Historique et perspective du statut cadre

Intervention d’André Jaeglé dans de la table ronde du même nom lors du 17ème congrès de l’Ugict-CGT (2014).

Après avoir abordé la genèse du statut cadre et son actualité dans le droit du travail et les institutions, l’idée est de débattre du contenu d’un statut pour les cadres et techniciens, partie prenante du nouveau statut du travail salarié que revendique la CGT. Ce contenu devrait répondre à la double nécessité de participer à la construction de l’unité du salariat et à la mise en place de droits nouveaux liés au rôle et à la place des ICT dans le processus de travail.

Statut de cadre ? De quoi s’agissait-t-il ? Ou plutôt, de quoi aurait-il pu s’agir, à l’époque ?

Ce qui existait, avant tout, c’était l’Agirc. On n’en parlait pas comme d’un statut. Cotiser à l’Agirc c’était être cadre (dans le privé) et réciproquement. L’Agirc avait été créée en 1947 comme contrepartie de l’obligation pour tous les salariés y compris les cadres de cotiser au régime général de la Sécurité sociale.

Dans le privé on était cadre parce que c’était dans le contrat d’embauche : soit il y avait le diplôme décerné par une grande école. Et là, la dimension juridique c’était la Commission du titre d’ingénieur ; soit on était « passé cadre » par développement de carrière ? Ou par consentement mutuel à l’embauche au vu d’un CV, ou par relation familiale, etc.

A l’époque, la revendication d’un « statut de cadre » évoquait l’idée d’un « plus » au plan de la loi, une définition légale (ou peut-être conventionnelle) de ce que c’est qu’un cadre. Une sorte de garantie supplémentaire (ou réputée telle). L’Agirc ce n’était pas une loi mais une convention collective (14 mars 1947).
Je n’ai pas retrouvé de trace de ce sujet dans la collection (très incomplète) de « Travail et technique » qui était la revue publiée par le Cartel des cadres puis l’Ugic, à partir de 1946. Il faudrait consulter une collection du « Creuset ».

Dans la fonction publique il existait des statuts particuliers à l’intérieur du Statut général des fonctionnaires. Certains statuts étaient en fait des statuts de cadre. C’étaient les statuts de corps de fonctionnaires réputés corps d’encadrement. À l’Institut géographique national, nous avions un « corps des ingénieurs géographes » (fusionné depuis avec les ingénieurs des ponts et chaussées) avec un syndicat FO des ingénieurs géographes ; un corps des ingénieurs des travaux géographiques avec le syndicat FO correspondant ; même chose pour ce qu’on appelait alors des Adjoints technique et les Artistes cartographes et chacun leur syndicat FO. Cela faisait 4 syndicats FO. La CGT s’est créée à l’IGN en opposition au syndicalisme par corps, c’est-à-dire au syndicalisme catégoriel. Il a fallu du temps pour comprendre ce qui distinguait le spécifique du catégoriel.

Je ne me souviens pas des circonstances dans lesquelles la question du statut cadre est venue en débat. Mais lorsque elle a été évoquée au sein de la direction de l’UGIC, dans les années 60, elle a été vite réglée. On était contre. On était contre une loi définissant la qualification de cadre. Et cela nous paraissait évident ! A tous ! Il n’y avait pas débat. Dans la déclaration d’orientation adoptée par le Congrès constitutif en 1965, il y avait l’affirmation suivante : « Les ingénieurs, cadres et techniciens sont des salariés au même titre que les autres travailleurs, avec la particularité que les formes et les degrés de leur exploitation sont différents ». Une variation de degré, ça ne laissait guère de place à la définition d’un seuil, d’une limite rigide.

Cela n’avait pas de sens de vouloir un statut nous différenciant. D’ailleurs, une revendication essentielle dans le secteur privé était des conventions collectives extensibles, uniques de l’ouvrier à l’ingénieur et une valeur du point d’indice unique pour tous. Ce qui d’ailleurs a fait problème au sein de la confédération lorsqu’a éclaté le débat sur la hiérarchie des salaires.

On commençait à comprendre pourquoi le syndicalisme spécifique était différent, pour ne pas dire l’opposé, du syndicalisme catégoriel. L’exemple de ce dernier était (surtout) la CGC qui n’hésitait pas, à l’époque, à formuler des revendications allant à l’encontre d’autres salariés. Elle développait la notion de cadres comme catégorie charnière « coincée entre le patronat et les travailleurs ».

