les informations provenant des opérateurs de téléphonie Orange, Bouygues Télécoms et Sfr.
  2. Enquête réalisée du 7 au 20 septembre 2020 auprès de 2 643 personnes, salariés d’entreprises (70 %), fonctionnaires (20 %), travailleurs indépendants (2 %) et autres catégories de travailleurs (2 %).
  3. « People are leaving San Francisco but not for Austin or Miami », San Francisco Chronicle, 18 février 2021.

 

Crédit photo : Jean-Marc Quinet/maxppp

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Responsabilité : l’épreuve de vérité

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 665

Pascal Ughetto. Professeur de sociologie à l’université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée, chercheur au Laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts).

Pascal Ughetto

Le développement du télétravail bouleverse moins le lien de subordination qu’il ne met au défi les organisations du travail, et avec elles, tous les acteurs de l’entreprise, de se réinventer. C’est le propos de Pascal Ughetto. Il s’en explique.

Au confinement et à son corollaire, le télétravail, on ne peut tout imputer. Et pour commencer, les réflexions en cours sur de nouveaux modes de management. Cela fait presque dix ans que les entreprises se penchent sur la transformation des relations hiérarchiques. Si le développement du numérique explique en partie leur volonté d’imaginer de nouvelles méthodes de travail, le développement des start-up et de la nouvelle culture managériale qui les caractérise joue largement aussi dans la diffusion de ce mouvement. Depuis 2012-2013, les entreprises cherchent à valoriser ce mode de fonctionnement qu’elles estiment moins rigide et moins hiérarchique, plus tourné vers l’innovation et les circuits courts de décision. Modèle dont le concept d’entreprise libérée » – libérée des chefs et de la hiérarchie  – est sans doute l’illustration ultime. Rien de tout à fait nouveau donc dans le défi que porte cette nouvelle approche de la responsabilité et de l’autonomie qu’a engendrée le confinement.

Seule question qui vaille : de quelle manière la généralisation du télétravail a-t-elle (où va-t-elle) amplifier le mouvement ? À cette interrogation, il n’est qu’une réponse certaine : la transformation du travail qui s’est imposée ces derniers mois a obligé les managers et, à travers eux, les directions d’entreprise, à accorder une confiance inédite aux salariés. L’accès, depuis le domicile, aux serveurs internes et aux logiciels de gestion, en est la preuve. Tout d’un coup, ce qui n’était ouvert qu’aux personnels habilités l’a été largement. Bien sûr, en ce domaine comme en celui de la réalisation du travail quotidien, il a fallu recourir à des algorithmes de contrôle. Mais les faits sont là : le confinement a porté un coup à la fonction de surveillance qui était celle de l’encadrement intermédiaire. Il a accéléré le mouvement qui se dessinait depuis quelques années, d’une réinvention des relations entre les salariés et la hiérarchie.

Si faute il y a

Qu’en sera-t-il demain ? Une chose est sûre : si la personnalité de tel ou tel manager pourra continuer de peser en influant au quotidien sur les marges de manœuvre des collectifs de travail – et par là même influer sur le pouvoir d’agir reconnu aux personnels –, là n’est pas le cœur du problème. Le défi principal est de savoir si les organisations du travail vont parvenir à se transformer. Est-ce que les directions vont accepter de les façonner de telle façon qu’elles reconnaîtront la confiance à accorder aux salariés ? Ou est-ce que les espaces de décision ne vont rester limités et ouverts qu’à quelques-uns ?

Incontestablement, l’autonomie comporte des risques – des risques d’erreurs. Nul ne peut le nier. En télétravail ou en présentiel, à partir du moment où les individus, seuls, peuvent arbitrer, une erreur est toujours possible. Le risque est consubstantiel à l’autonomie. Dès lors, demain, quand une erreur surgira, les entreprises l’imputeront-elles à un individu et en feront-elles une faute ? Ou l’utiliseront-elles comme une opportunité pour améliorer les process de travail, les façons de faire circuler l’information et de prendre des décisions ? La réflexion, à condition qu’elle se mène aussi de manière horizontale, ne peut que parfaire les organisations. Avec la transformation du travail qu’a induit le confinement surgit une épreuve de vérité. Les directions d’entreprise ne peuvent plus se contenter de mots. Si elles veulent vraiment transformer leur mode de fonctionnement vers davantage d’autonomie, elles peuvent avancer en ce sens. Il leur faudra accompagner leur management au rôle nouveau qu’elles lui indiquent : celui d’animateur, de facilitateur. Elles doivent l’aider à apprendre à se situer davantage dans l’analyse et le diagnostic. Cela demande des investissements. Mais le pari peut désormais passer de l’expérimentation à sa généralisation.

Propos recueillis par Martine Hassoun

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Élections professionnelles – Répartition équilibrée femmes-hommes

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 665

La loi a prévu des dispositions pour assurer une représentation équilibrée sur les listes de candidats et candidates aux élections professionnelles aux comités sociaux et économiques. La jurisprudence apporte de nouvelles précisions.

par Michel CHAPUIS

 

Dispositions du Code du travail

Article L. 2314-29 :

Le scrutin est de liste à deux tours avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.

Au premier tour de scrutin, chaque liste est établie par les organisations syndicales […].

Si le nombre des votants est inférieur à la moitié des électeurs inscrits, il est procédé, dans un délai de quinze jours, à un second tour de scrutin pour lequel les électeurs peuvent voter pour des listes autres que celles présentées par une organisation syndicale. […]

Article L. 2314-30 :

Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l’article L. 2314-29 qui comportent plusieurs candidats sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes.

Lorsque l’application du premier alinéa n’aboutit pas à un nombre entier de candidats à désigner pour chacun des deux sexes, il est procédé à l’arrondi arithmétique suivant :

1° arrondi à l’entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à 5 ;

2° arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5.

En cas de nombre impair de sièges à pourvoir et de stricte égalité entre les femmes et les hommes inscrits sur les listes électorales, la liste comprend indifféremment un homme ou une femme supplémentaire.

Lorsque l’application de ces règles conduit à exclure totalement la représentation de l’un ou l’autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut ne serait pas représenté. Ce candidat ne peut être en première position sur la liste.

Le présent article s’applique à la liste des membres titulaires du comité social et économique et à la liste de ses membres suppléants.

Article L. 2314-31 :

Dès qu’un accord ou une décision de l’autorité administrative ou de l’employeur sur la répartition du personnel est intervenu, l’employeur porte à la connaissance des salariés, par tout moyen permettant de donner une date certaine à cette information, la proportion de femmes et d’hommes composant chaque collège électoral.

La jurisprudence apporte de nombreuses précisions concernant l’application de ces textes :

Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 11 mars 2020, Sas Ormeaudis c/ union départementale Cgt des Hautes-Pyrénées : selon la Cour de cassation, l’annulation, en application de l’article L. 2314-32 du Code du travail, de l’élection d’un candidat ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections est, en principe, sans effet sur la condition du score électoral personnel requise pour être désigné délégué syndical.

Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 27 mai 2020, Syndicat chimie énergie Bourgogne (Sycebo-Cfdt) c/ Sas Laboratoires Urgo : selon la Cour de cassation, la règle de l’alternance posée par l’article L. 2314-30 du Code du travail n’impose pas que le premier candidat de la liste soit du sexe majoritaire.

Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 1er juillet 2020, fédération Fo Énergies et Mines c/ Sas Storengy ; et Cour de cassation, chambre sociale, 1er juillet 2020, Syndicat Cfdt construction-bois Aquitaine nord c/ Sas Santerne Aquitaine : selon la Cour de cassation, les dispositions de l’article L. 2314-30 du Code du travail étant d’ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger.

Lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l’article L. 2314-30 du Code du travail, c’est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté.

Lorsque l’application des règles de proportionnalité et de l’arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l’un ou l’autre sexe, il résulte de l’article précité que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues.

1re affaire. Les femmes représentaient 20 % des effectifs du deuxième collège, soit, pour deux sièges à pourvoir, un pourcentage en application de la règle de l’arrondi ne donnant droit à aucun siège, ce qui autorisait la fédération à présenter, soit deux candidats du sexe majoritairement représenté, soit un candidat de chacun des deux sexes, soit un candidat unique du sexe surreprésenté.

2e affaire. Les femmes ne représentaient que 21 % des effectifs du deuxième collège, soit, pour deux sièges à pourvoir, un pourcentage en application de la règle de l’arrondi ne donnant droit à aucun siège, ce qui autorisait le syndicat à présenter, soit deux candidats du sexe majoritairement représenté, soit un candidat de chacun des deux sexes, soit un candidat unique du sexe surreprésenté.

Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 1er juillet 2020, Union fédérale des cheminots et activités complémentaires (Ufcac-Cfdt) c/ société Sncf-Voyageurs : lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l’article L. 2314-30 du Code du travail, c’est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté.

Lorsque l’application des règles de proportionnalité et de l’arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l’un ou l’autre sexe, il résulte de l’article L. 2314-30 du Code du travail que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues.

En revanche, lorsque l’organisation syndicale choisit de présenter une liste comprenant un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir, l’application de la règle de l’arrondi à l’entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 provoquée par le nombre de candidats que l’organisation syndicale a choisi de présenter ne peut conduire, s’agissant de textes d’ordre public absolu, à éliminer toute représentation du sexe sous-représenté qui aurait été représenté dans une liste comportant autant de candidats que de sièges à pourvoir.

Le respect de ces règles de représentation proportionnée des femmes et des hommes s’impose, par liste, à toute liste de candidats présentée par une organisation syndicale, indépendamment de la répartition selon leur sexe de l’ensemble des élus dans le collège considéré toutes listes confondues.

Dans cette affaire, eu égard à la proportion des femmes et des hommes pour le deuxième collège fixée par le protocole d’accord préélectoral, les organisations syndicales étaient tenues de présenter une liste conforme à l’article L. 2314-30 du Code du travail, c’est-à-dire comportant nécessairement une femme et trois hommes pour quatre sièges à pourvoir, ou en cas de liste incomplète, une liste comportant au moins un homme et une femme.

La liste présentée par le syndicat Unsa-Ferroviaire ne comptant qu’un homme ne respectait pas ces dispositions.

Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 11 septembre 2020, Epic Habitat Sud Atlantic : selon la Cour de cassation, l’annulation de l’élection d’un élu surnuméraire du sexe surreprésenté, seule sanction prévue par les articles L. 2314-30 et L. 2314-32 du Code du travail, ne fait perdre au salarié élu son mandat de membre du comité social et économique qu’à compter du jour où elle est prononcée et reste sans incidence sur sa candidature aux élections professionnelles.

Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 25 novembre 2020, union départementale Cgt du Puy-de-Dôme c/ Sas Aurilis Group Flauraud : « Les dispositions de l’article L. 2314-30, éclairées par les travaux parlementaires, s’appliquent aux organisations syndicales qui doivent, au premier tour pour lequel elles bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats et, par suite, au second tour, constituer des listes qui respectent la représentation équilibrée des femmes et des hommes. »

Selon la Cour de cassation, ces dispositions ne s’appliquent pas aux candidatures non syndicales, dites « libres », présentées au second tour des élections professionnelles. Cette jurisprudence est fort contestable.

Jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, 16 décembre 2020, Cfdt c/ Sas Alcatel Submarine Networks : selon la Cour de cassation, l’annulation, en application des dispositions de l’article L. 2314-32 du Code du travail, de l’élection d’un candidat au titre du non-respect par la liste de candidats des prescriptions prévues à l’article L. 2314-30 du même code est sans effet sur la condition d’audience électorale requise par l’article L. 2122-1 (cf. sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères de l’article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants).

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Fonction publique – Protection sociale complémentaire

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 665

Une ordonnance du 17 février 2021 fixe la participation des employeurs publics à au moins 50 % du financement.

 

par Edoardo MARQUÈS

 

Le 1° du I de l’article 40 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique, visait à redéfinir, par voie d’ordonnance, la participation des employeurs des agents publics (État, collectivités territoriales et établissements publics hospitaliers) au financement des garanties de protection sociale complémentaire de leurs personnels. Tel est l’objet de l’ordonnance n° 2021-175 du 17 février 2021 (publiée au Journal officiel du 18 février 2021).

 

Participation des employeurs

Cette disposition fixe une obligation de participation des employeurs publics à hauteur d’au moins 50 % du financement nécessaire à la couverture des garanties minimales relatives au remboursement complémentaire en sus de l’assurance maladie de base des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, à savoir :

1° la participation de l’assuré aux tarifs servant de base au calcul des prestations des organismes de sécurité sociale ;

2° le forfait journalier ;

3° les frais exposés, en sus des tarifs de responsabilité, pour les soins dentaires prothétiques ou d’orthopédie dentofaciale et pour certains dispositifs médicaux à usage individuel admis au remboursement.

 

Prévoyance

Le 2e alinéa du I du nouvel article 22 bis de la même loi, modifiée, permet aux employeurs publics de participer au financement de la protection sociale complémentaire en matière de « prévoyance ». Il s’agit des conséquences essentiellement pécuniaires liées aux risques d’incapacité de travail, d’invalidité, d’inaptitude ou de décès des agents publics.

Le II du nouvel article 22 bis prévoit que lorsqu’un accord prévoit la conclusion, par l’employeur public, d’un contrat collectif ou d’un règlement collectif pour la couverture complémentaire « santé », cet accord peut prévoir également deux éléments :

1° une obligation de participation de l’employeur public au financement de la protection sociale complémentaire « prévoyance » ;

2° une obligation de souscription des agents publics à tout ou partie des garanties que ce contrat collectif ou à ce règlement collectif comporte.

Ces contrats seront éligibles aux mêmes dispositions fiscales et sociales que ceux dont bénéficient les salariés dans des conditions qui ne peuvent être fixées dans la présente ordonnance mais qui seront à inscrire en loi de finances et loi de financement de la Sécurité sociale.

En outre, le IV du nouvel article 22 bis de la même loi prévoit qu’un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application de cet article (non encore publié).

 

Dispositions spécifiques à la fonction publique territoriale

L’article 2 de l’ordonnance modifie, dans un premier temps, les dispositions relatives aux centres de gestion afin de confier une compétence à ces opérateurs en matière de protection sociale complémentaire, le cas échéant dans un cadre régional ou interrégional.

Cet article modifie l’article 88-2 de la loi du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, afin de conserver par dérogation le dispositif existant de labellisation dans le versant de la fonction publique territoriale et d’élargir le champ des contrats ou règlements éligibles à la participation financière de l’employeur territorial.

Enfin, ce même article 2 ajoute deux articles à la loi du 26 janvier 1984 précitée :

– l’article 88-3 adapte les principes énoncés à l’article 22 bis de la loi du 13 juillet 1983 à certaines spécificités de la fonction publique territoriale en prévoyant que le montant de référence de l’obligation de participation financière en matière de protection sociale complémentaire « santé » ne peut être inférieure à la moitié d’un montant de référence fixé par décret. Cet article fixe une obligation de participation financière des employeurs territoriaux à la protection sociale complémentaire « prévoyance » qui ne peut être inférieure à 20 % d’un montant de référence fixé par décret. Ce même décret précise les garanties minimales en protection sociale complémentaire « prévoyance » ;

– l’article 88-4 prévoit la tenue d’un débat sur les garanties de protection sociale complémentaire dans les six mois qui suivent le renouvellement général des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.

 

Dispositions relatives à l’entrée en vigueur de l’ordonnance

L’article 4 de ladite ordonnance précise dans son I les modalités d’entrée en vigueur de l’ordonnance. Par principe, les dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur le 1er janvier 2022.

Quatre dérogations permettent cependant une application progressive des conséquences de cette ordonnance :

1° Afin de préserver les situations juridiquement constituées et notamment les conventions de participation en cours à la date du 1er janvier 2022, les dispositions de l’ordonnance ne sont applicables aux employeurs publics qu’au terme des conventions en cours qu’ils ont conclues ;

2° L’obligation de participation financière des employeurs publics à hauteur d’au moins 50 % de la protection sociale complémentaire « santé » s’impose à compter du 1er janvier 2024 aux employeurs publics de la fonction publique de l’État qui ne disposent pas de convention de participation en cours au 1er janvier 2022 ;

3° L’obligation de participation financière à hauteur d’au moins 50 % de la protection sociale complémentaire « santé » s’impose aux employeurs territoriaux à compter du 1er janvier 2026. L’obligation de participation financière à hauteur de 20 % de la protection sociale complémentaire « prévoyance » s’impose aux employeurs territoriaux à compter du 1er janvier 2025 ;

4° L’article 1er de l’ordonnance est applicable à compter du 1er janvier 2026 pour la fonction publique hospitalière.

Le II fixe, à compter du 1er janvier 2022, un régime de remboursement par les employeurs publics de la fonction publique de l’État d’une partie des cotisations de protection sociale complémentaire « santé » payées par leurs personnels civils et militaires.

Le III prévoit que les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics doivent organiser un débat sur la protection sociale complémentaire dans le délai d’un an à compter de la publication de la présente ordonnance.

 

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À propos – mars 2021

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 665

 

Vous pouvez le faire ? Il peut le faire !

On s’était promis – promis juré – qu’en cette rubrique, on se tiendrait à l’écart du pouvoir contaminant, virulent et hégémonique de la Covid, qu’on éviterait son actualité aux allures de montagnes russes : masques, vaccins, couvre-feux et confinements rythmés par la succession vertigineuse des palinodies gouvernementales. À quoi bon commenter ce qui occupe, sature et obscurcit vingt-quatre heures sur vingt-quatre l’espace médiatique ? On pensait par ailleurs, un peu naïvement, pouvoir continuer à s’attacher à des sujets légers et mineurs : la culture mise à poil et la nudité de la femme, stigmatisée ; le travail mis à mal et l’emploi renvoyé à la maison ; l’islamo-gauchisme et la frénésie dénonciatrice mise en œuvre par des élus en mal de boucs émissaires ; des pigeons voyageurs chinois qui gardent le cap et des journalistes britanniques qui perdent le nord, affolés par les confidences savamment jaugées (elles aussi, Covid oblige), du couple ex-royal de Meghan et Harry ; des forêts ariégeoises violées à la tronçonneuse par des cambrioleurs un petit peu trop entreprenants. Bref, traiter de ces choses qui, en l’absence de cinémas, de théâtres, de concerts, font office de dérivatifs bienvenus. Surtout lorsque le contexte est rythmé de macroneries législatives qui préparent un avenir où parler, montrer, photographier, partager sur un réseau seront des activités à risque. Oh, qu’on ne s’inquiète pas, il sera toujours possible de commenter les aventures et mésaventures de Meghan et Harry, parce que les gens ont quand même le droit de savoir. Pure arrogance, on a cru, un moment, avoir relevé le challenge. Jusqu’à ce que, fatalitas, Jean Castex prenne la parole. Il n’a fallu que quelques phrases pour réduire les hautes murailles de notre résolution en poussière. Impossible, en effet, de faire comme s’il ne s’était rien passé. Non qu’il se soit passé quelque chose, notez bien. Mais il faut rendre hommage à un gouvernement qui tente de se hausser à la hauteur de David Copperfield, dont on sait qu’il faisait, d’un claquement de doigts, disparaître un train. Hélas, malgré de laborieux efforts, le président – qui est joueur – et son Premier ministre – qui n’en a pas l’air – évoquent davantage le Sâr Rabindranath Duval et son génial : « Vous pouvez le faire ? Il peut le faire ! » Interprété par Pierre Dac et Francis Blanche, c’était désopilant. Réécrit par Macron-Castex, ça ne fait rire personne.

