Industrie : Action pour le maintien du centre de recherche du SEITA

L’ACTION POUR LE DEVELOPPEMENT DU CERTTA/SCR ET LA CREATION D’EMPLOIS

Je suis arrivée au SEITA (Service d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes) en septembre 1964, embauchée au laboratoire de chimie du CERTTA (Centre de Recherches Techniques des Tabacs et Allumettes), à Fleury les Aubrais. C’était 2 ans après la mise en place du « nouveau statut » du personnel à la SEITA (que la CGT n’avait pas signé, car les retraites n’étaient plus garanties), qui avait transformé l’entreprise d’état en EPIC en 1962 et remplacé l’ancien statut d’entreprise d’état où une partie du personnel (les employés, agents de maitrise et cadres) était fonctionnaire, une autre partie (les ouvrier-e-s) étaient ouvriers d’état et une autre partie des ouvriers (des OS) étaient « temporaires », quelques fois depuis des années. L’objectif était soi-disant d’unifier « le statut du personnel ». Mais il fallait en permanence l’action syndicale pour mettre en œuvre et faire respecter les droits du personnel inscrits dans ce « nouveaux statut ».
J’étais toute jeune : j’avais 18 ans et j’étais munie d’un Brevet d’Etude Industrielle, diplôme à l’époque de la catégorie « technicien-ne ». C’était mon 1er travail. Le laboratoire de chimie était un labo de contrôle des fabrications françaises et de tous les produits vendus en France. Je me suis syndiquée pendant la grève de 1968. J’ai adhéré au SNCT-CGT : Syndicat National des Cadres et Techniciens CGT. Nous étions 2 techniciennes à y avoir adhéré. Avec les 2 autres techniciens déjà adhérents, nous étions 4 après la grève, et nous avons constitué une section du SNCT dont le responsable, « tout naturellement » a été un technicien… Notre section syndicale s’est transformée en syndicat UGICT plus tard… malgré l’opposition des OP… Qui ne voyaient pas d’un bon œil l’existence de « 2 CGT » … dont une échappait à leur pouvoir. Notre fédération n’a pas vu non plus d’un bon œil cette transformation qui était pourtant l’orientation de la CGT de supprimer les syndicats nationaux !
Au début de l’existence du CERTTA, c’était les OP qui dirigeaient les syndicats CGT et FO et aussi la Cellule d’entreprise du Parti Communiste… Comme dans tous les établissements du SEITA. C’étaient presque eux qui « dirigeaient » l’entreprise car s’ils se mettaient en grève, les machines ne pouvaient plus tourner : elles avaient besoin de réglages en permanence, sinon elles tombaient en panne. Ils étaient fiers de leur travail et fiers d’être « reconnus ». Ils avaient une position dominante dans l’entreprise (c’était encore plus vrai dans les manufactures de production), les OP étaient appelés les « Seigneurs » … Ce qui ne comportait pas que des connotations laudatives. Mais cette situation n’a évidemment pas duré… Car les directions ont su « moderniser » pour transformer les rapports de force ! Progressivement, dans l’affrontement d’idées et le débat, la direction du syndicat CGT a changé : un OS, puis une femme aide de laboratoire.
Le CERTTA, avant d’être une entreprise à part entière était un atelier spécialisé à l’intérieur de la Manufacture d’Orléans où s’élaborait « la modernisation de l’entreprise ». C’est dans cet atelier qu’a été inventée après la 2ème guerre, la technique de fabrication des cigarettes par aspiration du tabac sur la bande de papier, pour former un boudin de tabac qui ensuite était sectionné en cigarettes. Cette technique « révolutionnaire » a permis d’accroitre progressivement la vitesse de fabrication des cigarettes. Lorsque j’étais enfant, je me souviens d’avoir vu une de ces machines à la foire exposition d’Orléans. A cette époque le SEITA était fier de ses inventions et les exposait ! D’autres technologies ont été inventées dans cet atelier, quelques fois contestées par le personnel…
Lorsque la direction du SEITA a décidé de donner plus d’importance à la recherche technique, pour moderniser l’entreprise, le Centre de Recherches Techniques des Tabacs et Allumettes a été construit à Fleury les Aubrais, à quelques kilomètres de « la Manu », et en bordure de la voie de chemin de fer. C’est une partie du personnel, principalement ouvrier-e-s, qui y est venue par mutation, à l’ouverture en 1952. Ensuite le personnel a progressivement augmenté par recrutement. L’ingénieur, Francis Bonnéric, responsable de cet atelier de recherches techniques était devenu le directeur du CERTTA, dont l’inauguration avait eu lieu en 1954. Pour ce qui concerne le service où je travaillais, le Laboratoire de Chimie, c’est un service délocalisé de la Direction Générale qui est venu s’y installer en 1962 (1 ingénieur, 5 technicien-ne-s, 1 aide de labo) et qui s’est progressivement développé avec