Je n’ai retrouvé aucune référence à cette question dans les deux premiers congrès de l’UGIC. En revanche, on trouve une intervention d’un ingénieur membre du GNC de la Fédération des Industrie de l’énergie (devenue la FNME), dans le 3ème Congrès, en 1969. Pierre Brana (une forte personnalité du GNC) dénonce dans son intervention la tentative de la CGC à EDF-GDF de décrire une limite entre les couches d’ITC et la classe ouvrière. Dans sa réponse, Le Guen (qui était le secrétaire général) dénonce la prétention de la CGC d’englober dans son champ de syndicalisation « l’ouvrier ayant une responsabilité, si minime soit-elle ».

Je précise que, malheureusement, je n’ai pas eu sous les yeux les textes eux-mêmes de ces deux interventions. Mais j’ai retrouvé dans les dossiers de ce 3ème congrès les synthèses de toutes les interventions que René Le Guen m’avait demandé de faire en vue d’une évaluation globale du congrès. Je mentionne cela de façon peut-être un peu prétentieuse mais c’est pour souligner l’hyper importance de la conservation des documents écrits et la constitution de dossiers.

En bref, le débat sur la revendication d’un statut de cadre était totalement lié, à l’époque, à  celui sur le syndicalisme catégoriel auquel nous opposions le syndicalisme spécifique.

J’ai dit « surtout la CGC » parce que la fonction publique connaissait aussi le syndicalisme catégoriel et là, c’était plutôt FO. Et il était facile de voir les dégâts occasionnés par cette conception dans le développement des luttes.

La revendication d’un statut cadre ne pouvait être comprise, je le répète, que comme la demande d’un texte ayant force de loi définissant qui est cadre et qui ne l’est pas, chose implicitement dénoncée au 3ème congrès. Cela ne pouvait qu’introduire à l’époque, la confusion dans tout ce qu’on disait par ailleurs. A l’intérieur de la CGT cela aurait brouillé l’image de ce que nous essayions de faire comprendre sur le contenu de la spécificité.

En outre et pour conclure sur la période de démarrage de l’Ugic, je rappellerai que la mise en œuvre de connaissances et d’expérience l’emportait de plus en plus le côté commandement. Un cadre n’était pas forcément un chef. C’était plutôt la variété des situations à l’intérieur de la spécificité qui appelait une réflexion de la part de l’Ugic… très vite devenue l’Ugict et non la recherche d’une séparation juridique.
Il serait intéressant de retrouver ce qu’on peut lire dans Options à ce sujet.

Je saute à l’année 1996, en mars, à Nantes : 12ème congrès de l’Ugict. La direction sortante avait décidé de soumettre au congrès un projet de modification de l’article 1 des statuts. Il s’agissait de définir qui entrait dans la catégorie ICT, sans doute avec l’idée d’impulser le rattachement à l’Ugict de trop nombreux adhérents affiliés à des syndicats généraux. Je ne me souviens plus des raisons qui avaient été avancées à l’époque pour justifier cette proposition mais je me souviens être intervenu pour qu’on renonce à cette proposition. La nouvelle rédaction de l’article introduisait une formulation - une fois de plus je n’ai pas le texte exact de l’amendement, mais j’ai conservé la lettre que j’ai adressée çà ce sujet au secrétariat de l’Ugict après le congrès - une formulation signifiant que la fonction de cadre comportait la « mise en œuvre des orientations patronales ou gouvernementales ». Le débat a été vif. C’est le moins qu’on puisse dire. D’autant que c’est l’année où les syndicats CGT d’enseignants se sont rapprochés de l’Ugict. Et eux, ils ne se définissaient pas du tout comme ça. Je ne vous fais pas un dessin. L’amendement a été retiré.

Mais cette formulation avait une histoire, elle aussi. Lorsque l’Ugic s’est reconstituée en 1963 et qu’il fallait convaincre les syndicats dans les entreprises ou les administrations que tous les cadres pouvaient adhérer à la CGT, et pas seulement les « bons cadres », ceux qui étaient sur les positions de la classe ouvrière et ne menaçaient pas de « faire suer le burnous », et que donc il fallait qu’ils aient leur propre syndicat d’entreprise.

La chose avait déjà été actée avant-guerre en 1937, notamment sous l’impulsion d’Ambroize Croizat dans la métallurgie et dans d’autres fédérations. Il nous a donc bien fallu inclure la reconnaissance des fonctions de commandement : on disait haut et clair que « un cadre ne se mutile pas en adhérant à la CGT ».

Il ne renonce pas à faire son métier de cadre avec ce que cela peut impliquer de coercition ou de situation conflictuelle. Et par-dessus le marché, on n’avait pas encore, à cette époque, tout-à-fait renoncé à une bataille d’idée consistant à poser le problème des ICT comme un problème d’alliance des couches moyennes avec la classe ouvrière.

On était loin du « laissez-nous bien travailler » de Marie-Jo et Jean-François.

 

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Publié dans Empreintes, bulletin de laison de l’IHS Ugict CGT (n°8, octobre 2014) :

Empreintes-8-oct2014

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