Vous avez compris ? C’est qu’on vous l’a mal expliqué

S’il y a une chose contre laquelle les Français sont massivement vaccinés, c’est la langue de bois. Or, le couple dirigeant de l’exécutif la pratique à grande échelle, piégé par ses rodomontades. Résumons, pour celles et ceux qui y auraient perdu leur vaccin : fin janvier, le président de la République fait le pari (le garçon s’avoue joueur) de ne pas reconfiner le pays et de juguler la pandémie. « Vous pouvez le faire ? » Deux mois plus tard, il n’a pas pu. Jean Castex se retrouve alors chargé de la mission délicate d’annoncer que le fameux pari présidentiel est perdu, sans pouvoir – loyauté ministérielle oblige – désavouer publiquement le Sâr. D’autant que la grogne et le désordre menacent ; comment, pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu, dire la vérité en la rendant présentable ? Le Premier ministre avait le choix entre plusieurs répertoires, en s’inspirant de phrases célèbres dues à ses prédécesseurs. Il pouvait, par exemple, essayer une raffarinade (« Ce n’est pas la Covid qui gouverne ») ; miser sur la sympathie de l’aveu désespéré jospinien (« Contre la Covid, l’État ne peut pas tout ») ; voire utiliser le quasi-surréalisme balladurien (« Je ne fais pas de promesses, mais je les tiens »). Mais – c’est tout à son honneur – l’homme n’a pas voulu rejoindre la cohorte des plagiaires et a tenu à se montrer créatif, dans les limites imparties par l’Élysée.

Il s’est donc inspiré du canonique « Ceci n’est pas une pipe » de René Magritte pour déclarer, avec ce ton plein de bon sens que le monde entier nous envie : « Ceci n’est pas un confinement ». Mais, « pensée complexe Macron » oblige, il a immédiatement introduit de la complexité dans le propos : il s’agit bien d’un confinement, mais il s’agit de le « relativiser » en prenant ce qu’il n’est pas pour ce qu’il est, à savoir de simples « mesures de freinage supplémentaires ». À ce stade, on pouvait espérer qu’un membre du cabinet particulièrement sensible prévienne Police-secours, alerte la cellule sanitaire de Matignon, bref, appelle au secours afin qu’une main charitable lance une bouée au malheureux en train de se débattre dans les eaux sombres d’une communication en plein naufrage. Il n’en fut rien. On n’entendit qu’un brame, un seul – « il peut le faire, il va le faire » – ridicule au point d’en être désolant.

 

Ça ne vous fait pas rire ? Préparez-vous à pleurer

Les esprits critiques et malicieux qui peuplent le pays se sont évidemment gaussés des efforts sémantiques pourtant méritoires du Premier ministre. Les chicaneurs l’ont interpellé : pourquoi n’avait-on pas écouté les médecins, les scientifiques, infectiologues, statisticiens de la santé et autres ignorantus qui réclamaient ce confinement depuis belle lurette et à grands cris ? Répondre « parce que le garçon est joueur » était évidemment impossible. Il a donc fallu mobiliser une gamme d’approximations, de semi-vérités et de propos sentant bon le Café du commerce pour établir une vérité dont l’essence se résume en deux phrases. Prendre une décision de confinement trois mois plus tôt aurait été brutal. Trois mois et une saturation globale de la capacité hospitalière plus tard, elle devient habile. Non seulement ce postulat autoritaire n’a pas désarmé les critiques du corps médical, mais il est venu alimenter un double diagnostic. D’une part, celui d’un gigantesque n’importe-quoi-n’importe-comment injuste et aveugle aux inégalités qui écument le pays au rythme même du taux de contagion. D’autre part, le constat que sous les dehors ineptes et quasi clownesques de ses décisions politiques, sous l’empilement surréaliste de reconfinements locaux, nationaux, couvre-feux, attestations kilométriquement calibrées, interdits et autres humiliations collectives, s’agite un projet autoritaire qui, déjà, n’hésite plus à montrer les dents. Lorsqu’on veut éviter que l’essentiel devienne un sujet de discussion collective, on truque d’abord le débat en pipant le sens des mots. On habille ensuite ses contradicteurs en islamo-adversaires et on les dénonce à la vindicte publique. Il ne reste plus qu’à lâcher les chiens – le pays n’en manque pas – et à laisser jouer les effets de meute. « Vous pouvez le faire ? Ils sont en train de le faire. »

Pierre Tartakowsky

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Salaires – Jusque chez les Big Four

Article mis en ligne le 28 février 2021, publié dans Options n° 664

Jusque-là, dans ce secteur, une sorte de contrat implicite voulait que les jeunes recrues fassent leurs armes sans compter leurs heures,
et reçoivent une rémunération d’un niveau compétitif qui progressait jusqu’à leur départ. Mais…

Nul d’entre eux n’imagine comparer sa situation à celle des personnels de « première » ou de « seconde ligne ». Ils occupent des postes prestigieux et ont des salaires d’embauche qui les placent d’emblée parmi les salariés les mieux payés en France. Ils le savent. Pourtant, ils en témoignent, l’épidémie a eu aussi raison de leur patience. Diplômés des plus prestigieuses écoles ou universités d’économie, de commerce ou de management, ils ne veulent plus perdre leur vie à la gagner. Ils ? Les assistants, seniors ou managers d’Ernst & Young et associés, multinationale de l’audit et du conseil en stratégie, l’une des quatre plus grandes sociétés implantées à ce titre sur le marché mondial.

Il y a trois mois, faute d’avoir obtenu l’ouverture de négociations avec leur direction, par la voix de leur intersyndicale Cgt-Cftc-Unsa, ils ont exposé leurs revendications à la presse : « strict respect des onze heures de déconnexion entre chaque journée de travail » ; maximum de quarante-huit heures de travail hebdomadaires ; compensation des dépassements dès que cette limite est franchie ; défraiement des charges imputables au télétravail ; « meilleur partage de la valeur ajoutée » ; « baisse de 20 % des 20 plus hauts salaires de la firme » ; « alignement de l’évolution des salaires sur le chiffre d’affaires de l’entreprise ». À ce jour, la direction refuse toute négociation. Mais ils persistent et signent.

Du jamais vu dans le  monde  très  feutré  des Big Four. Jusque-là  existait  dans  ce  secteur une sorte de contrat implicite, explique Marc Verret, 28 ans, auditeur financier, désormais délégué Cgt et porte-parole de l’intersyndicale. Les jeunes recrues qui venaient y faire leurs armes ne comptaient pas leurs heures, mais recevaient une rémunération d’un niveau com- pétitif qui progressait jusqu’à leur départ. « La fierté du métier et le statut assuré par un emploi dans une des sociétés les plus prestigieuses du conseil financier aidaient alors à supporter des semaines de cinquante heures et plus sans faire valoir ses droits, sans jamais revendiquer », pour- suit Emmanuelle Lavignac, membre de la Ce de l’Ugict, en charge de la vie syndicale à la fédéra- tion Cgt des Sociétés d’études. « Des inégalités,

il en existait mais elles restaient supportables, et les salaires progressaient au minimum en même temps que l’inflation, assurant ainsi un maintien du pouvoir d’achat», précise encore Marc Verret.

1,27 fois le Smic

Sauf qu’ici comme ailleurs, tout finit souvent par déraper. Elle ne veut pas dire son nom. Mais elle est prête à témoigner. La jeune auditrice qu’elle est aimait son travail chez Ey & Associés. C’était son premier emploi, et elle s’était inves- tie corps et âme dans cette entreprise qui avait décroché en 2019 la première place du palmarès

« Meilleure entreprise où travailler en France », établi par le cabinet conseil Great Place to Work. Sans doute y croyait-elle, les premiers mois, mais ça n’a pas duré très longtemps. « En période pleine, raconte-t-elle, je pouvais travailler jusqu’à soixante-dix heures par semaine. De 9 heures à 23 heures sans m’arrêter plus que pour manger. Plus d’une fois, j’ai demandé le renfort d’un assis- tant pour m’aider à faire le travail qui n’était pas de mon ressort. On me répondait qu’il fallait que j’accepte la situation telle qu’elle était. Les effectifs manquaient, il fallait que je m’adapte.» Au bout de trois années à ce rythme, elle jette l’éponge, encore étonnée que ses conditions de vie, dans et hors l’entreprise, aient été si peu respectées.

« Non, l’humain ne peut pas tout encaisser », assène Marc Verret. Avec l’intersyndicale, il a fait les comptes : à raison de cinquante heures par semaine durant l’année, le salaire horaire moyen d’un jeune diplômé, expert-comptable ou auditeur, ne dépasse pas, aujourd’hui, 1,27 fois le Smic. Aucun motif économique ne le justifie : tout au long de la dernière décennie, le chiffre d’affaires consolidé de l’entreprise en France a fortement augmenté. Et la direction n’évoque pas la concurrence étrangère qui la pousse- rait à maintenir de bas salaires : même entre les salariés actionnaires, jamais les inégalités n’ont été aussi élevées. Et si les auditeurs indiens menacent les conditions d’emploi des salariés en France, ce n’est que pour une unique raison : parce que la société a elle-même organisé cette rivalité en choisissant de délocaliser une partie de son activité vers l’Inde.

Quand l’expertise comptable est son métier et l’audit sa spécialité, on est moins que jamais prêt à s’en laisser conter… Concrètement, rapporte l’intersyndicale, de 2009 à 2019, les salaires des assistants, juniors et managers – soit les plus bas échelons dans la hiérarchie salariale – ont, au mieux, progressé de 3 %. Autrement dit, de 0,3 % en moyenne chaque  année  tandis  que, sur la même période, les salaires du haut de la pyramide ont bondi de 24 %. Une hausse huit fois plus importante. Et l’écart se creuse encore si on se focalise sur les dix plus hauts salaires (+ 32 % de 2009 à 2019) et si on considère la rémunération totale de ces cadres dirigeants, dont la part variable peut représenter jusqu’à 50 %. « C’est simple, explique le militant syndical, il y a encore quelques années, le différentiel entre la plus haute et la plus basse rémunération allait chez nous de 1 à 30. Aujourd’hui, nous l’estimons à 1 à 45, voire de 1 à 50.»

Une jeune auditrice témoigne avoir travaillé, pour son premier emploi, jusqu’à soixante-dix heures par semaine. De 9 heures à 23 heures sans s’arrêter.

Avec un collectif propre au secteur

La Cgt est toute récente dans l’entreprise. Dans cet univers professionnel où le réseautage est indispensable à la progression de carrière, son installation est d’abord et avant tout le fruit d’une rencontre : celle de Marc Verret et du collectif 92 de la fédération Cgt des Sociétés d’études. Autrement dit, celle d’un  homme qui savait pouvoir s’appuyer sur ses pratiques militantes dans la cité pour dépasser la peur de s’engager dans l’entreprise et celle d’une organisation décidée à se déployer jusque dans un secteur aussi compliqué que l’audit financier. Lorsqu’en 2019, juste avant les élections professionnelles, Marc Verret décide de se lancer, il n’a aucune connaissance de la galaxie syndicale. « J’ai frappé à toutes les portes, rencontré tous les syndicats », raconte-t-il. La Cgt, qu’il croise un jour au pied des tours de la Défense, répond à ses attentes. Comme il y aspire, dit-il, elle promeut une « stratégie dynamique et a la conviction qu’il faut établir un rapport de force pour gagner ». Banco. L’accord est conclu.

De 2009 à 2019, les salaires des assistants, juniors et managers – soit les plus bas échelons dans la hiérarchie salariale – ont, au mieux, progressé de 3 %. Autrement dit, de 0,3 % en moyenne chaque année tandis que, sur la même période, les salaires du haut de la pyramide ont bondi de 24 %.

Aux élections, le tout nouveau syndicat affirme haut et fort ses revendications : respect de la législation sur le temps de travail, partage de la valeur ajoutée selon la règle des trois tiers – un tiers au capital, un tiers au travail et un tiers à l’investissement – et alignement de l’augmentation des salaires sur la progression du chiffre d’affaires. Le résultat est un succès. Dans l’uni- vers très élitiste de l’audit financier, avec 26 % des suffrages, la Cgt arrive en deuxième place derrière le « syndicat maison » qui, lui, a recueilli 67 % des voix. Elle acquiert ainsi le titre d’organisation représentative, ce à quoi ni la Cftc ni l’Unsa ne parviennent.

Pas question pour autant d’en rester là. Pour espérer défendre les droits et salaires des personnels, les trois organisations ont besoin de peser. Ce n’est qu’en intersyndicale qu’elles le pourront. Très vite, décision est donc prise de lancer la structure. En Cse, c’est ensemble que les élus Cgt, Cftc et Unsa portent leurs revendications. Les demandes salariales et celles visant à protéger les conditions de travail y occupent une place centrale mais elles ne sont pas les seules. Ils revendiquent aussi davantage de « démocratie sociale » en réclamant le droit pour l’intersyndicale d’envoyer un mail « par mois ou par trimestre à tous les salariés ». Ils se soucient également de « responsabilité sociale » en réclamant la « mise en place d’un contrat entre Ey-France et Ey-Inde sur les conditions de travail des salariés indiens ». Pour parvenir à ses fins, l’intersyndicale, soutenue par un collectif d’une centaine de salariés, espère désormais conjuguer ses forces avec ses homologues des Big Four en lançant rapidement un collectif revendicatif interentreprises.

Martine HASSOUN

 

 

EN CSE, C’EST ENSEMBLE QUE LES ÉLUS CGT, CFTC ET UNSA PORTENT LEURS REVENDICATIONS. LES DEMANDES SALARIALES ET CELLES VISANT À PROTÉGER LES CONDITIONS DE TRAVAIL Y OCCUPENT UNE PLACE CENTRALE, MAIS ILS REVENDIQUENT AUSSI DAVANTAGE DE « DÉMOCRATIE SOCIALE », AVEC LE DROIT POUR L’INTERSYNDICALE D’ENVOYER UN MAIL « PAR MOIS OU PAR TRIMESTRE À TOUS LES SALARIÉS ».

 

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https://journaloptions.fr/2021/02/emploi-salaires-reflexions-croisees-autour-de-3-conflits/

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Emploi-salaires : Réflexions croisées autour de 3 conflits

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 664

La pandémie n’a interrompu ni les logiques économiques des directions d’entreprises ni leurs façons de faire. Mais elle a modifié de façon paradoxale les termes de la contre-offensive syndicale et ceux de l’intervention des salariés. Illustrations.

PARTICIPANTS :

  • DANIEL BERTONE, DÉLÉGUÉ SYNDICAL CGT CHEZ AÉROPORT DE PARIS ;
  • SERGE PAOLOZZI, DÉLÉGUÉ SYNDICAL CENTRAL CGT CHEZ GENERAL ELECTRIC GRID ;
  • DENIS PEREZ, DÉLÉGUÉ SYNDICAL SNJ-CGT À L’ÉQUIPE ;
  • PIERRE TARTAKOWSKY, OPTIONS.

Options: vous avez animé un conflit qui s’est développé durant la pandémie et les confine- Diriez-vous que ce contexte a modifié les calculs et façons de faire de vos directions d’entreprise ?

Daniel Bertone : La crise sanitaire n’a pas entamé la voracité de la direction d’Aéroports de Paris (Adp). Elle a mis d’emblée sur la table trois textes distincts, en fait complémentaires : un accord de rupture conventionnelle collective (Rcc), qui permet de diminuer le nombre de salariés sur la base du volontariat ; un accord de performance collective qui autorise la baisse des salaires en augmentant le temps de travail ; un accord de temps partiel longue durée. Elle exigeait que les trois soient signés de façon majoritaire, en échange de quoi elle s’engageait à ne pas licencier… jusqu’en Il ne s’agissait donc pas à proprement parler de négocier mais de ratifier trois textes qui bouleversent profondément le rapport au travail, la vie même des salariés. Un véritable chantage, qui ne sécurisait nullement les emplois : à peine la direction avait- elle obtenu, avec la Rcc, un nombre de départs non négligeables, qu’elle a engagé un plan de sauvegarde de l’emploi (Pse). L’objectif n’est aucunement lié à la crise sanitaire et à ses conséquences : la baisse des salaires est présentée comme définitive, pas conjoncturelle. Quant à la reprise de l’emploi comment y croire ? Quand le transport aérien avait une croissance soutenue, nous perdions déjà des emplois depuis la trans- formation de l’entreprise en société anonyme en 2005. Il s’agit de retrouver des niveaux de rentabilité qui se sont, de fait, effondrés, en réa- lisant des économies sans aucun rapport avec un quelconque projet d’avenir… ou alors celui de la future privatisation d’Adp.

Serge Paolozzi : Si la pandémie a modifié quelque chose, c’est l’ampleur des ambitions de la direction de General Electric. À Villeurbanne, nous avons connu un premier Pse, qui se présentait comme un simple plan de redéploiement et que nous n’avons pas réussi à mettre en échec. Nous étions seuls à nous y opposer, et l’opinion publique tendait à le considérer comme un moindre mal, qui préserverait les activités et la recherche et développement (R & D) en France. Mais dès le confinement, ce plan a été suspendu par la direction. On a rapidement appris qu’elle travaillait sur un projet de restructuration financière, à échelle mondiale et européenne, avec redéploiement des productions, de l’ingénierie et de la R & D vers l’Asie. Lorsque ce second Pse est tombé, avec 1 200 suppressions d’emplois sur l’Europe et 634 en France, il a beaucoup perturbé les salariés. L’incompréhension était totale : six mois avant, il était question de transfert de production à Aix-les-Bains et voilà que, d’un coup, on transférait en Asie la production, l’ingénierie et la R & D ! Le positionnement des deux autres syndicats a radicalement changé par rapport au premier plan et cela nous a permis de travailler en intersyndicale.

– Denis Perez : L’Équipe sortait du premier confinement ; nous étions épuisés mais fiers de nous. Dans un contexte d’arrêt des compétitions, d’un sport réduit à la portion congrue, des kiosques fermés, nous avions réussi à sortir le journal en basculant dans le télétravail, dans des conditions assez épiques. Mais les messages de l’actionnaire aux salariés – qui commençaient tous par « bravo » – annonçaient des temps difficiles. Dès la fin du confinement, le directeur général a fait fuiter les termes d’un véritable chantage : un accord de performance collective, avec baisse des salaires et augmentation du temps de travail à la clé, contre une très vague promesse de maintien de l’emploi, ou alors un Pse avec 100 suppressions d’emploi. Comme d’habitude, elle annonce le pire en espérant faire passer moins pire. En fait, elle présente froidement un plan totalement inacceptable et elle le sait.