des embauches chaque année, principalement des jeunes femmes diplômées comme moi du BEI, puis du BTS. Il existait en plus, dans l’établissement un service « Formation » où étaient regroupés chaque semaine des stagiaires, (les jeunes agents de Maîtrise, techniciens et ingénieurs venus de toute la France, pour se former à leur métier, à l’évolution des technologies) ou salariés faisant une promotion professionnelle. Curieusement les jeunes techniciennes du labo chimie n’y avaient jamais accès. Il a fallu toute une bataille, principalement en s’appuyant sur les lois de 1971 pour que nous puissions aller en formation, acquérir nous aussi des connaissances sur le tabac, et comprendre à quoi servait notre travail. Après une période de déclin, à partir de 1990, ce Centre de formation a fermé en 1999.
En 1952, à la création du CERTTA aux Aubrais, son rôle était de faire « faire des économies à l’entreprise ». C’était ce que la direction affirmait. L’objectif c’était la modernisation, l’innovation, l’invention de nouvelles technologies pour rentabiliser, augmenter le nombre de cigarettes fabriquées à la minute … en supprimant du personnel et en fermant les manufactures les plus anciennes, qui n’avaient jamais été modernisées, ni adaptées aux nouvelles technologies de fabrication et dont les embranchements SNCF avaient été supprimés. Le personnel y travaillait comme au 19ème siècle ! Des brevets étaient déposés, mais beaucoup d’inventions allaient à la casse… ce qui faisait dire à nos camarades OP que « les ingénieurs étaient des bons à rien » … De mon point de vue, la réalité était tout autre : il fallait que les « inventions « soient « rentables » et permettent de supprimer du personnel ! Cela nous a semblé évident lorsque le SNCT, puis l’Ugict, ont décidé de « mettre les pieds dans le plat ». Quand nous avons commencé à contester l’abandon de certaines « inventions », la direction a fait travailler « au secret », il ne fallait surtout pas que la CGT soit au courant de ce qui « s’inventait » … et était destiné à la casse ! La recherche technique qui était impulsée n’a jamais porté sur l’ergonomie ni l’amélioration des conditions de travail… ce que nous dénoncions et nous faisions des propositions en ce sens. A la création du CERTTA, un atelier de fabrication important permettait de faire les essais de fabrication grandeur nature et de mettre au point les évolutions technologiques avant leur implantation dans les usines.
En 1964 il y avait encore plusieurs Centre de recherches au SEITA : à la Direction Générale à Paris, à Saumur, à Bergerac et aux Aubrais, chacun spécialisé dans un domaine. Au CERTTA, c’était la recherche Technique. Au fur et à mesure de la fermeture des autres Centre de recherches, les activités étaient regroupées aux Aubrais, principalement dans le labo de chimie, mais pas pour se développer : pour se transformer. Cela lui faisait prendre de l’ampleur au fil du temps. Cela a conduit à ramener de la DG, au labo de chimie des Aubrais, le secteur « Recherche » sur la connaissance de la composition du tabac et de la fumée.
Nous menions le combat syndical sur plusieurs terrains : contre les directives européennes dont l’objectif était la privatisation « des Tabacs » en Europe, contre les abandons d’activités, pour des embauches et liant tout cela avec la défense des revendications salaires/classifications et des conditions de travail. Nous dénoncions l’insuffisance du budget de la recherche au SEITA, par rapport à nos concurrents et sa régression, ainsi que l’argent accumulé qui aurait pu servir à moderniser et développer le SEITA, devenu la SEITA, Société d’Exploitation des Tabacs et Allumettes, après la tentative ratée de Giscard en 1980 de le privatiser et la décision du gouvernement socialiste de ne pas revenir à notre statut de 1962 : loi Fabius de 1984, accompagnée d’une Convention d’Entreprise en 1985, au lieu du statut, permettant la privatisation quelques années plus tard !
C’était un combat très difficile dans un milieu traditionnellement réformiste, avec une direction pendant des années très paternaliste, où la lutte de classe n’était pas toujours comprise, y compris dans les rangs de la CGT. Surtout lorsque ce sont des femmes qui sont arrivées à la tête de la CGT, de l’Ugict et de la lutte ! Le paternalisme qui avait marché pendant des années, lorsque c’était des OP qui dirigeaient la CGT et un technicien le SNCT, ne marchait plus lorsque ce sont un OS et des femmes qui ont dirigé nos organisations… Notre action s’est inscrite dans les décisions confédérales et départementales de la CGT, dont nous avions le soutien : la lutte contre la désindustrialisation du Loiret, basée sur des propositions de développement des entreprises et l’embauche d’emplois qualifiés et stables. Cependant, nous étions à contrecourant de ce que faisait la Fédération qui se contentait de « protester » contre la stratégie nationale du/de la SEITA : fermetures de manu et privatisation. Et de négocier les « meilleures » conditions de départ et de mutations… Mise à part la Manu de Pantin qui a été occupée pendant 18 mois et qui avait mis au point une fabrication « sauvage », « la Pantinoise » , la Gauloise rouge. Pour nous rien de tout cela n’était fatal, ni inéluctable car en même temps nous menions le combat pour le changement de société.