– Options : Comment saisissez-vous les salariés des enjeux et comment s’opèrent les mobilisa- tions ?

Daniel Bertone : Notre conviction, dès le départ, a été que les salariés d’Adp devaient être étroite- ment liés à tous les aspects de ce qui allait venir. Dès juillet, bien avant que la direction ne lance son processus de négociation, nous avons convoqué des Ag en présentiel sur les plateformes, pratiquement tous les quinze jours, avec jusqu’à 450 salariés, aussi bien à Roissy qu’à Orly. Au final, un accord a été signé majoritairement, après avoir consulté les salariés. Cela nous semble normal ; compte tenu de l’impact d’un tel accord, il fallait un débat dans le syndicat et avec les salariés. On a donc procédé à une consultation assez large, avec 700 réponses, ce qui nous a permis de signer l’accord de rupture conventionnelle collective qui correspondait à une aspiration forte chez nombre de salariés ayant dépassé la cinquantaine. Mais corrélativement, nous avons vu des salariés prendre l’initiative d’intervenir sur les réseaux. Un groupe Facebook a réuni jusqu’à 1 400 personnes ; d’autres salariés se sont réunis spontanément devant les locaux du siège, pendant les négociations, sans qu’on s’y attende. On a assisté à une demande accrue, à notre égard, d’interventions, d’informations, avec une forte pression vis-à-vis de notre rôle dans les négociations et une exigence d’allers-retours perma- nents. Cela bouscule les habitudes…

La direction d’ADP exigeait que les trois textes soient signés de façon majoritaire, en échange de quoi elle s’engageait à ne pas licencier… jusqu’en 2023. Il ne s’agissait donc pas à proprement parler de négocier mais de ratifier trois textes qui bouleversent profondément le rapport au travail, la vie même des salariés. Un véritable chantage.

Denis Perez : Nous étions en télétravail, il était impossible d’organiser une assemblée générale de L’Équipe, et nous étions méfiants vis-à-vis d’une Ag en distanciel, pour de multiples raisons. Comment faire ? Les salariés ont décidé à notre place : la brutalité de la direction a été telle qu’ils ont décidé de créer un groupe WhatsApp qui a très vite atteint la limite possible du nombre de membres, 239, je crois. Il a, de fait, fonctionné comme une  assemblée  générale  numérique  et il en est sorti le mot d’ordre « triple zéro » : 0 % de baisse de salaire ; 0 jour de Rtt en moins ; 0 « réunion d’information ». En effet, au fil des Pse, les salariés ont pu mesurer la façon dont la direction marginalisait les élus du personnel au profit d’une communication directe. Le dernier Pse en date, extrêmement brutal, a pour ainsi dire « vacciné » les salariés contre cette méthode. Ils ont donc refusé que leurs représentants – qui ont du temps, de l’expertise –, soient contour- nés. D’où un boycott généralisé des « réunions d’information » de la direction.

– Options : Dans une période où l’emploi semble terriblement fragile, sinon gravement com- promis, quelles perspectives avez-vous mis en avant ?

– Serge Paolozzi : J’étais réticent au départ, mais l’usage des visioconférences a permis d’élargir considérablement notre communica- tion auprès des salariés de General Electric. On a ainsi eu des cadres supérieurs, des salariés en télétravail qui se sont impliqués dans le mouvement, dans la durée. Nous avons aussi privilégié la communication vers l’extérieur.

Dès l’annonce du Pse, nous avons commencé à rencontrer les élus et la presse pour présenter nos solutions alternatives, et leur faire mesurer les risques de pertes de compétences sur des activités essentielles au pays ! Là, l’intersyndicale a pesé d’un poids décisif. Notre bataille s’est concentrée sur un contre-projet industriel construit sur la défense des compétences. Ceci mettant en évidence l’incohérence industrielle et économique de celui de la direction. Cette démarche a bénéficié du soutien d’un grand nombre de cadres dirigeants qui ne se retrouvaient pas dans la seule logique de réduction des coûts. Nous sommes montés jusqu’au ministère et avons mené un travail de popularisation qui s’est traduit par un soutien unanime, de la mairie de Villeurbanne à la métropole et à la Région, et jusqu’à l’Assemblée nationale. La direction a été mise en demeure de répondre à notre projet alternatif avant d’entamer son projet de restructuration. Cela a pris un mois, durant lequel on a continué d’alerter l’opinion publique, en travaillant beaucoup la communication vers l’extérieur de l’entreprise. En novembre, la direction a fait savoir son refus total. Le lendemain, en assemblée générale, nous avons proposé aux salariés de se prononcer pour la grève, et le vote des ouvriers a été unanime. L’usine a été occupée symboliquement, mais la production a été totalement arrêtée. À l’occasion d’une question posée à l’Assemblée nationale, nous sommes montés sur Paris à la rencontre des députés, et avons été reçus au ministère, lequel est intervenu auprès de General Electric. La direction a finalement validé une de nos alternatives. Nous avons retravaillé avec l’expert pour faire la démonstration que la totalité de notre proposition était viable économiquement. Et finalement, la grève et la détermination des salariés – jusqu’à la grève de la faim pour certains – ont fait pencher la décision du bon côté ! On a finalement sauvé toutes nos activités de production.

Notre contre- projet, on l’a élaboré avec les salariés de General Electric ; chaque organisation syndicale s’est rapprochée de ses bases pour cela. Nous ne nous sommes pas cantonnés à opposer un simple refus, ce qui a permis de mobiliser les salariés et l’encadrement sur des perspectives d’avenir.  On a aussi beaucoup travaillé sur les réseaux, fait des vidéos et beaucoup de communiqués de presse.

Denis Perez : Nous avons décidé d’utiliser les négociations pour décortiquer les arguments de la direction de L’Équipe, aller jusqu’au bout de son cynisme et exposer en plein jour qu’elle n’avait aucun projet d’avenir. On a pu le faire à plusieurs reprises, notamment en démontrant que les chiffres financiers qu’elle avançait n’avaient rien de sérieux, voire étaient mensongers. De la même façon, on a pu, toujours en s’appuyant sur les déclarations de la direction, établir qu’elle n’avait aucune vision stratégique, aucun plan de relance, aucun espoir à offrir. Or, la santé économique du groupe Amaury était florissante et notre société sortait de trois résultats opérationnels positifs ! Les salariés étaient donc de plus en plus remontés. Sur 320, plus de 200 – même des chefs de service ! – ont signé un texte pour soutenir le « triple zéro » ! Fin octobre, l’annonce est tombée d’un plan de suppression de 50 emplois. Nous sommes alors entrés dans le deuxième confinement. Organiser une Ag est devenu très compliqué, le groupe WhatsApp s’est assoupi, peut-être neutralisé par la faiblesse relative du nombre de licenciements. Mais comme la direction refusait d’ouvrir des négociations, qu’elle multipliait les propos méprisants ou mensongers, la grève a démarré et elle a duré deux semaines.  Certains  salariés,  allergiques à la grève par principe, y ont participé pour la première fois de leur vie et, fait sans précédent, la direction a été incapable de sortir le journal pendant quatorze jours. Finalement, elle a dû bouger sur les départs contraints, et réduire la menace sur certaines catégories. Là encore, les salariés ont pris l’initiative d’un engagement signé par près de 200 salariés de refaire grève en cas de départ contraint.

Le conflit a été une formation accélérée incroyable pour tous les salariés de l’équipe, et c’est essentiel. Il y a clairement eu un intérêt nouveau dans un milieu professionnel où le fait syndical n’a rien d’évident. Là, on a vu des salariés hyperactifs, hyperparticipatifs, et à qui on n’avait finalement pas grand-chose à apprendre. C’est enthousiasmant pour la suite.

– Options : dans les trois cas, les salariés se sont investis fortement dans le conflit et pris des initiatives. Quelles leçons en tirez-vous ?

Serge Paolozzi : notre contre-projet, on l’a élaboré avec les salariés de General Electric ; chaque organisation syndicale s’est rapprochée de ses bases pour cela. Nous ne nous sommes pas cantonnés à opposer un simple refus, ce qui a permis de mobiliser les salariés et l’encadrement sur des perspectives d’avenir. On a aussi beau- coup travaillé sur les réseaux, fait des vidéos et de nombreux communiqués de presse. Les salariés avaient intégré, dès le départ, que la grève allait durer longtemps et ils acceptaient cette perte de salaire. Pour tenir, nous avons donc décidé de mener une action par jour, filmée et répercutée sur les réseaux. Une fois à la préfecture, une fois à la Région, nous ne sommes pas restés enfermés dans nos murs. Chaque vidéo expliquait aussi nos activités, à quoi servait notre travail. Par exemple, on expliquait que sans nous, Edf ne pouvait pas transporter le courant jusqu’au domicile des usagers. L’idée des activités essentielles lancée par Macron, nous l’avons saisie au bond, expliquant en quoi nous l’étions, essentiels ! Les salariés nous ont suivis parce qu’ils croyaient au contre-projet ; ils croyaient en ce qu’ils défendaient.

– Daniel Bertone : le contre-projet apparaît comme une des clés de la réussite. Sur le plan économique, et si on s’en tient à sa présentation, la direction aura toujours raison. Si, en revanche, on élabore un autre raisonnement, ça change. Le transport aérien, par exemple, connaît un moment charnière de son histoire. La baisse d’activité est réelle et pèse mécaniquement sur le niveau d’emploi. On nous dit donc : il faut économiser aujourd’hui pour pou- voir investir demain, emprunter à bas prix. Mais est-ce la bonne question ? Faut-il emprunter pour financer des projets grandioses, un nouveau terminal à Roissy, ou envisager d’autres formes d’emplois, de compétences et d’infrastructures en fonction du niveau de trafic acceptable en termes sociaux et écologiques ? L’avenir réside dans notre capacité à associer les salariés à nos démarches. C’est très difficile. Ce n’est pas qu’ils s’y refusent mais, soit on ne crée pas les conditions pour qu’ils le fassent, soit on le fait tardivement, pendant le conflit, alors qu’il nous faudrait anticiper, mettre nos propositions en débat. Nous avons donc intérêt à beaucoup investir dans des outils qui le permettent. Dans le conflit, les salariés ont donné plus d’importance au fait syndical, il s’agit d’en tenir compte en donnant toute leur importance aux salariés. Ça peut refonder l’utilité syndicale.

Denis Perez : Au vu de ce que le groupe Amaury propose comme projet aux salariés, c’est-à-dire rien, travailler sur un contre-pro- jet aurait presque été facile mais nous nous sommes concentrés sur le plan social et sur l’idée que le groupe avait largement les moyens financiers de ne pas procéder à cette politique de la terre brûlée. Contrairement à la situation de General Electric, la dimension essentielle de la presse papier n’est pas immédiatement saisie par tout le monde. C’est dommageable car L’Équipe est loin d’être le seul journal en cause, et la démocratie risque d’en souffrir. Mais le conflit a été une formation accélérée incroyable pour tous les salariés et c’est essentiel. Il y a clairement eu un intérêt nouveau, dans un milieu professionnel où le fait syndical n’a rien d’évident. Là, on a vu des salariés hyperactifs, hyperparticipatifs, et à qui on n’avait finale- ment pas grand-chose à apprendre. Durant le conflit, beaucoup se sont découverts et ont découvert les autres, leur capacité d’engagement, leur combativité et leur solidarité. C’est enthousiasmant pour la suite.

 

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https://journaloptions.fr/2021/02/salaires-jusque-chez-les-big-four/

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Recherche française : décrochage confirmé

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 664

SANOFI ET L’INSTITUT PASTEUR SONT EN ÉCHEC DANS LE DÉVELOPPEMENT D’UNE RÉPONSE VACCINALE RAPIDE CONTRE LE COVID : LA FAUTE À PAS DE CHANCE ?

Une performance. En quelques mois, de nombreuses équipes de recherche dans le monde ont réussi à concevoir des vaccins contre le Sars-CoV-2. Pas en France. Faute d’une réponse immunitaire suffisante de son vaccin basé sur celui de la rougeole, l’Institut Pasteur a jeté l’éponge et repart sur de nouveaux programmes encore au stade préclinique. Sanofi a pour sa part annoncé six mois de retard minimum sur son vaccin le plus prometteur, à la suite d’erreurs de dosage. Ces fleurons de la recherche pharmaceutique assurent que « cela arrive » et que ça n’a rien d’inquiétant. D’autres s’interrogent : serait-ce un signe supplémentaire que la recherche française n’a plus les moyens de ses ambitions, comme le souligne notamment le récent avis du Cese ? * Des chercheurs de qualité formés en France, il y en a, mais l’attractivité – et l’efficacité ? – de la recherche française commence à être affectée par le peu d’emplois offerts, les salaires (63 % en dessous de la moyenne des pays de l’Ocde en début de carrière), les conditions de travail médiocres et les financements insuffisants. La France les plafonne à 2,2 % de son Pib, les crédits publics ont même baissé de 28 % entre 2011 et 2018 alors qu’ils augmentaient de 11 % en Allemagne et de 16 % au Royaume- Uni. L’Allemagne a même annoncé, en juin dernier, 50 milliards d’euros d’investissements dans la recherche et l’innovation. Les participations publiques dans les jeunes entreprises innovantes y sont courantes : ces

« spin-off » créées par des chercheurs sont en toute logique adossées à des programmes de recherche publique – comme BioNTech… La nouvelle prix Nobel de chimie, la biologiste Emmanuelle Charpentier, qui vient de s’ins- taller outre-Rhin, a d’ailleurs déclaré que la France ne pouvait pas lui offrir

de moyens équivalents. Les Français s’expatrient de plus en plus, à l’instar du  créateur et Pdg de Moderna, chercheur en biologie et ex-haut dirigeant de BioMérieux.

Dans une note en date du 26 janvier, le Conseil d’analyse économique (rattaché au Premier ministre) n’hésite pas à évoquer le « lent déclin français » depuis 1990

en matière de brevets comme de recherche pharmaceutique, préconisant des investissements urgents, tout particulièrement dans la recherche fondamentale. Ce n’est pas l’orientation choisie par la récente loi de programmation pour la recherche, qui ne mise pas sur l’anticipation et les prises de risques, mais sur des projets ciblés et susceptibles de porter leurs fruits rapidement. C’est pourtant en maintenant un appareil de recherche publique solide et en pilotant certaines de ses applications que la France assurerait le développement et le maintien sur nos territoires d’emplois qualifiés, d’activités industrielles d’avenir, et les conditions de son indépendance sanitaire…

Valérie GÉRAUD

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SANOFI : Vacciné contre tout scrupule

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 664

LE GROUPE POURSUIT LE DÉMANTÈLEMENT DE SON OUTIL INDUSTRIEL ET DE SA R & D EN FRANCE, ET SE SOUCIE PLUS DE SA STRATÉGIE FINANCIÈRE QUE DE SES ENGAGEMENTS À FOURNIR UN VACCIN CONTRE LE COVID. LOGIQUE ET MORTIFÈRE.

Le 5 février, Sanofi a présenté d’excellents résultats pour 2020. Un chiffre d’affaires de 36 milliards d’euros (+ 3,3 %) et un bénéfice net de 12,3 mil- liards d’euros (+ 340 % !) grâce à la vente de parts de la biotech américaine Regeneron, à ses vaccins notamment antigrippaux et à ses médicaments utilisés en réanimation. Le groupe se félicite également d’un bénéfice par action de 5,86 euros (+ 9,2 %) et y ajoutera le versement de 3,20 euros, soit au total 4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires ! « Sanofi évoluant dans un environnement international très concurrentiel, suspendre le dividende ou le limi- ter en raison de la pandémie actuelle [ce qu’ont pourtant fait d’autres grands labos, Ndlr] reviendrait à fragiliser l’entreprise, à réduire son attractivité et à altérer ainsi sa capacité à innover sur le long terme pour les patients », se justifie la direction du groupe, imperturbable. Le fait d’avoir été distancé dans la course au vaccin contre le Covid est présenté comme une péripétie sans incidence sur la santé du géant pharmaceutique. Et sur son image ? Ses dirigeants qui, au printemps, faisaient monter les enchères sur leur futur vaccin, se retrouvent pour l’heure contraints d’accepter un rôle de sous-traitant pour un concurrent plus performant, Pfizer associé à BioNTech. Après avoir empoché des centaines de millions de fonds publics de la France ou de l’Europe, difficile de ne pas contribuer du tout à la mobilisation générale…

Pour Big Pharma, la stratégie financière avant tout

Se donner tous les moyens pour découvrir de nouveaux traitements et médicaments ne semble pas vraiment prioritaire. Le directeur général de Sanofi a confirmé sans ciller qu’il fallait avant tout intensifier la purge. Le nouveau plan Evolve [sic] prévoit non plus 2 mais 2,5 milliards d’euros d’économies d’ici à 2023. Toute activité jugée insuffisamment rentable doit disparaître, quitte à démanteler l’ou- til industriel ou à abandonner des pro- grammes engagés depuis des années et en voie d’aboutissement.

En plus des 1 000 suppressions de postes annoncées en juin (sur 1 700 dans le monde), 364 emplois supplémentaires en recherche et développement sont concernés. « Nous avons perdu la moitié de nos effectifs en R & D depuis 2008, passant de 6 350 sur onze sites à 3 500 sur quatre sites

– bientôt trois –, rappelle Thierry Bodin, coordinateur Cgt pour le groupe. Nous dénonçons depuis des années le désengage- ment de Sanofi de domaines de recherche essentiels, comme le diabète, la maladie d’Alzheimer, le système nerveux central. La stratégie est d’externaliser et de délocaliser au maximum les capacités de recherche et de production, et de se recentrer sur les domaines au plus fort taux de retour sur investissement à court terme, comme l’oncologie, l’immunologie, les maladies rares, les thérapies géniques et les vaccins. » Le groupe ne s’est engagé que tardive- ment sur la technologie révolutionnaire de l’Arn messager, et son programme en partenariat avec la biotech Translate n’est même pas en phase d’essai. Cela arrive dans le grand Monopoly en cours où, plutôt que de miser sur les forces internes et une recherche longue et sans garantie, Big Pharma estime moins coûteux de racheter des start-up plus audacieuses qui auront pris tous les risques : un budget de 6 milliards d’euros est déjà engagé pour des rachats de ce type en 2021, et, la direction du groupe a dû le reconnaître, son propre budget de R & D a baissé de plus de 8 % en 2020.

Les salariés sont à la fois écœurés et en colère. Ils ont pesé pour que l’outil industriel soit mis à disposition en attendant le vaccin Sanofi, et estiment que la précipitation à l’origine du retard du groupe n’est pas sans lien avec la dégradation labos le savent et s’autorisent même à ne pas respecter leurs contrats (AstraZeneca) ou à les réinterpréter : Pfizer a subitement décidé que ses flacons contenaient six doses et non cinq, limitant son incapacité à fournir les doses prévues et boostant ses bénéfices de 12 %.

Avec l’ensemble de la Cgt et d’autres acteurs économiques et sociaux, les sala- riés de Sanofi défendent un projet plus ambitieux. Jamais le marché ne répondra sans garantie de gros profits aux besoins d’une société. On le constate alors que, partout dans le monde, des voix s’élèvent pour que les laboratoires libèrent ponctuellement leurs droits sur les brevets des vaccins existant contre le Covid, se heur- tant pour l’heure à des refus des laboratoires et des États qui les soutiennent *. Pour assurer un minimum de sécurité et de souveraineté sanitaire, pas d’autre issue que de construire un pôle public autour du médicament et de la santé, d’investir de véritables moyens dans la recherche, l’innovation, la relocalisation et le développement d’un outil industriel qui lui soit dédié. Ces secteurs sont d’ailleurs déjà fortement liés à la recherche académique, en tirent souvent des bénéfices à peu de frais, et bénéficient de larges subventions publiques. La santé n’a pas de prix, mais celui-ci pourrait être déterminé par de tout autres variables, comme l’intérêt général.

Valérie GÉRAUD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

des conditions de travail – y compris chez leurs collègues américains –,les pressions qui s’accentuent et la baisse des moyens pour travailler avec des fournisseurs et partenaires de qualité. Ils dénoncent éga- lement des salaires qui stagnent malgré les profits faramineux – aucune augmen- tation générale cette année, hormis le rattrapage de 0,6 % de l’inflation. Des pratiques pas forcément étrangères au fait que l’entreprise s’est engagée à ne procé- der à aucun licenciement… mais qu’elle ne contrariera aucun départ volontaire. Par exemple dans le cadre du transfert des activités de R & D de Strasbourg (qui va fermer) à Vitry (Val-de-Marne)…

Le coût des désengagements publics

Le malaise est en fait profond. Beaucoup de salariés sont scandalisés par le cynisme de la direction, qui ne semble pas se pré- occuper de leur travail, de la préservation et du développement des savoir-faire et de l’expertise existants, encore moins des capacités de production en France. Les enjeux sont ailleurs : s’imposer mondia- lement sur les produits et les marchés les plus lucratifs.

« Nous alertons depuis des années sur l’im- mense gâchis de notre outil industriel et de nos capacités de recherche, et la crise sanitaire en donne la mesure, souligne Thierry Bodin. L’État semble impuissant, à moins qu’il ne se montre complice en espé- rant pouvoir sauver ce qui peut l’être. » Les

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Fonction publique – Indemnisation pour privation d’emploi

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 664

Lorsqu’ils sont privés d’emploi, les agents relevant des trois versants de la fonction publique, d’Orange et de la Poste sont soumis, en fonction de leur statut, aux règles de l’assurance chômage et aux dispositions spécifiques d’un décret publié en juin 2020.

par Edoardo MARQUÈS

Le IV de l’article 72 de la loi n° 2019-826 du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique, prévoit que les fonctionnaires et agents contractuels de la fonction publique ont droit à l’allocation de chômage prévue par l’article L. 5424-1 du Code du travail lorsqu’ils sont privés de leur emploi :

1° soit que la privation d’emploi soit involontaire ou assimilée à une privation involontaire ;

2° soit que la privation d’emploi résulte d’une rupture conventionnelle convenue en application du I de l’article 72 précité. Les agents publics dont l’employeur a adhéré au régime d’assurance chômage en application de l’article L. 5424-2 du Code du travail ont droit à l’allocation dans les cas prévus au 1° du IV susmentionné ainsi que, pour ceux qui sont employés en contrat à durée indéterminée de droit public, au 2° ci-dessus. Pour la mise en application de ces dispositions le décret n° 2020-741du 16 juin 2020 (publié au Journal officiel du 18 juin 2020) définit les modalités d’indemnisation des agents relevant des trois versants de la fonction publique, d’Orange et de la Poste lorsqu’ils sont privés d’emploi.

Ces demandeurs d’emploi sont soumis, en fonction de leur statut, aux règles de l’assurance chômage et aux dispositions spécifiques du présent décret. Le décret précise également les cas de privation d’emploi ouvrant droit à l’allocation-chômage, spécifiques aux agents publics qui, par définition, ne relèvent pas de contrats de travail conclus en application du Code du travail. Ce texte entend ainsi clarifier le droit applicable à ces demandeurs d’emploi particuliers. Le même décret adapte, en outre, certaines règles d’indemnisation afin de tenir compte des situations de suspension de la relation de travail (disponibilité, par exemple), des modalités de rémunération de ces agents ainsi que des dispositions statutaires qui leur sont applicables. Ces dispositions s’appliquent aux personnels qui sont privés d’emploi à compter du 19 juin 2020.

Lorsqu’une administration adhère au régime d’assurance de l’Unedic,  elle ne peut le faire qu’au profit des agents contractuels (c’est alors Pôle emploi qui les indemnise, sur la base du présent décret). Un fonctionnaire (titulaire ou stagiaire), involontairement privé d’emploi, est tou- jours indemnisé (sur la base du présent décret) par son administration d’origine, même si celle-ci a adhéré à l’Unedic.

I. LES AGENTS PUBLICS POUVANT BÉNÉFICIER DU DISPOSITIF DE L’ARE

L’article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique, prévoit le bénéfice de l’al- location d’aide au retour à l’emploi (Are) :

  • aux agents publics bénéficiant d’une rupture conventionnelle au sens du I et du III du même article 72, précité ;
  • aux agents publics démissionnant dans

le cadre d’une restructuration de service donnant lieu au versement d’une indemnité de départ volontaire ;

  • aux agents publics dont la privation d’emploi est involontaire ou assimilée à une privation

Le décret n° 2020-741 du 16 juin 2020 relatif au régime particulier d’assurance chômage applicable à certains agents publics et salariés du secteur public, pris en application du IV de l’article 72 précité, précise les modalités d’attribution et de calcul de l’Are dont peuvent bénéficier ces personnels. Ce décret rassemble ainsi en un seul texte l’essentiel des règles de chômage spécifiques aux agents de la fonction publique et précise leur articulation avec la réglementation de l’assurance chômage.

II. LES AGENTS CONSIDÉRÉS COMME INVOLONTAIREMENT PRIVÉS D’EMPLOI

Le décret du 16 juin 2020, précité, énumère les agents considérés comme involontairement privés d’emploi. Il s’agit :

  • des agents publics radiés d’office des cadres ou des contrôles et les personnels de droit public ou de droit privé licenciés pour tout motif (à l’exception des personnels radiés ou licenciés pour abandon de poste et des fonctionnaires optant pour la perte de la qualité d’agent titulaire de la fonction publique territoriale dans les conditions définies par leur statut) ;
  • des personnels de droit public ou de droit privé dont le contrat est arrivé à son terme et n’est pas renouvelé à l’initiative de l’employeur ;
  • des personnels de droit public ou de droit privé dont le contrat a pris fin durant la période d’essai ou à son terme, à l’initiative de l’employeur ;
  • des agents publics placés d’office, pour raison de santé, en disponibilité non indemnisée ou en congé non rémunéré à l’expiration des droits à congés maladie ;
  • des agents publics dont la relation de travail avec l’employeur a été suspendue, lorsqu’ils sont placés ou maintenus en disponibilité ou en congé non rémunéré en cas d’impossibilité pour cet employeur, faute d’emploi vacant, de les réintégrer ou de les réemployer. Le décret précise toute- fois que les personnels qui n’ont pas sol- licité leur réintégration ou leur réemploi dans les délais prescrits ne sont considérés comme ayant été involontairement privés d’emploi qu’à l’expiration d’un délai de même durée qui court à compter de la date à laquelle leur demande est présentée. Les agents concernés par ce cas de privation d’emploi sont réputés remplir la condition de recherche d’emploi requise pour bénéficier de l’Are (article L. 54213 du Code du travail).

Le décret du 16 juin 2020, précité, prévoit par ailleurs que les personnels placés dans l’une des trois premières situations de privation d’emploi, mentionnées ci-dessus, au cours d’une période de suspension de la relation de travail ne peuvent bénéficier de l’Are que s’ils justifient de n’avoir pu être réintégrés par leur employeur d’origine.

Le même décret identifie, par ailleurs, les personnels assimilés aux personnels involontairement privés d’emploi. Il s’agit :

  • des personnels de droit public ou de droit privé ayant démissionné pour un motif considéré comme légitime au sens des mesures d’application du régime d’assurance chômage ;
  • des personnels de droit public ou de droit privé ayant refusé le renouvellement de leur contrat pour un motif légitime lié à des considérations d’ordre personnel (pour suivre son conjoint, consécutivement à une nouvelle affectation, par exemple) ou à une modification substantielle du contrat non justifiée par l’employeur.

III. LES MODALITÉS D’OUVERTURE DES DROITS À L’INDEMNISATION

Si le Code du travail prévoit que la durée totale des activités salariées accomplies est prise en compte, le décret du 16 juin 2020, précité, ajoute que les périodes de suspension de la relation de travail doivent également être prises en compte, toutefois uniquement si les personnels sont rémunérés ou indemnisés durant cette période.

Afin d’assurer l’équité de traitement entre demandeurs d’emploi, ce même décret prévoit le maintien du versement de l’Are pour les demandeurs d’emploi créant ou reprenant une entreprise, déterminée dans les mêmes conditions que l’aide à la reprise ou à la création d’entreprise pouvant être accordée aux demandeurs d’emploi relevant du régime d’assurance chômage.

IV. LA REDÉFINITION DES CAS DE CESSATION DES VERSEMENTS DES ALLOCATIONS-CHÔMAGE

Par ailleurs, ce décret identifie plusieurs situations entraînant la cessation du verse- ment de l’allocation, qui s’ajoutent aux cas déjà prévus par le Code du travail (article L. 5421-4) et par la réglementation d’assurance chômage. En sont ainsi privés :

  • les allocataires dépassant la limite d’âge qui leur est applicable, quelle que soit cette limite ;
  • les allocataires bénéficiant d’une pension de retraite de droit direct, sauf lorsqu’elle est attribuée pour invalidité par un régime spécial de retraite à la suite d’une radiation d’office des cadres ou des contrôles ;
  • les allocataires exerçant une activité professionnelle, sous réserve des règles de cumuls prévues par le Code du travail ;
  • les allocataires refusant d’occuper un poste qui leur est proposé en vue de leur réintégration ou de leur réemploi par l’employeur avec lequel la relation de travail a été suspendue et répondant aux critères fixés par les dispositions statutaires applicables ;
  • les allocataires bénéficiant, sur leur demande, d’une nouvelle période de suspension de la relation de travail, y compris lorsque celle-ci est accordée par un employeur distinct de celui qui verse l’allocation.

V. LES MODALITÉS DE CALCUL DE L’ARE

La rémunération servant de base au calcul de l’allocation comprend l’ensemble des rémunérations brutes y compris les indemnités et primes perçues par ces personnels, dans la limite du plafond mentionné au 7e alinéa de l’article L. 5422-9 du Code du travail (le financement du régime d’assurance chômage est assuré au moyen de cotisations assises sur le salaire dans la limite de quatre fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, soit : 13 712 euros, depuis le 1er janvier 2021). Toutefois, sur demande des agents publics intéressés, les périodes de rémunération dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique, d’un temps partiel dans le cadre d’un congé de proche aidant ou d’un temps partiel de droit à l’occasion de la naissance ou de l’adoption d’un enfant ou pour donner des soins à un enfant à charge ne sont pas prises en compte dans la période de référence pour la détermination du salaire de référence.

Ce même décret modifie, en outre, le règlement d’assurance chômage de l’annexe A du décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 modifié relatif au régime d’assurance chômage pour mettre ce texte en cohérence avec les évolutions portées par le présent décret.

 

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Élections professionnelles – Vote électronique et contestation

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 664

Les entreprises ont de plus en plus recours au vote électronique aux élections professionnelles au comité
social et économique. Un arrêt qui fait jurisprudence apporte d’importantes précisions
sur le juge compétent en cas de contestation et sur la place de la négociation collective dans le processus.

par Michel CHAPUIS

Faits

La société Rapides Côte d’Azur a engagé le processus de mise en place d’un comité social et économique au sein de l’entre- prise. Par déclaration unilatérale de l’employeur (Due), l’entreprise a décidé d’un recours au vote électronique. Le syndicat Cgt des transports des Alpes-Maritimes a contesté cette décision devant le tribunal d’instance de Nice, qui l’a débouté.

Pourvoi du syndicat

Le syndicat fait grief à l’ordonnance de le débouter de sa demande en annulation de la déclaration unilatérale de l’employeur sur le vote électronique, alors :

1°/ que la négociation collective et l’exécution du contrat de travail sont régies par le principe de loyauté ; que le préalable de négociation imposée par l’article L. 2314-26 du Code du travail pour la mise en place du vote électronique suppose qu’en l’absence de délégué syndical, l’employeur recherche un accord avec des élus, mandatés ou non, ou directement avec des salariés mandatés, en application des articles L. 2232-24, L. 2232-25 et L. 2232-26 du Code du travail ; qu’en retenant, pour refuser d’annuler la décision unilatérale de l’employeur, que la possibilité préalable pour l’employeur de provoquer des négociations avec l’organisation syndicale Cgt s’avérait matérielle- ment impossible en l’absence de délégué syndical, le tribunal a violé le principe de loyauté régissant les relations de travail ;

2°/ qu’en l’absence de délégué syndical, un accord d’entreprise peut être conclu entre l’employeur et des élus, mandatés ou non, ou directement avec des salariés mandatés en application des articles L. 2232-24, L. 2232-25 et L. 2232-26 du Code du travail ; qu’en retenant qu’un accord d’entreprise ne pouvait être négocié que par une délégation d’une organisation représentative dans l’entreprise et que la bonne volonté de l’employeur quant à la recherche d’un accord devait s’analyser en fonction de la réalité au sein de l’entreprise lors de l’adoption de la Due, quand il résulte des articles L. 2232- 24 et suivants du Code du travail qu’un accord d’entreprise peut être négocié par d’autres interlocuteurs qu’une délégation d’une organisation syndicale dans l’entre- prise incarnée par un délégué syndical, le tribunal a  violé  les  articles  L.  2232- 24,  L.  2232-25,  L.  2232-26,  L.  2314-26 et R. 2314-5 du Code du travail ;

3°/ que pour débouter le syndicat demandeur, le tribunal a retenu qu’aucun membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique n’avait été expressément mandaté par la Cgt pour négocier un accord relatif à la mise en place du vote électronique ; qu’en statuant ainsi, quand la mise en place du comité social et économique au mois de mars 2019 était postérieure à la Due litigieuse sur le vote électronique, le tribunal a statué par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 2232-24 du Code du travail ;

4°/ qu’en retenant qu’il résulte de l’article L. 2232-24 du Code du travail que la négociation avec un membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique mandaté par une organisation syndicale représentative ne peut porter, en tout état de cause, que sur des accords collectifs relatifs à des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif, le tribunal a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, et a violé l’article L. 2232- 24 du Code du travail ;

5°/ que les dispositions du Code du travail sont d’ordre public, et que par principe, elles présentent un caractère impératif ; que leur violation prive d’effet tout acte contraire négocié ou imposé unilatéralement par l’employeur ; qu’en retenant, pour débouter le syndicat demandeur, qu’il ne s’imposait pas à l’employeur, à peine de nullité, d’entamer des négociations préalablement à l’adoption d’une Due sur le vote électronique, le tribunal a violé les articles L. 2314-26 et R. 2314-5 du Code du travail.

Réponse de la Cour de cassation à l’employeur qui contestait le pourvoi

Le recours au vote électronique, qu’il soit prévu par accord collectif ou par décision unilatérale de l’employeur, constitue une modalité d’organisation des élections, et relève en conséquence du contentieux de la régularité des opérations électorales.

Il en résulte que ce contentieux relève du tribunal judiciaire statuant en dernier ressort et que le pourvoi est recevable.

Réponse de la Cour de cassation au pourvoi du syndicat

Il résulte des articles L. 2314-26 et L. 2314-5 du Code du travail que la possibilité de recourir au vote électronique pour les élections professionnelles peut être ouverte par un accord d’entreprise ou par un accord de groupe, et, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur.

Il ressort de ces dispositions que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électro- nique.

Dès lors que le législateur a expressément prévu qu’à défaut d’accord collectif, le recours au vote électronique pouvait résulter d’une décision unilatérale de l’employeur, cette décision unilatérale peut, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou dans le groupe, être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires prévues aux articles L. 2232-23 à L. 2232-26 du Code du travail.

Le tribunal d’instance, qui a constaté qu’il n’y avait plus dans l’entreprise de délégué syndical depuis le mois de février 2018, en a exactement déduit, par ces seuls motifs, que la décision unilatérale prise par l’employeur le 22 août 2018 sur le recours au vote électronique était valide.

La Cour de cassation, chambre sociale, 13 janvier 2021, Syndicat départemental Cgt des transports 06 c/ société Rapides Côte d’Azur rejette le pourvoi.

 

 

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Revenu universel : l’équation du chacun pour soi

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Le droit de tous à un revenu décent ne passe pas par la mise au rancart du travail. Bien au contraire. Jean-Marie Harribey, auteur de plusieurs articles sur le revenu universel, s’en explique.

POINT DE VUE JEAN-MARIE HARRIBEY ÉCONOMISTE, MAîTRE DE CONFÉRENCES HONORAIRE, ANCIEN PRÉSIDENT D’ATTAC.

Propos recueillis par Martine HASSOUN

Qu’on le nomme « revenu d’existence », « revenu universel » ou « revenu de base », le projet qui consiste à verser, sans condition, de la naissance à la mort, un revenu à tous les individus, n’est pas nouveau. Depuis des décennies, la crise du capitalisme qui provoque chômage, précarité et pauvreté, que les minima sociaux ne par- viennent pas à contenir, sert d’argument à ses promoteurs. Mais, avec la pandémie et l’ampleur des difficultés annoncées par la mise à l’arrêt de l’économie, l’idée reprend tout naturellement de la vigueur. Seulement voilà, cette proposition pose plus de problèmes qu’il n’y paraît.

Économiques, tout d’abord. Contrairement à ce que prétendent les partisans du revenu universel, la fin du travail n’est pas à l’ordre du jour et rien n’indique que la révolution numérique va lui per- mettre d’advenir. Or, le principe de base sur lequel tout le monde peut s’accorder est que le revenu national est fondé sur les fruits du travail. Au-delà, entre l’activité libre et l’activité productive de valeur économique existe une différence de fond : la seconde génère un revenu, la première, non. Ensuite, l’idée souvent avancée que l’héritage du passé nous permettrait de justifier le revenu universel commet l’erreur majeure d’oublier que le revenu est issu d’un flux et non d’un stock…

À la place du budget de la protection sociale ?

Politiquement aussi, le projet n’est pas cohérent. Imaginons la situation qu’impliquerait un revenu universel dont le montant serait fixé à 1 000 euros mensuels, comme l’idée revient sou- vent. Effectivement, la promesse est alléchante. Sauf que pour financer un tel dispositif, il faudrait pouvoir mobiliser quelque 700 milliards d’euros par an, peu ou prou l’équivalent du budget de la protection sociale actuelle. Pour y parvenir, une seule solution serait possible : siphonner celle-

du sens et de la place que l’on veut donner au travail. Si le travail est vecteur d’aliénation, il est aussi un facteur d’insertion essentiel dans la société. L’admettre implique de permettre à tous d’y accéder. Donc, de se battre pour le plein- emploi et pour la réduction collective du temps de travail qui lui est consubstantielle. Le revenu universel tourne le dos à ce combat. Il milite pour une sortie individuelle de la crise et se conjugue parfaitement avec le développement du temps partiel, mesure individuelle et inégalitaire s’il en est… Bien sûr, dire cela ne suffit pas. Face à l’urgence sociale et aux imperfections du système de protection sociale qui laisse en particulier trop de jeunes sans droit aucun, il faut trouver une solution.

Avec la Fondation Copernic et les Économistes atterrés, nous avons publié un livre dans lequel nous démontrons qu’il est possible de créer un revenu garanti d’un montant équivalent au Smic. Une allocation qui, versée sous conditions de ressources, serait assurée à toute per- sonne de plus de 18 ans en formation ou en recherche d’emploi, en remplacement du Rsa ou de la prime d’activité. Contrairement au revenu universel, ce dispositif aurait l’avantage de confirmer la place essentielle du travail. Et en le faisant, il affirmerait le rôle central de la pro- tection sociale et du besoin de travailler moins pour travailler tous. Il le ferait sans mettre en péril les comptes sociaux puisque nous estimons le coût de ce revenu garanti à 70 à 80 milliards d’euros par an, soit le montant annuel des allè- gements de cotisations sociales accordées aux entreprises sans contrepartie aucune. Un choix bien moins onéreux que de laisser filer la fraude et l’évasion fiscales. Dix fois moins élevé que le coût du revenu universel. Mieux, qui consolide un projet collectif du revenu fondé sur « travail utile + revenu + Rtt + protection sociale ».

À lire Jean-Marie Harribey, « Un revenu d’inexistence sociale ? », La Nouvelle Revue du travail n° 11, automne 2017 ; Fondation Copernic et Économistes atterrés, Faut-il un revenu universel ?, L’Atelier, 2017.

 

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Unedic – Si dette il y a

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Suspendue par la crise sanitaire, la réforme de l’Unedic va revenir sur le devant de la scène. L’ampleur de sa dette pourrait en accélérer la mise en œuvre. Mais une réforme pour quoi faire, avec quelle finalité ? Réforme ou contre-réforme : enjeux à venir.

ENTRETIEN AVEC MICHAËL ZEMMOUR ÉCONOMISTE AU CENTRE D’ÉCONOMIE DE LA SORBONNE ET AU LABORATOIRE INTERDISCIPLINAIRE D’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES DE SCIENCES PO.

Options : Alors qu’elle était fixée en 2019 à 37 milliards d’euros, la dette du régime d’assurance chômage devrait passer à 65 milliards en À quoi cette explosion est-elle due ?

Michaël Zemmour : Avant toute chose, qui s’intéresse aux comptes de l’Unedic doit considérer deux éléments. Pour commencer, l’extrême sensibilité de sa santé financière à la conjoncture. Par nature en effet, l’assurance chômage perd des recettes et dépense davantage quand le chômage Et, à l’inverse, dépense moins et engrange plus de cotisations quand la situation économique est bonne. Ensuite, depuis quelques années, le régime d’assurance chômage n’a pas seulement pour mission  de  financer un revenu de remplacement à ses cotisants lorsqu’ils sont privés d’emploi. À la demande de l’État, il doit aussi financer une partie du fonctionnement de Pôle emploi.

– Pourquoi insister sur ce point ?

– Pour signifier qu’avant même la crise sanitaire, le déficit de l’assurance chô- mage ne relevait pas d’une mauvaise gestion mais autant de la spécificité de son mode de financement que de sa difficulté à obtenir des recettes à la hauteur de ses besoins. Cela fait des années que ça dure. Des années que les gouvernements successifs lui refusent les moyens de faire face à ses obligations, s’assurant ainsi aussi bien une capacité de contrôle sur les dépenses du régime pour limiter le déficit des comptes publics qu’une capacité d’action sur les contours du système de protection sociale…

– Et c’est dans ce contexte que survient la crise sanitaire. Que change-t-elle ?

– Non seulement elle aggrave les difficultés du régime en diminuant ses recettes, mais elle engendre une charge financière totalement imprévue : la couverture de la rémunération de quelque 13 millions de salariés via un recours quasi illimité des entreprises au dispositif de chômage partiel. Les frais engendrés par cette décision auraient pu ne peser que sur le budget de l’État. Le gouvernement en a voulu autre- ment. D’emblée, il a choisi d’imposer un tiers de ce coût au régime, soit quelque 9 milliards d’euros. En quelques jours, cette mesure, qui jusqu’alors était restée marginale et n’était destinée qu’à aider ponctuellement une entreprise ou un secteur, va se généraliser en entraînant une chute spectaculaire de la trésorerie de l’organisme.

– Jamais l’État ne révisera sa position ni n’envisagera d’exonérer l’Unedic de la prise en charge du chômage partiel ?

– Non. Comme le gouvernement refusera de financer le coût de la crise sanitaire assumé par la Sécurité sociale qui, en plus des dépenses de soins et de congés maladie des personnes directement touchées par le Covid, a supporté la prise en charge des congés des personnes fragiles et de ceux accordés pour garde d’enfants, il annoncera dès l’été que la dette de l’Unedic sera imputable à l’organisme, et à lui seul. Que celle-ci sera considérée comme une dette sociale et non comme une dette de l’État.

– Quelle différence entre ces deux notions : dette sociale et dette de l’État ?

– Quand un État est endetté, il rembourse à très long terme. Il ne supporte, de fait, que les intérêts de ses emprunts, réempruntant indéfiniment pour couvrir le « principal », l’objet même de sa dette sans jamais en rembourser le montant. Il en va tout autrement de la dette sociale. La dette sociale a vocation, elle, à être très vite acquittée. Et la règle qui la fonde est, cette fois, qu’il faut rembourser « intérêt et principal ». Autrement dit, dans un cas, on admet qu’une dette court sur des dizaines et des dizaines d’années en acceptant que son auteur se concentre sur le remboursement, non du montant initial, mais des intérêts de l’emprunt. Dans l’autre, on impose un remboursement total et rapide de l’ensemble. C’est-à-dire que, très concrètement, soit on oblige à l’avènement de recettes nouvelles, soit on pousse à des mesures drastiques d’économies. En refusant à l’Unedic d’augmenter ses cotisations, l’État entend aujourd’hui imposer à l’organisme d’entamer plus encore les droits de ses allocataires. Et c’est le but de la réforme en cours.

Il faut parvenir à conjuguer la protection offerte par l’assurance chômage avec la réalité du marché du travail. Il n’est pas acceptable que la moitié des demandeurs d’emploi échappent à la protection qu’assure le régime.

Quel argument pourrait pousser l’État à prendre en charge la facture ?

– Un argument tout  simple.  La  dette de l’Unedic est la résultante d’un choix gouvernemental : celui de détourner des sommes prévues pour protéger les cotisants afin de les affecter aux conséquences sociales d’une crise sanitaire générale et globale dans laquelle l’organisme n’a aucune responsabilité.

– Ne pas l’entendre est-il pure négligence ou y a-t-il une logique à cela ?

– Il y a une logique à cela. La raison qui pousse le gouvernement à refuser de prendre en charge la dette de l’Unedic est d’en accélérer la prise de contrôle. Le déficit lui sert d’argument. En effet, rien n’interdirait à l’État de considérer la crise sociale générée par la crise sanitaire au même titre qu’une catastrophe éco- logique de grande ampleur et, à ce titre, d’en financer le coût. Seulement voilà : agir autrement a un avantage. Comme dans le dossier des retraites, crier au déficit permet d’imposer des réformes qui favorisent le glissement d’un régime assurantiel vers une logique d’assistance.

– Pour abandonner les fondements même de l’Unedic, qui en font un organisme de protection sociale ?

– L’esprit demeure encore. Mais l’objectif est bien d’amoindrir le modèle qui le porte. Un modèle qui reconnaît la responsabilité sociale et collective à construire face aux risques provoqués par la perte d’emploi pour lui substituer une conception plus individuelle de la protection fondée sur le secours, l’incitation et la sanction. On passe ainsi d’un droit au maintien du salaire à une aide incitative à la recherche d’emploi. Une fois encore, cela n’est pas inéluctable. Une autre option aurait été possible : admettre que la facture générée par la crise sanitaire devait revenir à l’État, et considérer que l’Unedic devait d’abord et avant tout se consacrer à sa reconstruction.

– Sur quelle base, selon vous ?

– De deux manières. D’abord, il faut par- venir à conjuguer la protection offerte par l’assurance chômage avec la réalité du marché du travail. Il n’est pas acceptable que la moitié des demandeurs d’emploi échappent à la protection qu’assure le régime. Il est indispensable de penser le système comme un droit à la sécurité pour toutes les personnes qui travaillent. Ensuite, il faut s’émanciper d’une vision à très court terme de l’équilibre des comptes du régime, et réfléchir à une conception du financement qui ne considère pas le déficit comme une marque de mauvaise gestion. En elle-même, la dette n’est pas un problème. Ce qui l’est, c’est qu’on ne dépense pas assez pour protéger les intermittents de l’emploi, qui sont en ce moment en train d’épuiser leurs droits. Et puis, Il y a urgence à protéger les jeunes.

– La France fait-elle exception en la matière ?

– La réponse française apportée à la crise a exploité les forces et les faiblesses de son modèle. Une forte protection a été offerte aux salariés sous contrat à durée indéterminée mais, peu a été reconnu aux autres. Aux États-Unis, la stratégie a été totalement inverse. La pandémie n’a épargné l’emploi de personne. En 2020, 9,8 millions d’emplois ont été détruits sans que leurs anciens titulaires bénéficient d’un revenu de substitution tel que le régime d’assurance français a pu contribuer à en verser. Mais, sans condition aucune, un chèque de plusieurs centaines de dollars a été adressé à tous les contribuables américains pour faire face à la crise.

– Que conclure de cela ?

Si la France a mieux protégé ceux qui disposent d’un contrat de travail, la per- sonne la moins bien protégée ici est moins protégée qu’outre-Atlantique. À présent que l’État a pris le contrôle de l’Unedic, il doit agir. Le contraste entre son volontarisme affiché pour l’activité partielle et l’absence de toute considération pour les individus est sidérant. Chaque mesure décidée ces derniers mois pour protéger les plus précaires a sans cesse été accompagnée de conditions qui en compliquaient l’accès. Ce n’est pas supportable. Dans une société qui risque d’être  durablement  appauvrie, il faut décider si nous souhaitons restreindre notre sécurité sociale, comme cela a été imposé aux pays d’Europe du Sud, et dans une moindre mesure, à la France après la crise de 2008, ou si nous souhaitons collectivement augmenter la part du revenu et de la production consacrée à cette protection, parce que celle-ci doit être considérée comme un besoin

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Éditorial de Sophie Binet – Les femmes ne sont pas une variable d’ajustement

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 664

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Au prétexte de la crise économique, le patronat entretient une petite musique rétrograde : haro sur l’égalité femmes-hommes, la lutte contre les discriminations ou l’environnement, n’imposons aucune obligation aux entreprises. Pourtant, les femmes sont toujours les plus affectées par les crises économiques. Pourquoi ? Parce qu’on considère que s’il n’y a plus assez d’emplois pour tout le monde, les femmes ayant seulement un salaire d’appoint dans le couple peuvent sans dommage rester au foyer. Et c’est exactement ce qui se passe depuis le premier confinement : les femmes sont la variable d’ajustement. Ce sont elles qui, comme l’en- quête Ugict l’a montré, pallient les fermetures de crèches et d’écoles et sont sommées de télétravailler tout en gardant les enfants. Avant la crise, la double journée conduisait déjà à ce qu’elles fassent deux fois plus de burn-out que les hommes. Combien depuis ? Combien de femmes ont déjà été obligées de réduire leur temps de travail, ont été écartées de projets, de responsabilités, pénalisées dans leurs évaluations, leur carrière et leur salaire ?

Le 8 mars arrive à point nommé. Ni Saint-Valentin, ni fête des mères, la jour- née internationale de lutte pour les droits des femmes doit mettre cet enjeu en visibilité. La Cgt, avec le mouvement féministe, appelle à une journée de grève, notamment à 15 h 40, heure à laquelle chaque jour les femmes arrêtent d’être payées. Rappelons-le, les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes. Plus on exerce des responsabilités élevées, plus les inégalités salariales se creusent du fait de la part variable de la rémunération. Ainsi, il ne suffit pas de percer le plafond de verre, il faut transformer la norme de l’encadrement, mettre fin à l’individualisation de la rémunération et au présentéisme.

Pour les professions intermédiaires, c’est la ségrégation des emplois qui joue à plein. Les femmes sont concentrées dans des métiers dévalorisés financière- ment et socialement, dans lesquels les qualifications ne sont pas reconnues. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la situation des salarié·es du secteur sanitaire et social, de l’éducation…

La bonne nouvelle, c’est que, de la légalisation de l’Ivg en Argentine à #MetooInceste en France, la mobilisation des femmes continue à faire tom- ber des digues de pouvoir patriarcal. L’apport de la Cgt vise à articuler cette bataille pour l’émancipation à la lutte contre l’exploitation économique, à traiter au même niveau rapports sociaux de classe et de genre. Une articulation indispensable, sans laquelle la mobilisation des femmes sera cantonnée à du féminisme-washing, occultant l’enjeu de l’égalité au travail. Un lien essentiel pour que les luttes sociales ne se limitent pas à être sur la défensive mais soient porteuses d’un autre projet de société. Alors, le #8mars15h40, grève féministe !

Sophie Binet – COSECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L’UGICT-CGT

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À propos – février 2021

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 664

Veille de la Saint-Valentin : Marine et Gérald sur France 2 Vous êtes molle, molle, molle, décidément trop molle. C’est Gérald Darmanin qui se délecte, sur France 2, du bon tour qu’il joue à Marine Le Pen. Lui est ministre de l’Intérieur et des Cultes ; elle… On ne présentera pas Marine Le Pen, si […]

Veille de la Saint-Valentin : Marine et Gérald sur France 2

Vous êtes molle, molle, molle, décidément trop molle. C’est Gérald Darmanin qui se délecte, sur France 2, du bon tour qu’il joue à Marine Le Pen. Lui est ministre de l’Intérieur et des Cultes ; elle… On ne présentera pas Marine Le Pen, si ce n’est pour dire qu’elle court après une respectabilité qu’elle ne parvient jamais totalement à atteindre. France 2 lui en offre l’occasion à l’avant-veille de la Saint-Valentin, en l’appariant avec le jeune loup de la droite Macron-compatible. La chaîne a fait grand battage – service public, que de crimes commis en ton nom ! – en annonçant le match du siècle. On ne s’inquiète pas pour le siècle, il en verra d’autres ; quant au match, il s’est vite déroulé au son d’un vieux refrain de Georges Brassens :

« l’un tient le couteau, l’autre la cuiller »… N’entrons pas dans les détails du débat, ce serait sordide. Rappelons, en passant, que le ministre a déclaré sur un ton de gamin boudeur qu’il se refusait à payer les curés et les rabbins d’Alsace- Moselle, na, et qu’il jugeait décidément la présidente du Rassemblement national bien molle du genou. Ravie, épanouie, celle-ci lui a poliment donné la réplique, jugeant vraiment très bien

– j’aurais pu le signer – le livre de Darmanin. Sur ce, nos deux larrons ont fait assaut d’islamophobie, bras dessus bras dessous, à qui donne- rait le la. Oubliés les curés et les rabbins : sus à l’envahisseur au croissant de lune ! Sinistre mise en scène ! Il faut hélas la prendre au sérieux ; elle donne le coup d’envoi d’une future campagne présidentielle qui s’annonce organisée autour d’une question : qui sera le plus efficace pour stigmatiser l’islam et les musulmans ? Sujet évidemment central alors que la pandémie est loin d’être maîtrisée, qu’elle alimente les craintes pour l’avenir et exacerbe les difficultés du présent !

C’est qu’il faut distraire la galerie pour gagner la présidentielle. Au stade où il en est, Emmanuel Macron a besoin d’un méchant, d’un foncièrement répulsif, d’un affreux qui lui confère le bon rôle. Pour lui ravir le trône, Marine Le Pen a besoin, elle, d’apparaître fréquentable. Pour pré- parer l’après-Macron – car il y en aura un, comme il y a eu un après-Hollande – Gérald Darmanin reprend le scénario qui a si bien réussi à l’actuel président. Mais au lieu de se présenter en héraut d’une technocratie centriste, il soigne son image de chaînon manquant entre extrême droite et droite extrême. Perdus dans ces calculs statistico-stratosphériques, tous ces gens se prennent décidément pour les gardiens d’un troupeau de moutons craintifs et quelque peu niaiseux.

LabÉlysée 100 % Le Pen, made in Beauvau

Car le président était évidemment à l’initiative de ce bêbête-show, qu’il aurait – murmure-t-on – très apprécié. C’est qu’il nourrit un petit faible, de ce côté-là. Pas plus tard que ce 14 octobre, n’a- t-il pas missionné l’un de ses conseillers, Bruno Roger-Petit, pour un déjeuner avec Marion Maréchal, la nièce de Marine, plus à droite encore si c’est possible mais aux allures si proprettes ? Deux fers au feu, c’est toujours mieux et rien n’est superflu pour assurer le succès de l’os législatif que ses ministres bouffeurs d’imams et de femmes voilées ont obtenu. En étant rebaptisée en « défense des principes républicains », l’affaire atteint un tel degré d’antiphrase qu’elle éclipse Orwell et sa novlangue.

Soit dit en passant, c’est sans doute la première fois dans l’histoire de la République qu’une loi se présente en défense de ses principes. Jusqu’à présent, ils faisaient bloc et consensus. Remarquez, on aurait pu, fastoche, améliorer le produit république : faire un gros effort du côté de l’égalité des droits, réhabiliter le travail, assurer l’emploi et des salaires décents, rajouter une pincée de fraternité et de liberté… Mais l’objectif était autre : il s’agit d’agiter un ennemi intérieur pour rameuter des voix à la présidentielle, pour, d’une main de fer, serrer les rangs et les boulons. Surtout les boulons.

Le texte ne fait donc pas dans la demi-mesure : une suite d’interdits longue comme un jour sans pain, assortie de nouveaux délits pénaux et de mesures de contrôle. Liberté d’instruction, liberté des associations, liberté de culte et de conscience seront maintenues… sous condition. Autrement dit, le terme « liberté » devient « si autorisé ». Ça n’a l’air de rien, ça change tout ! Avec cette inversion de valeurs et de règles, la république sortirait de l’Assemblée nationale comme le bœuf sort de l’usine de corned-beef : hachée et en boîte, labÉlysée 100 % Le Pen, made in Beauvau.

Dix mille pigeons voyageurs, com’ coups de becs

Pendant ce temps-là, qui n’est pas tout à fait le même temps, car chacun voit midi à son fuseau horaire, l’armée chinoise se projette dans un avenir post-technologique. Elle annonce l’acquisition prochaine de quelque 10 000 pigeons voyageurs. Ce colombidé, détesté par les responsables municipaux à la propreté urbaine, est particulièrement apprécié par les colombophiles chinois. Au point d’ailleurs d’atteindre des sommes astronomiques. Mais en l’occurrence, il s’agit plus simplement de pouvoir assurer la transmission de messages en cas de rupture massive des services de communication.

Avec tout ce qu’on lit dans les journaux sur les hackers et autres rançongiciels, on comprend que les militaires de l’Empire du milieu veuillent tenir tous les bouts. D’où l’investissement dans cette sorte de Huawei à plumes, préparé au pire et dont le nombre annoncé – dix mille – est la traduction poétique de l’éternité. Voilà qui est de bon augure pour l’espèce ; gageons que les fabricants de poison destinés aux volatiles se réjouiront également à la perspective de commandes. Car même si Pékin a garanti qu’il s’agirait de vols intérieurs, on voit très bien, disons l’Inde, au hasard, en commander quelques centaines de tonnes, histoire de protéger ses propres routes aériennes d’éventuelles incursions colombines. On imagine enfin la migraine qui a saisi les têtes pensantes de la Silicon Valley, réalisant que l’avenir de l’intelligence artificielle pourrait désormais se fracasser contre une cervelle de piaf. Mais nous n’en sommes pas là : le bug mondial redouté par Pékin se fait encore attendre. Pour l’heure, les pigeons roucoulent en paix et en France, et la Saint-Valentin ne sonnera pas fatalement le glas de la république. À condition que ni bœufs ni moutons, nous l’aidions, avec ou sans pigeons, à ne pas perdre le nord…

Pierre TARTAKOWSKY

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Salaires-Emplois : Un couple dynamique – Options 664

Article mis en ligne le 22 février 2021,

La pandémie n’a interrompu ni les logiques économiques des directions d’entreprise ni leurs façons de faire.
Mais elle a modifié de façon paradoxale les termes de la contre-offensive syndicale et ceux de l’intervention des salariés. Ainsi les salariés de chez Ernst & Young et associés ont fait leurs comptes et rendu publiques leurs revendications, face à […]

La pandémie n’a interrompu ni les logiques économiques des directions d’entreprise ni leurs façons de faire.
Mais elle a modifié de façon paradoxale les termes de la contre-offensive syndicale et ceux de l’intervention des salariés.
Ainsi les salariés de chez Ernst & Young et associés ont fait leurs comptes et rendu publiques leurs revendications, face à une dégringolade salariale qui passe mal. Une première dans cette multinationale de l’audit et du conseil en stratégie, l’une des quatre plus grandes sociétés sur ce marché.
D’autres conflits se mènent pour refuser ce choix biaisé, présenté par les gouvernements de ces dernières décennies comme inévitable.
C’est que les politiques de baisse de ce que les employeurs qualifient de «charges», n’ont tenu aucune de leurs promesses sur la santé de l’emploi.

(suite…)

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Enseigner, « quoi qu’il en coûte »…

Article mis en ligne le 30 janvier 2021, publié dans Options n° 663

À chaque jour suffit son annonce ministérielle, contradictoire avec la précédente. Au moment où Options paraîtra, les établissements scolaires seront peut-être fermés. Mais début janvier, le ministre de l’Éducation nationale affirmait que rien ne s’opposait à ce que les cours reprennent « comme prévu» (!). C’est-à-dire avec les mêmes protocoles sanitaires variables et improvisés qu’avant […]

À chaque jour suffit son annonce ministérielle, contradictoire avec la précédente. Au moment où Options paraîtra, les établissements scolaires seront peut-être fermés. Mais début janvier, le ministre de l’Éducation nationale affirmait que rien ne s’opposait à ce que les cours reprennent « comme prévu» (!). C’est-à-dire avec les mêmes protocoles sanitaires variables et improvisés qu’avant les fêtes. Comme si tout était sous contrôle, comme si les équipes pédagogiques n’avaient pas à s’adapter à des difficultés récurrentes. Et comme si les nouveaux variants anglais et sud-africain du Covid, qui semblent toucher davantage les jeunes et être plus contagieux, ne constituaient pas une menace supplémentaire. Jean-Michel Blanquer, rassuré que 10 000 tests antigéniques réalisés au hasard dans des établissements secondaires mi-décembre n’aient pas révélé plus de 0,3 % de cas positifs, a en effet estimé que les risques de contamination s’avé- raient négligeables…

Dans les collèges, soumis à nulle autre consigne que le port du masque et une relative distanciation sociale, de nombreux enseignants sont pourtant à bout : « Je vais au travail la peur au ventre, explique Isabelle *, professeure d’anglais dans un collège rural près de Montpellier. Pourquoi les lycées ont-ils adopté un protocole renforcé et pas les collèges ni même les écoles primaires ? Pourquoi ne met-on pas en œuvre les divers scénarios envisagés pour vraiment limiter les risques ? Nous avons l’impression que l’institution n’anticipe sur rien. Manque de moyens ou de lucidité ? En attendant, elle joue avec notre santé. Elle nous expose directement, par exemple en s’accommodant de réfectoires bondés le midi. Mais aussi indirectement, parce que c’est beau- coup plus éprouvant de faire cours masqué, de parler plus fort à des élèves qui bredouillent sous leur masque et sont moins attentifs, d’autant plus en langues vivantes. Ou avec les fenêtres ouvertes pour aérer, même s’il fait froid et qu’il y a du bruit dehors. Beaucoup d’entre nous sont épuisés physiquement et moralement. Il m’est arrivé de me faire arrêter par mon médecin quelques jours, pour tenir le coup.» En guise de vœux de bonne année et de soutien, le ministre s’est contenté de

souhaiter plus de tests dans les établissements, comme si leur mise en œuvre ne dépendait en rien de ses décisions ou de son pouvoir, et d’espérer que les enseignants seraient vaccinés d’ici fin mars – même si en coulisses, rien n’est envisagé avant avril, au mieux… Les profs ne sont pas prioritaires, pourtant le gouvernement ne cesse de répéter à quel point l’Éducation nationale est un pilier de la République. En première ligne mais appelés au sacrifice : 10 % des personnels de l’Éducation nationale sont estimés personnes à la santé fragile, et chacun sait combien, déjà en temps normal, enseigner n’est pas un métier facile.

Un enseignement inégalitaire et en mode dégradé

Aucun enseignant ne souhaite rompre à nouveau le contact réel avec ses élèves mais, en matière de lien pédagogique, chacun fait avec les moyens du bord. « Nous avons tous constaté les dommages du premier confinement sur la qualité de notre enseignement et la progression de nos élèves, souligne Paul, professeur de français dans un collège du Nord classé en réseau d’éducation prioritaire. Avec nos élèves, tout cours magistral ou linéaire est exclu. Pourtant, en distanciel, impossible de laisser un silence, c’est donc notre parole qui s’imposait, en abolissant tout échange. De plus, nos élèves ne maîtrisent pas les outils interactifs – très imparfaits d’ailleurs – mis à notre disposition sur l’espace numérique de travail commun. Ils se déconcentrent et perdent

pied; nous savons que nous parlons dans le vide. Ils n’ont pas non plus l’autonomie suffisante pour travailler seuls à partir de documents, sans qu’on leur réexplique les consignes et qu’on les accompagne dans leur travail. Nous avons donc été contents de les retrouver à la rentrée, car notre travail ne vaut que par ce contact direct avec eux.» Depuis novembre, il a fallu repenser l’organisation du collège pour limiter les mouvements des élèves. Chaque classe s’est vu attribuer une salle, et ce sont les enseignants qui se déplacent : « C’est épuisant pour nous, et dans certaines matières, il faut innover. Les profs d’arts plastiques, de Svt, de physique-chimie, de musique, ne disposent plus de leur salle habituelle, équipées des outils dont ils ont besoin, pour les expériences notamment. On doit tous s’adapter. J’ai par exemple une classe de sixième assez turbulente, qui a été installée dans une salle normalement dédiée aux langues, avec des tables disposées en double U pour faciliter les échanges, plutôt qu’en “autobus”, où tout le monde est assis face au tableau et à l’enseignant. C’est très difficile d’obtenir qu’ils se taisent et se concentrent, qui plus est en fin d’après-midi. À l’inverse, les profs de langue subissent les classes avec des tables rangées en autobus… Il y a des moments où on se demande ce qu’on fait là. On a aussi dû menacer de fermer les huit classes du rez-de-chaussée, dont on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres, et de ne plus faire cours si les salles n’étaient pas nettoyées. Le rectorat a fini par nous attribuer ponctuellement une personne supplémentaire pour le ménage… » Pour résumer, ce collège s’en sort grâce à une équipe soudée, qui n’a pas attendu les grands discours ministériels sur les vertus de la coopération, de l’adaptabilité et de l’innovation… mais au prix d’une grande fatigue générale.

Comme si la crise confortait les vues ministérielles…

Dans les lycées, c’est aussi la débrouille, même si la recommandation officielle est d’assurer au moins 50 % des cours en présentiel… Nombre d’établissements privés et certains grands lycées publics ont néanmoins décidé de continuer à 100 % en présentiel, en particulier pour les termi- nales, pratique dénoncée parce que constituant une rupture d’égalité avec la grande majorité des lycées publics. D’autres se sont équipés en s’as- surant que les élèves, comme les enseignants, disposent d’ordinateurs, de micros et de camé- ras, pour que se tiennent des cours en distanciel, y compris en « hybride-synchrone » : la moitié des élèves, qui ne sont pas au cours, peuvent tout de même le suivre en captation directe.

« Dans notre lycée, nous disposons de peu de micros et d’une connectivité médiocre, souligne un prof de maths parisien, et peu d’entre nous sont volontaires, parce que les aspects techniques parasitent le fonctionnement du cours. Le modèle dominant c’est une moitié de classe qui vient le matin, et l’autre l’après-midi, en alternance. » Soit les enseignants refont le même cours d’une semaine sur l’autre, soit ils proposent au groupe absent un travail à la maison sur le même thème – variante de la classe inversée –, soit le plan du cours ou les notes d’un élève y ayant assisté sont transmis aux absents. « Dans tous les cas, il est plus honnête de parler d’enseignement dégradé que de maintien du lien pédagogique.»

Sylvie acquiesce et ne cache pas sa lassitude. Elle enseigne les lettres et le théâtre au lycée et en classe préparatoire dans une grande ville. « Quel sens y a-t-il à faire cours en manteau, masquée et avec une migraine persistante, à des élèves dont je reconnais à peine le visage et dont je ne perçois pas les expressions ? Nous sommes censés aller voir des spectacles, en débattre, organiser des ateliers, être en prise directe avec le monde de la création et le spectacle vivant. Quant aux lycéens, c’est la course contre la montre : analyses de textes à la chaîne pour le bac français en première, cours au pas de charge en terminale, ils doivent être prêts en mars pour les épreuves de spécialisation, sans qu’on sache si des aménagements vont nous auto- riser à faire des impasses. Je vais deux fois plus vite, les élèves participent deux fois moins, j’ai les parents sur le dos dès qu’un élève a une note qui peut compromettre son dossier sur Parcoursup. Plus les multiples réunions avec les collègues et la direction sur les examens et les harmonisations, faute de disposer d’un cadre ministériel.»

ÉLÈVES ET ENSEIGNANTS DOIVENT SE CONTENTER DE TRAVAILLER SANS PROTESTER. DE MÊME, PENDANT QUE LES ENSEIGNANTS SONT ACCAPARÉS À PLEIN TEMPS POUR ASSURER LA GESTION DE CRISE, LE MINISTÈRE POURSUIT SON « GRENELLE DE L’ÉDUCATION », QUI DOIT D’ICI FÉVRIER DÉCIDER DE « GRANDES RÉFORMES ».

Les incertitudes se multiplient, mais le ministère poursuit ses réformes sans ciller, en particulier celle du bac. La première session d’épreuves terminales a certes déjà fait l’objet d’aménagements, mais une ordonnance publiée fin décembre autorise le ministère à en annoncer d’autres jusqu’à quinze jours avant le calendrier actuel, « sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d’organisation, qui peut notamment s’effectuer de manière dématérialisée » (!). En attendant, élèves et enseignants doivent se contenter de travailler sans protester. De même, pendant que les enseignants sont accaparés à plein temps pour assurer la gestion de crise, le ministère poursuit son « Grenelle de l’éducation », qui doit d’ici février décider de grandes réformes pour moderniser l’éducation et les métiers d’enseignants ! Sans les enseignants : la Fsu et la Cgt ont d’ailleurs quitté cette grand- messe en dénonçant une mascarade. Et la grande majorité des enseignants, sur le terrain, constate une nouvelle fois que le ministre va les déposséder de ses retours d’expérience et de l’expression de ses besoins…

VALÉRIE GÉRAUD

https://journaloptions.fr/2021/01/sante-mentale-etudiants-a-bout-de-souffle/

https://journaloptions.fr/2021/01/ecole-les-conditions-de-la-democratie/

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Fonction publique – Concours et examens 2021, durant la crise sanitaire

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 663

Des mesures peuvent adapter le nombre ou le contenu des épreuves pour simplifier le processus d’accès aux emplois publics.

par Edoardo MARQUÈS

Une  nouvelle ordonnance, datée du 24 décembre 2020 et « relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire », a été publiée au Journal officiel du 26 décembre 2020 (Ordonnance n° 2020-1694 du 24 décembre 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19.)

Elle permet de maintenir, du 1er janvier au 31 octobre, « la faculté d’adapter les modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur et de délivrance des diplômes, y compris le baccalauréat, ainsi que celles relatives aux voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois des agents publics », peut- on lire dans le compte rendu du conseil des ministres qui l’a adoptée le 21 décembre. Ces dispositions sont complétées par un décret, daté du même jour et publié au même Journal officiel (Décret n° 2020-1695 du 24 décembre 2020 pris pour l’application des articles 7 et 8 de l’ordonnance n° 2020-1694 du 24 décembre 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19.).

L’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19, avait déjà permis l’adaptation ou le report des épreuves des concours ou examens dans la fonction publique. Ces dispositions s’appliquaient du 12 mars au 31 décembre 2020.

C’est ainsi, par exemple, que les concours d’accès au grade d’attaché territorial, organisés par les centres de gestion de la fonction publique territoriale, qui devaient se dérouler en novembre 2020 ont été reportés sine die.

Face à la permanence de la crise sanitaire, les articles 6 et 7 de l’ordonnance du 24 décembre 2020 permettent de prendre les mesures nécessaires pour assurer la continuité du déroulement des voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois des agents publics, dans le respect du principe constitution- nel d’égalité de traitement des candidats, jusqu’au 30 avril 2021 inclus.

En premier lieu, la notion de voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois des agents publics de la fonction publique est précisée afin de rendre la faculté d’adaptation introduite par l’article 6 explicitement applicable aux

modalités de sélection, d’évaluation et de qualification intervenant au cours de la formation d’agents publics en école de service public ou établissement d’enseignement supérieur, dès lors que les périodes de formation concernées donnent accès à un nouvel emploi, le cas échéant après nomination dans un nouveau corps, cadre d’emplois ou grade.

Peuvent ainsi être adoptées, sur le fonde- ment de l’article 7, toutes les fois où elles demeurent nécessaires dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, des mesures d’adaptation du nombre ou du contenu des épreuves pour simplifier le processus d’accès aux emplois publics, en raccourcir la durée et ainsi pourvoir aux vacances d’emploi en temps utile. Ces mesures peuvent prendre la forme de la suppression des épreuves non compatibles avec le respect des consignes sanitaires, ou leur adaptation, lorsqu’elle est possible, pour en permettre le respect.

Les candidats doivent être informés, au moins deux semaines avant le début des épreuves, des modalités et adaptations des épreuves des concours et examens. En outre, sont également  prolongées les dispositions réglementaires nécessaires pour permettre la continuité du déroulement des concours et examens face à l’impossibilité des déplacements physiques des candidats, comme des membres de jury. Les dispositifs de visioconférence ou d’audioconférence, assortis des garanties nécessaires pour assurer l’égalité de traitement des candidats ainsi que la lutte contre la fraude, pourront être maintenus toutes les fois que les conditions matérielles seront réunies pour per- mettre l’organisation du processus de sélection à distance.

L’article 8 complète ce dispositif, en prenant acte du report des calendriers d’organisation des recrutements, pour permettre aux administrations, établissements et collectivités des trois versants de la fonction publique de pourvoir aux vacances d’emploi qui interviendront avant l’achèvement des processus en cours de réorganisation.

À l’instar de l’ordonnance de mars 2020, il est permis aux administrations, jusqu’au 30 avril 2021, de pourvoir des emplois vacants en recourant aux listes complémentaires des concours précédents.

Dans la fonction publique de l’État et dans la fonction publique hospitalière, les articles 20 et 31 respectivement des n° 84-16 du 11 janvier 1984 et n° 86-33 du 9 janvier 1986 permettent l’utilisation des listes complémentaires des concours pour pourvoir à de telles vacances jusqu’au début des épreuves du concours suivant pour la fonction publique d’État, ou jusqu’à l’ouverture du concours suivant pour la fonction publique hospitalière.

Dans la fonction publique territoriale, l’article 44 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 prévoit que les listes d’aptitude sont valables pour une durée de quatre ans à l’issue du concours. Afin de ne pas pénaliser les candidats dans leur recherche d’un employeur à la suite de leur réussite au concours et de permettre aux autorités organisatrices des concours de pour- voir aux vacances d’emplois constatées, le décompte de la période de validité de ces listes est suspendu pendant la période courant du 1er janvier au 30 avril 2021.

Dans la fonction publique de l’État, l’article 20 de la loi du 11 janvier 1984, précitée, fixe la date à laquelle les candidats aux concours doivent remplir les conditions d’accès à la date de la première épreuve, sauf mention contraire dans le statut particulier du corps concerné. Pour permettre aux candidats externes de justifier de l’obtention des titres et diplômes requis et ainsi préserver leur faculté de concourir, il est nécessaire de continuer à prévoir une date ultérieure, laquelle est en tout état de cause plus favorable aux candidats. Ainsi, pour les concours ouverts pendant la période courant du 1er janvier au 30 avril 2021 inclus, les conditions d’accès devront être remplies à la date d’établissement de la liste classant par ordre de mérite les candidats déclarés aptes par le jury.

 

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Négociations – Sous la pression des ordonnances « Covid »

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 663

EN AUVERGNE-RHÔNE-ALPES, PRÈS DES DEUX TIERS DES NÉGOCIATIONS AUXQUELLES LA CGT A PARTICIPÉ AURAIENT PERMIS D’OBTENIR DES AVANCÉES OU DE LIMITER LE POUVOIR DES EMPLOYEURS

Avec la loi d’urgence sanitaire et la promulgation, le 25 mars 2020, de l’ordonnance « temps de travail » (congés payés, durée du travail, jours de repos…), c’est en mode « confiné » que la négociation collective s’est poursuivie pendant la crise sanitaire : le plus souvent à vitesse express, à distance, avec des syndicats eux-mêmes isolés. Avec la possibilité, par accord, d’imposer les dates d’une partie des congés payés ou, par décision unilatérale, la prise de jours de repos (Rtt, jours prévus dans les conventions de forfait…), les employeurs se sont rapidement  emparés  de  ces  nouvelles « opportunités ». Pour la seule région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura), ce sont ainsi 797 textes ou décisions unilatérales liées à l’ordonnance du  25 mars  2020 qui ont été instruits par les services de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) entre le 17 mars et le 10 juin.

La Cgt de la région Aura s’est plongée dans la réalité de ces textes pour conduire une analyse sur « la négociation collective sous épidémie ». Elle en résume ainsi la démarche : si l’étude s’attache particulièrement à envisager la place de la Cgt dans les processus de négociation, il s’agit de démontrer son « efficacité, sans pour autant cacher les faiblesses, voire les contradictions qui peuvent exis- ter […]. Si les critères d’évaluation retenus nous sont favorables tant mieux, s’ils ne le sont pas tant pis ». Pour qu’il soit représentatif (taille de l’entreprise, unité signataire, département, types de signataires…), la Cgt Aura a retenu un échantillon de 153 textes. Ils couvrent environ 45 000 salariés, soit 1,5 % des effectifs de la région. La Cgt a été présente dans environ 30 % des processus d’élaboration des textes, précise le rapport, qui met toute- fois en garde contre la possibilité d’une marge d’erreur. Comme pour les autres organisations syndicales, son implantation est contrastée. Absente dans les entreprises de moins de 20 salariés du panel, la Cgt est surtout représentée dans celles d’au moins 1 000 salariés. Sans sur- prise, c’est dans les entreprises de grande taille que l’on trouve le plus d’accords.

Cinq grands thèmes de négociation

Premier thème de négociation : le repos au sens large – recouvrant les congés payés imposés, la  durée  minimale  ou le repos dominical – représente, avec 133 textes, 87 % du panel. Ce sont les congés payés imposés qui constituent l’essentiel des textes, l’ordonnance imposant dans ce domaine un accord d’entreprise ou, à défaut, de branche. Si, le plus souvent, les accords en sont un simple « copié-collé », trois ont pu limi- ter le nombre de jours imposés. La Cgt a participé à deux de ces négociations ; le troisième texte a été négocié avec un Cse. S’agissant du délai de prévenance, la plupart des accords (76) reprennent la possibilité ouverte par l’ordonnance, à savoir un délai établi à un jour franc après accord soit collectif, soit directe- ment entre les salariés et l’employeur dans les petites entreprises. D’autres sont parvenus à limiter cette possibilité, voire à maintenir ce délai à trente jours (1 seul accord). Dans ces hypothèses, la Cgt était présente dans quatre des six négociations.

Autre thème de négociation : les arrêts avec, comme sujet principal, l’activité partielle, dont le recours a été individualisé. Si dix textes ont prévu une compensation de l’employeur afin d’indemniser en totalité les salariés, six imposent des contreparties aux salariés. La Cgt Aura note « des mécanismes de compensation assez originaux ». Parmi eux : un « pot commun » auquel contribuent cadres, ingénieurs et techniciens pour augmenter l’indemnité des autres salariés dans une entreprise de la métallurgie. Alors que la santé et la sécurité sont très peu traitées, notamment pour  la  mise en place des gestes barrières (3 textes), davantage de textes concernent les autres thèmes mis en évidence : la rémunération – essentiellement les primes – et le travail. Sur ce dernier point, six textes portent sur la continuité de l’activité ; sept organisent le télétravail ou pré- voient d’y recourir. Si ce chiffre peut paraître faible, c’est à la fois en raison de l’existence d’accords antérieurs et de la mise en place de cette organisation du travail souvent en mode dégradé, en dehors de tout cadre formalisé.

Référendum, accord collectif et qualité des textes

Comment évaluer la qualité de ces textes ? Dans la mesure où les ordonnances sont dérogatoires au droit du travail, réduisant les droits des salariés, leur « contenu ne saurait en aucun être jugé satisfaisant », pose en préalable la Cgt Aura. Elle a choisi un indicateur : le caractère « plus protecteur que les ordonnances ». Ce critère est assuré « dès lors que l’accord permet des avancées supplémentaires pour les salariés ou qu’il limite le pouvoir patronal ». Premier enseignement : les textes les moins protecteurs sont ceux adoptés par le biais de référendums, ce qui est le cas pour 73 % des textes adoptés dans les entreprises de moins de 11 salariés.

Second enseignement : la présence d’organisations syndicales n’est pas un gage de « qualité » avec, notamment, « des accords qui vont plus loin que les ordonnances en matière de reculs sociaux ». Le rapport cite un exemple : la conclusion d’un accord imposant aux salariés en quatorzaine de poser des congés durant cette période ; ou ouvrant la possibilité de déroger aux durées maximales du travail. Dans ce contexte, quel a été l’apport de la présence de la Cgt dans le processus de négociation ? Dans plus de deux tiers des cas, montre-t-il en substance, cela a permis d’obtenir des avancées pour les salariés et de limiter le pouvoir patronal, soit directement, soit en accompagnant des élus ou mandatés. Au total, 31 textes sur les 45 étudiés entrent dans ce cadre, alors que ce nombre tombe à 17 dans le cas d’accords conclus par d’autres organisations syndicales que la Cgt.

Christine LABBE

* « La négociation collective sous épidémie, rapport d’étude d’accords Covid », coordonné par Thierry Achaintre, Stéphane Bochard et Dorian Mellot, Cgt Aura, novembre 2020. En savoir plus sur  https://www.cgt-aura.org/

 

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Syndicalisme – Nouvelle App chez Google

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 663

L’ENTREPRISE DE TECHNOLOGIE EST MONDIALEMENT CONNUE AUSSI POUR DÉCOURAGER TOUTE TENTATIVE DE CONSTRUCTION SYNDICALE. POURTANT, PLUS DE 200 SALARIÉS D’ALPHABET, LA MAISON- MÈRE, VIENNENT DE RELEVER LE DÉFI.

On l’oublie trop: le syndicalisme est avant tout une affaire de femmes et d’hommes aux prises avec leur quotidien. Chez Alphabet, à Mountain View, Californie, le rôle de la femme aura été tenu par une chercheuse en intelligence artificielle. Timnit Gebru avait eu la naïveté de critiquer l’existence de biais raciaux dans les modèles algorithmiques de l’entreprise. Son licenciement, en décembre, a confirmé deux choses : la  première c’est qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Google ; la seconde, c’est que ses sujets ne le supportent plus.

Avant ce licenciement, déjà, les salariés avaient obtenu, après une série de mouvements de contestation, le report puis l’abandon de deux projets qui concernaient non plus les produits de l’entre- prise, mais leurs usages. À l’automne 2018, dans un contexte déjà tendu, la direction d’Alphabet avait choisi de se débarrasser de deux top managers accusés de harcèle- ment sexuel en leur offrant un parachute doré à hauteur de 10 millions de dollars. L’affaire avait viré au scandale et une semaine plus tard, quelque 20 000 salariés de Google avaient débrayé aux côtés de leurs collègues de Waymo, de Verily et d’autres compagnies d’Alphabet partout dans le monde. Parmi les pancartes des manifestants, l’une d’elles – qu’on peut traduire par « À entreprises déloyales, produits biaisés » – établissait un lien explicite entre la maltraitance des salariés et le processus de création.

L’organisation en syndicat de 227 salariés de la maison-mère de Google n’est pas

sans précédent : un an avant, les sala- riés de Kickstarter, une plateforme de financement participatif, avaient formé un syndicat, suivis par ceux de Glitch. L’Alphabet Workers Union entend affronter un employeur dont les pratiques sont très éloignées de l’image lumineuse et consensuelle que les Gafam aiment donner d’elles-mêmes : espionnage des salariés, menées répressives à l’encontre des « meneurs »…

Nous voulons contribuer à rendre ce monde meilleur

Dans une tribune publiée dans le New York Times, les ingénieurs Parul Koul et Chewy Shaw, présidente et vice-président de ce nouveau syndicat, mettent en avant le gouffre entre  ces  menées  patronales et « l’entreprise que nous voulons » : « À maintes reprises, les chefs de l’entreprise ont fait passer les bénéfices avant nos pré- occupations. Nous nous unissons – intérimaires, fournisseurs, sous-traitants et employés à temps plein – pour créer une voix unifiée pour les travailleurs. Nous voulons qu’Alphabet soit une entreprise où les travailleurs aient leur mot à dire sur les décisions qui nous concernent et les sociétés dans lesquelles nous vivons.»

Cette profession de foi témoigne d’abord d’un constat : face à la permanence des pratiques des employeurs, il faut opposer une force qui, elle aussi de façon permanente, garantisse les intérêts des travailleurs. Cette volonté s’étend à la revendication de peser sur leur propre travail, d’en rester maîtres. Ce faisant, elle s’inscrit dans la conception d’un syndicalisme de contre-pouvoir et non pas simplement de contrepoids, comme c’est souvent le cas dans la tradition anglo- saxonne. Cette ambition n’est pas hors sol et se nourrit de préoccupations bien concrètes. On le mesure au fait qu’elle se déclare ouverte aux salariés à temps partiel et aux employés des sous-traitants d’Alphabet, lesquels avaient obtenu des requalifications de leur traitement, ainsi qu’un congé parental et une assurance maladie.

La suite reste évidemment à considérer, sachant que la firme de Mountain View n’apprécie guère qu’on lui force la main, singulièrement par la création d’une organisation syndicale. L’affaire en tout cas, devrait retenir l’attention du syndicalisme dans le monde. Dans leur tribune, les deux responsables syndicaux rappellent que lorsque leur  entreprise est entrée en Bourse, en 2004, elle avait promis de « faire des choses bien pour le monde même s’il faut pour cela oublier le profit à court terme ». Ils soulignent qu’aujourd’hui Alphabet est une entre- prise puissante, responsable de larges secteurs de l’Internet. Elle est utilisée par des millions de personnes dans le monde et porte la responsabilité de prioriser l’intérêt général. Elle a également, vis-à-vis de ses milliers de travailleurs et de ses millions d’utilisateurs, « la responsabilité de contribuer à rendre le monde meilleur. Comme travailleurs d’Alphabet, nous pouvons aider à construire ce monde ».

Louis SALLAY

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Santé Mentale – Étudiants à bout de souffle

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LES SERVICES DE SANTÉ UNIVERSITAIRE NE SONT PAS DIMENSIONNÉS POUR PRENDRE EN CHARGE LES ÉTUDIANTS DONT L’ÉTAT PSYCHOLOGIQUE EST EN FORTE DÉTÉRIORATION. CETTE SITUATION EST RÉVÉLATRICE D’UNE ABSENCE DE RÉPONSE À LA HAUTEUR DES BESOINS, INDÉPENDAMMENT DE LA CRISE SANITAIRE.

« Il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 », reconnaissait Emmanuel Macron il y a quelques mois. Il ne suffira pas de recruter quelques dizaines de psychologues ou d’assistantes sociales supplémentaires pour prévenir et traiter les états de détresse psychologique. Il faudra sérieusement s’attaquer à l’isolement des jeunes et à la précarité étudiante.

Lorsque l’écrivain et professeur américain Rick Moody s’apprête à enseigner à distance, au printemps dernier, il dit penser d’abord à ses étudiants : « Dans la panique, coincés chez eux, restreints dans leur autonomie, probablement voués à partir sans cérémonie de diplôme, enfermés dans une vidéo de la taille d’un timbre-poste plusieurs heures par jour […]. Je les ai salués d’un coup de coude pour la dernière fois, écrit-il. Et puis, ils n’étaient plus là…» 1 Si les plus chanceux, depuis la mise en place du deuxième confinement, peuvent encore se déplacer dans leur établissement pour les enseignements pratiques, ils sont pour beaucoup assi- gnés à résidence chez leurs parents, isolés dans leur logement ou en chambre universitaire. Quiconque a vécu à leur côté a pu observer leur rituel de travail : lever au dernier moment pour suivre des cours interminables sur une plateforme numé- rique, vision en timbre-poste effective- ment, parfois assis à leur bureau, parfois calés au fond du lit, en mal de concentration au fil de la journée et moral en berne en soirée. « Nous voulons éviter une troisième vague qui serait une vague de la santé mentale pour les jeunes et les moins jeunes », affirmait à l’automne Olivier Véran, ministre de la Santé, en visite sur une plateforme d’écoute. Et… donc ?

Stress, anxiété, dépression : une détresse vécue en silence

C’est que le moral en berne n’est pas la manifestation la plus inquiétante de l’état de santé des jeunes. Stress, anxiété, dépression… les alertes viennent de toutes parts : des parents, des professionnels de santé, des professeurs, des présidents d’université, des syndicats étudiants, du réseau associatif. Faute d’évaluation systématisée de la santé mentale des étudiants, on pourra, comme le font deux universitaires sur The Conversation 2, pointer la difficulté à mesurer précisément le  phénomène ou s’interroger sur la définition de la

« santé mentale ». Mais toutes les études publiées ces derniers mois convergent pour mettre en évidence une détérioration du « moral » des jeunes, nourrie en particulier par le  sentiment  d’isolement et la précarité. Celle de l’Observatoire de la vie étudiante a ainsi établi à 31 % la prévalence de la détresse psychologique des étudiants confinés, contre 21 % dans une étude menée en 2016. Réalisée auprès de plus de 69 000 étudiants inscrits dans 70 universités françaises, celle du Centre national de ressources et de résilience (Cnrr) alerte dès le premier confinement : 27,5 % des étudiants déclarent un haut niveau d’anxiété, 24,7 % un stress intense, 22,4 % une détresse importante, 16,1 % une dépression sévère et 11,4 % disent avoir des idées suicidaires.

Une détresse vécue le plus souvent en silence, dans un contexte global, en outre, de non-recours aux soins, même si un dispositif de prise en charge des étudiants est présent sur les campus. Celui-ci repose essentiellement sur les 57 services de santé universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps), auxquels il faut ajouter des structures œuvrant dans l’environnement des universités : centres médico-psycho- logiques, services des Crous, bureaux d’aide psychologique universitaire. Mais ces services ne semblent aujourd’hui pas en capacité de remplir leur mission, en dépit des efforts déployés par leur personnel : « Ils ne sont pas dimensionnés pour faire face aux besoins des étudiants, particulièrement en matière de santé men- tale. L’ensemble des associations représentatives des étudiants font ainsi état d’une raréfaction des créneaux de consultation disponibles », montre, à la mi-décembre 2020, le rapport de la commission d’en- quête parlementaire « pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse ».

Il serait pourtant faux de dire que rien n’est fait par la puissance publique, avec notamment un doublement des capacités d’accompagnement psychologique dans les services de santé, ou le déploiement de 1 600 référents étudiants dans les cités universitaires. C’est certes utile et bien- venu, mais largement insuffisant.

Un seul psychologue pour presque 30 000 étudiants

Les services de santé universitaires étaient, en effet, déjà surmenés avant la pandémie : « Notre pays accuse un retard considérable en matière de santé men- tale étudiante », dénonce ainsi, dans une tribune 3, un collectif de présidents et vice-présidents d’université, de médecins directeurs des services de santé et d’élus étudiants. Parmi les signataires de cette tribune, Nightline France, un ser- vice d’écoute nocturne assuré par des étudiants eux-mêmes, a enregistré une augmentation du nombre d’appels de l’ordre de 40 % depuis la rentrée universitaire. Dans une note « En parler, mais à qui ? », l’association tente de mesurer ce retard français en s’appuyant sur des données collectées dans huit pays européens mais aussi au Canada, en Australie ou aux États-Unis. Et met en évidence des ressources humaines sans rapport avec la population  étudiante,  déconnectées   de la réalité des besoins : l’équivalent temps plein travaillé (Etpt) de psychologues est ainsi jusqu’à 18 fois moins élevé que dans les autres pays recensés. Il s’établit à un psychologue pour 29 880 étudiants, contre 1 500 aux États-Unis ou 7 300 en Autriche, très loin des recommandations internationales fixées à 1 Etpt de psychologue universitaire pour 1 500 étudiants. Comment,

« lorsqu’on est seul face à tant, envisager de soutenir une population en détresse ? » s’interroge le collectif, en faisant explicitement référence aux résultats de l’étude I-Share, seule étude longitudinale d’envergure en France (20 000 étudiants) : en 2019 déjà, 22 % d’entre eux disaient avoir eu des idées suicidaires, indépendamment donc de la crise sanitaire.

Des moyens matériels et humains à tous les niveaux

« Il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 », reconnaissait Emmanuel Macron il y a quelques mois. Et après ? Il ne suffira pas de recruter quelques dizaines de psychologues ou d’assistantes sociales supplémentaires pour prévenir et traiter les états de détresse psychologique. Ou, « si la situation sanitaire le permet», d’autoriser une reprise des cours « en présentiel » en ce début d’année 2021 pour répondre à la situation d’étudiants en grande vulnérabilité, après la concertation initiée par la ministre de l’Enseignement supérieur.

« La crise de la santé mentale étudiante précède le Covid-19, elle ne s’éteindra pas avec lui », préviennent avec gravité les auteurs de la tribune. En amont, il faudra sérieusement  s’attaquer  à  l’isolement des jeunes et à la précarité étudiante, puissants carburants de leurs multiples fragilités, matérielles, sociales ou psychologiques, comme le montrent notamment, année après  année,  les  enquêtes de l’Observatoire de la vie étudiante (voir ci-contre).

Il faudra aussi, dans l’immédiat et à plus long terme, remettre des moyens financiers, humains et matériels à tous les niveaux et à la hauteur des besoins : pour recruter des professionnels de santé universitaires, notamment des psychologues, sur des postes stables ; pour revaloriser les métiers et les carrières de manière à les rendre plus attractifs ; pour s’appuyer sur des équipes administratives suffisamment dotées ; pour accueillir et soutenir les jeunes dans des locaux adaptés et mieux les informer sur leurs droits… C’est en consentant cet effort que l’État pourra assurer l’une des missions de l’enseigne- ment supérieur, inscrite dans la loi de 2013 : l’amélioration des conditions de vie étudiante, qui ne peut faire l’impasse sur une prise en charge sérieuse de la santé mentale des jeunes.

Christine LABBE

https://journaloptions.fr/2021/01/ecole-les-conditions-de-la-democratie/

https://journaloptions.fr/2021/01/sante-mentale-etudiants-a-bout-de-souffle/

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Confiance : de quelle crise parle-t-on ?

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Si la méfiance des Français à l’égard du vaccin contre le coronavirus semble s’estomper, reste un discrédit hors pair dans
l’Hexagone pour les institutions. Pistes pour comprendre.

ENTRETIEN AVEC CLAUDIA SENIK, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE À LA SORBONNE ET À L’ÉCOLE D’ÉCONOMIE DE PARIS. A DIRIGÉ L’OUVRAGE COLLECTIF CRISE DE CONFIANCE? (LA DÉCOUVERTE, NOVEMBRE 2020).

Paradoxe : la confiance de la société dans la science a été entamée par la transparence. Les débats publics télévisés entre scientifiques, journalistes et hommes politiques ont créé l’impression illusoire que chacun pouvait se faire son opinion sur des questions scientifiques.

Options : Après avoir été parmi les plus rétifs à la vaccination, les Français semblent se laisser convaincre. Comment l’expliquez-vous ?

Claudia Senik : La confiance est un sentiment qui ne se conçoit pas dans l’absolu. Si l’opinion des Français évolue à ce sujet, sans doute est-ce parce que la question qui se pose désormais n’est plus d’accepter ou non de se faire vacciner, mais d’y parvenir. L’épidémie commence à avoir des conséquences vraiment néga- tives sur le moral des Français. Et cela dans un contexte où les gens ont compris que le vaccin mutait, que des variants plus contagieux apparaissaient  ici  et là, et qu’il était donc urgent de stopper cette épidémie par la vaccination et son résultat, l’immunité Après les scandales qui ont éclaté ces der- nières décennies autour des laboratoires pharmaceutiques, on peut comprendre que les gens aient non pas une hosti- lité de principe vis-à-vis des vaccins, mais une prudence relative, comme le note le sociologue Alexis Spire dans l’ou- vrage que nous venons de publier à La Découverte. Au-delà, peut-être faut-il aussi s’arrêter sur la confusion qui s’est installée ces dernières années entre ce qu’est la recherche scientifique et ce qu’est la science.

– C’est-à-dire ? Quelle différence faites- vous entre ces deux notions ?

– La recherche avance avec des méthodes rigoureuses, mais sans garantie de suc- cès. Avant d’arriver à un savoir qu’on pourra mettre en application, il faut chercher, expérimenter, tester, vérifier. Il faut tâtonner, prendre du temps. Et c’est à cette réalité que nous avons été confrontés ces derniers mois, avant que n’émergent des vaccins capables de lutter contre la pandémie. Les gens ont cru que l’incertitude qui caractérise l’étape de la recherche, tant que les résultats ne sont pas validés par la communauté scientifique, s’étendait aussi aux savoirs établis par la science. Ces dernières années, la confiance de la société dans la science a été entamée par la transparence – ce qui est paradoxal, car la transparence est aussi une condition de la confiance. Plus récemment, il y a eu tous ces débats publics télévisés entre scientifiques, journalistes et hommes politiques qui ont créé l’impression – illusoire – que chacun pouvait se faire son opinion sur des questions scientifiques.

– Comment expliquez-vous néanmoins que la France se distingue par un manque de confiance dans les institutions ?

– Attention, la France n’est pas unique en la matière. Le discours de défiance s’étend aujourd’hui à tous les pays et vise tout ce qui peut sembler légitimer une forme de domination d’une « élite » sur le reste de la population, qu’il s’agisse du savoir scientifique, de l’expertise, ou du pouvoir poli- tique ou médiatique. L’élection de Donald Trump en a été l’illustration ultime. Mais, c’est vrai, ce constat est encore plus vrai en France. En avril, l’institut de sondage OpinionWay a réalisé une étude sur l’état d’esprit des Européens. Après un mois de confinement, le niveau de confiance des Français à l’égard des institutions, qu’il s’agisse de l’Assemblée nationale, du gouvernement ou de l’Union européenne était de 10 à 20 points inférieur à celui enregistré en Allemagne ou en Grande- Bretagne. La méfiance y était le premier sentiment affiché, avant la « morosité », la « lassitude » et la « peur ». Le pourcentage de ceux qui l’affirmaient (38 %) était sans commune mesure avec celui affiché outre-Rhin (10 %) ou outre-Manche (8 %).

– De quoi cette réalité s’alimente-t-elle ?

– De multiples facteurs entrent en ligne de compte. À la base, pèse en France plus fortement qu’ailleurs le regret que l’État ne soit plus en capacité de protéger les citoyens face aux risques que font peser la mondialisation, la concurrence et les changements technologiques. La France est un pays très vertical, hiérarchisé, où le pouvoir central est investi d’un rôle que l’on retrouve peu ailleurs. Ici, les citoyens n’ont pas l’habitude de compter sur les solidarités de voisinage ou communau- taires pour faire face à l’adversité, contrai- rement aux États-Unis par exemple. Et on en retrouve la trace dans l’étude que je viens de signaler. Aux personnes son- dées a aussi été demandé si elles avaient « confiance dans les gens ». Résultat : deux tiers des Français ont répondu que l’on n’est « jamais assez prudent quand on a affaire aux autres », contre la moitié en Allemagne et un petit moins encore au Royaume-Uni… Lorsque la confiance est fondée sur la délégation, elle s’effondre dès que les institutions faillissent ou ne parviennent pas à remplir leurs fonctions, voire paraissent injustes ou arbitraires.

Quel rôle jouent les réseaux sociaux en la matière ? Diriez-vous qu’ils ont une forte responsabilité ?

A priori, en rendant plus percep- tible le profil de son interlocuteur, les réseaux sociaux devraient encourager la confiance. Ce n’est pas le cas. Tout d’abord parce qu’ils encouragent l’entre-soi et entravent le débat, favorisant la polari- sation des opinions. Ensuite parce qu’ils laissent supposer que tout peut se savoir en un clic, que la répétition des faits équi- vaut à leur démonstration scientifique. Le narratif l’emporte sur le reste. Si l’infor- mation proposée est bien tournée, elle a la même valeur que celle que peuvent livrer des équipes de recherche. En elle- même, la technique n’est pas en cause. Les travaux de Roxana Ologeanu-Taddei, maîtresse de conférences à l’université de Montpellier, montre par exemple que les progrès de l’intelligence artificielle n’ont pas entamé le crédit que le malade accorde au soignant de proximité qu’est le médecin. Ce qui est en cause, c’est autre chose : le rapport à la connaissance que les réseaux sociaux engendrent.

En rachetant la dette des États, la Banque centrale européenne a démontré ces derniers mois que la responsabilité à l’échelle continentale pouvait ne pas être un vain mot. Restaurer la confiance implique de redonner sens à un modèle fondé sur le collectif, la lutte contre l’arbitraire et les injustices.

– Leurs utilisateurs n’ont-ils pas les moyens de mettre les informations à distance ?

– Il faut croire que non. Les expériences scientifiques passées montrent que nous avons tendance à croire les énoncés qui nous sont présentés, du moment qu’ils sont plausibles, ainsi que l’assure la philosophe Marion Vorms. Une information reçue, même si elle se trouve ultérieure- ment démentie ou voit sa source discréditée, continue à exercer une certaine influence sur nos raisonnements et nos décisions…

– Diriez-vous que la défiance entame le fonctionnement démocratique des institutions ?

– Une société ne peut se fonder sur une méfiance généralisée. Si la vigilance constitue un élément essentiel de la démocratie, la méfiance, elle, est toxique. Elle l’est parce que, lorsqu’elle s’impose, il ne peut plus y avoir de bien public. Il ne peut y avoir d’impôt pour financer les systèmes de protection sociale, les services publics tels que la justice, la santé ou l’éducation. La confiance est indispensable au contrat social. Elle est indispensable aux relations internationales et à la paix. L’activité économique ne peut se concevoir sans elle. L’historien Antony Hostein nous rappelle qu’à Rome étaient frappés sur les pièces de monnaies le mot fides (confiance) ainsi que l’image

de deux mains jointes pour souligner l’importance, dans l’activité, de l’accord passé entre deux individus. La confiance suppose des acteurs qui y adhèrent, un système légal qui conforte un état de droit et une morale qui fasse internaliser ces règles et leur donne corps. La chose est exigeante. Mais elle est la condition de la démocratie. Dans un monde incertain, c’est la condition pour s’assurer du com- portement coopératif d’autrui. C’est la condition pour faire société.

– Sinon ?

– Sinon triomphe la violence.

– Quel antidote à cela ?

– Pour exister, la société a besoin d’un projet commun. En rachetant la dette des États, la Banque centrale européenne a démontré ces derniers mois que la responsabilité à l’échelle continentale pouvait ne pas être un vain mot. Restaurer la confiance implique de redonner sens à un modèle fondé sur le collectif, la lutte contre l’arbitraire et les injustices. C’est aussi dans le rapport concret aux institutions que se forge, ou non, la confiance. Si en France, comme au Royaume-Uni ou en Allemagne d’ailleurs, ce sont les hôpitaux qui bénéficient de la confiance la plus haute, c’est parce qu’ils tiennent leurs promesses. Ils continuent de soigner en accueillant sans distinction de statut ni de conditions sociales. La confiance se construit aussi au fil des pratiques sociales.

Propos recueillis par Martine HASSOUN

 

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Éditorial de Marie-José Kotlicki : Étudiants sacrifiés, avenir hypothéqué

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 663

En France, la pandémie déstabilise la jeunesse, entre décrochage universitaire, hausse de la précarité et détresse psychologique. Cette situation intolérable doit interpeller l’ensemble du corps social. La suppression des petits boulots étudiants, des stages, la mise à mal de l’alternance, la fermeture des universités avec un enseigne- ment à distance chaotique ont détérioré ses conditions […]

En France, la pandémie déstabilise la jeunesse, entre décrochage universitaire, hausse de la précarité et détresse psychologique. Cette situation intolérable doit interpeller l’ensemble du corps social.

La suppression des petits boulots étudiants, des stages, la mise à mal de l’alternance, la fermeture des universités avec un enseigne- ment à distance chaotique ont détérioré ses conditions de vie et sa capacité à étudier.

Le nombre d’étudiants salariés est monté en flèche depuis une dizaine d’années, et 74 % vivent une situation financière compliquée. En dix mois de Covid, les aides alimentaires ont explosé et le taux d’anxiété a été multiplié par deux. Pourtant, ni réforme des bourses ni augmentation substantielle de l’allocation étudiante n’ont été opérées. Aucun moyen supplémentaire n’a été octroyé aux Crous.

Alors que les classes préparatoires sont restées ouvertes, la fermeture des universités a été décrétée brutalement. Cette rupture du lien social a amplifié le sentiment d’isolement, attesté par une hausse sans précédent des  troubles psychologiques, alors qu’une étude récente a constaté une hausse majeure des troubles anxieux entre 2000 et 2010. En toile de fond, la compétition entre étudiants, en particulier sur les cursus les plus porteurs, engendre un stress de la performance. Le plan santé mentale du Premier ministre, lui, brille par son indigence avec un doublement des effectifs de psychologues universitaires, ce qui porterait leur nombre à 160 soit… un psychologue pour 17 000 étudiants !

Amphis bondés, appauvrissement des universités, creusement des inégalités entre facultés sont le résultat de réformes menées au pas de charge sans moyens pour faire face à l’augmentation des effectifs et à l’accroissement des niveaux de qualification.

Alors que la crise sanitaire ébranle des pans entiers de l’économie, mettant à mal les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, de la culture, cette indifférence risque d’hypothéquer encore plus notre avenir commun. Car casser le dynamisme de notre jeunesse et sa confiance dans l’avenir, c’est prendre le risque qu’elle aille le chercher hors de notre pays, aux dépens de ses capacités d’innovation.

C’est pourquoi la Cgt et son Ugict proposent un plan de relance pour l’enseignement supérieur et la recherche :

  • un programme de recrutement pour dédoubler les cours et exercer un véritable tutorat ; la titularisation des vacataires ; le financement des doctorants, comme dans d’autres pays européens ;
  • l’aide à la recherche du premier emploi ;
  • un service de santé à la hauteur des besoins, avec renforcement des moyens dévolus aux

C’est ce que porteront unitairement les enseignants-chercheurs et les étudiants en grève le 26 janvier, avant la journée interprofessionnelle d’action du 4 février.

Marie-José Kotlicki, COSECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L’UGICT-CGT DIRECTRICE D’OPTIONS

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Jurisprudence : obligation de formation du salarié

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 663

L’employeur a l’obligation de former chacun de ses salariés pendant toute la relation de travail, au regard de plusieurs dispositions légales
du Code du travail. La jurisprudence continue d’apporter des précisions au régime juridique applicable en matière de formation professionnelle continue.

par Michel CHAPUIS

Dispositions du Code du travail (article L. 6321-1) : l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occu- per un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.

Les actions de formation mises en œuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l’article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d’obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l’acquisition d’un bloc de compétences.

C’est ce qu’établit une jurisprudence de la Cour de cassation, chambre sociale, en date du  8 juillet  2020,  concernant le syndicat des copropriétaires de la Coudoulière représenté par son syndic, la société Marine immobilier.

Faits

Selon l’arrêt attaqué (la cour d’appel d’Aix- en-Provence, 9e chambre B, 13 décembre 2018), M. A., engagé le 2 novembre 1979 par le syndicat des copropriétaires de la copropriété La Coudoulière, et qui a occupé à compter du 1er novembre 1983, un poste d’employé d’immeuble, a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 13 août 2012.

Procédure

Contestant cette mesure, M. A. a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives tant à l’exécution qu’à la rupture de son contrat de travail. Pourvoi du sala- rié en cassation, contre l’arrêt de la cour d’appel qui l’a débouté de ses demandes. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de formation alors « qu’en sta- tuant par des motifs inopérants tirés de ce qu’il n’était pas établi que le salarié ne disposait pas des capacités nécessaires pour exercer ses fonctions d’employé d’im- meuble ni que ces dernières connaissaient des évolutions nécessitant une formation afin de lui permettre de continuer à les assurer de manière satisfaisante, alors qu’il était constant que de son embauche le 2 novembre 1979 à son licenciement le 13 août 2012, l’employeur n’avait fait bénéficier le salarié d’aucune formation en 33 ans, la cour d’appel a violé l’article L. 6321-1 du Code du travail ».

Réponse de la Cour

de cassation au pourvoi du salarié

Selon le texte du Code du travail, l’employeur :

  • assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail ;
  • veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des

Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manque- ment à l’obligation de formation, l’arrêt de la cour d’appel retient qu’aucun élément produit ne permet de retenir que le salarié ne disposait pas des capacités nécessaires pour exercer ses fonctions d’employé d’immeuble, ni que ces dernières connaissaient des évolutions nécessitant une formation afin de lui permettre de continuer à les assurer de manière satisfaisante.

Il ajoute que le salarié n’indique nullement avoir demandé à bénéficier d’une formation ni même avoir sollicité l’employeur de manière générale pour connaître les formations qui pouvaient lui être proposées.

En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors que le salarié soutenait, sans être contredit, qu’il n’avait bénéficié d’aucune formation durant sa très longue présence dans l’entreprise, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation casse et annule mais seulement parce qu’il déboute M. A. de sa demande de dommages-inté- rêts pour manquement à l’obligation de formation – l’arrêt rendu le 13 décembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Elle remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autre- ment composée.

Elle condamne le syndicat des copropriétaires de la Coudoulière » aux dépens.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, elle condamne le syndicat des copropriétaires de la Coudoulière à payer à M. A. la somme de 3 000 euros

À retenir

Le salarié obtient donc gain de cause : versement de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation de la part de l’employeur.

L’employeur a méconnu :

  • son obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail ;
  • son obligation de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organi-

Jurisprudence antérieure de la Cour de cassation

Cet arrêt complète la riche jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question importante de la formation profession- nelle des salariés :

  • Cour de cassation, chambre sociale, 13 juin 2019, association Ce services : la charge de la preuve de l’obligation d’assu- rer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veiller au respect de leur capacité à occuper un emploi, pèse sur l’employeur ;
  • Cour de cassation,  chambre  sociale, 12 septembre 2018, société d’exploitation de Bergevin – 30 ans ancienneté, deux L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à verser au salarié une certaine somme à titre d’indemnité pour non-respect de l’obligation de formation. La Cour de cassation répond : « attendu que l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au respect de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies  et des organisations, et que la cour d’appel ayant relevé que le salarié n’avait bénéficié, en trente ans, que de deux sessions de formation, dont l’une relative aux risques sismiques, et que seule la seconde relative à la communication avec la clientèle correspondait aux prescriptions de l’article L. 6321-1 du Code du travail, peu important que cette carence de l’employeur n’ait pas eu d’incidence sur l’exercice par le salarié de ses fonctions dès lors qu’il avait accédé au poste d’adjoint au directeur d’exploitation, elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision »
  • Cour de cassation, chambre sociale, 12 septembre 2018, société Freo France
  • 20 ans ancienneté, aucune La Cour de cassation répond : « le manquement, par l’employeur, à son obligation d’adapter le salarié à l’évolution de son emploi et à sa capacité d’occuper un emploi au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations cause au salarié un préjudice spécifique… »Cour de cassation, civile, chambre sociale, 5 juillet 2018, caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de Champagne- Bourgogne (Crcam) – 31 ans ancienneté, 17 formations de courte durée non qualifiantes : la Crcam (l’employeur) fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de la condamner à verser au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour « perte de chance faute de formation ». La Cour de cassation répond : « la cour d’appel a souverainement constaté que les dix-sept formations suivies par le salarié étaient de courte durée, toutes afférentes au métier déjà exercé par le salarié, et que, malgré les appréciations favorables de sa hiérarchie relatives à sa capacité à évoluer vers un poste d’encadrement, ses demandes de participation à des formations permettant d’accéder à un niveau supérieur avaient toutes été refusées ; qu’elle a pu en déduire le manquement de l’employeur à son obligation de formation».

Cour de cassation, chambre sociale, 20 septembre 2017, Régie des trans- ports de Marseille. La cour d’appel : pour débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de for- mation, l’arrêt de la cour d’appel retient qu’il reproche à l’employeur de ne pas lui avoir assuré une formation profession- nelle et ainsi de ne pas lui avoir permis d’évoluer en vingt-cinq ans de carrière, qu’il ressort cependant des pièces pro- duites que le salarié a bénéficié d’une for- mation pour permettre sa reconversion en employé administratif, qu’il ne démontre pas que c’est en raison d’une absence de formation qu’il n’a pu obtenir par la suite des postes plus attractifs puisqu’il n’a plus sollicité de changement depuis 2001, qu’il n’a pas non plus demandé à bénéficier de Dif ou de Cif et qu’il ne démontre pas en quoi l’employeur aurait eu un comportement fautif. La Cour de cassation répond qu’en statuant ainsi, « alors que l’employeur a l’obligation d’as- surer l’adaptation du salarié à son poste de travail et de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi pendant toute la durée de la relation de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Ne sont pas retenus comme étant des arguments les éléments suivants soulevés par les employeurs :

  • le salarié occupe sans difficulté l’emploi pour lequel il a été recruté ;
  • l’emploi du salarié n’a pas évolué ;
  • le salarié n’a formulé aucune demande de formation ;
  • aucune demande de formation du salarié n’a été refusée par l’employeur