La transformation de nos activités et les abandons d’activités étaient nombreux et nous étions à fond d’accord avec le concept « d’intervention dans la gestion » lancé dans les années 80 par la CGT et l’UGICT. Nous disputions au patron pied à pied, sa gestion. Combattant en permanence les abandons de projets, et surtout l’arrêt de la recherche technique sur les procédés de fabrication qui nous rendaient dépendant de nos concurrents, au profit de la seule élaboration d’appareils de mesures physique informatisés, pour le tabac et les cigarettes. Activité qui a été finalement filialisée. Quelques exemples significatifs d’abandons :
– La mise à la casse de la « capeuse informatisée des cigares », abandonnée après 5 années de travail, lorsqu’elle a été au point, parce que cela revenait trop cher à utiliser… Nous la défendions parce qu’elle permettait d’améliorer les conditions de travail des femmes cigarières, mais ce n’était pas un critère à retenir !
– L’abandon de la fabrication des sauces que le CERTTA préparait pour les manufactures
– L’abandon de l’extraction d’huiles essentielles du tabac
– L’abandon de la fabrication pour les manufactures de la colle pour coller la bande de papier à cigarettes : c’était moins cher de l’acheter dans le commerce !
– Pendant des dizaines d’années dans le labo de chimie, nous avons travaillé sur un projet : « copier la Marlboro » qui était la cigarette phare des ventes en France. Lorsqu’enfin nous avons réussi à la mettre au point, la DG a décidé de l’abandonner « parce qu’elle coûtait trop cher à produire » !
– L’abandon de la mise au point de nouvelles cigarettes au profit de l’achat à nos concurrents de compositions toutes faites
– L’arrêt du dépôt des brevets, et leur vente à des fabricants étrangers, allemands entr’autres « parce que ça coûte trop cher de déposer des brevets » …
– L’arrêt de la fabrication du tabac reconstitué, confiée à un privé
– Et le clou, l’arrêt de la fabrication de la cigarette « Chevignon » dont les ventes partaient en flèche… au moment de la loi Evin qui a servi de prétexte à l’abandon…
Nous combattions tous ces abandons… mais la bataille idéologique et les pressions était tellement forte que les ingénieurs qui, eux-mêmes étaient les inventeurs, capitulaient et acceptaient la mise à la casse de leurs inventions ou fabrications, expliquant aux militant-e-s, « l’intérêt qu’il y avait à ces abandons dont nous pourrions tirer profit autrement » … La direction nous faisait passer pour des ringard-e-s ! En fait c’était la disparition programmée de l’entreprise qui était en cours. Si la direction de la fédération avait elle aussi pris le « taureau de l’intervention dans la gestion » par les cornes, autrement que par son projet de « tabac-santé »il est vraisemblable que l’avenir de la SEITA n’aurait pas été celui que nous connaissons aujourd’hui. Mais nous dérangions presqu’autant nos camarades de la direction fédérale que le patron… pensez donc des femmes qui s’occupent d’intervenir dans la gestion !
Dans le même temps, nous ne faisions pas que dénoncer, nous faisions des propositions d’activités utiles en matière de recherche technique et d’amélioration des conditions de travail, mais aussi pour la mise au point de nouvelles cigarettes, moins toxiques, pas chères, et surtout de cigarettes blondes dont la consommation en France se développait…surtout les blondes américaines !
L’évolution de la répartition du personnel par catégories est significative de l’évolution de nos activités et de leur transformation :
En 1968, c’est la plus vieille trace que j’ai trouvée :
OS + OP = 136 personnes
Employé-e-s = 19 personnes
Agents de Maîtrise et Technicien-ne-s = 43 personnes
Ingénieurs et Cadres = 14
Total 212 personnes

En 1973 : 205 Ouvrier-e-s-Employé-e-s
61 Agents de Maîtrise et Technicien-ne-s
19 Ingénieurs et Cadres,
Total 285 personnes

En 1983 : 223 Ouvrier-e-s et Employé-e-s dont 87 OS, 67 OP et 69 Employé-e-s dont des Aides de Labo
66 Maitrise et Technicien-ne-s
26 Ingénieur-re-s et Cadres
Total : 315

En 1988 : 162 Ouvrier-e-s et Employé-e-s dont 46 OS, 44 OP et 72 Employé-e-s dont des Aides de Labo
71 Maitrises et Technicien-ne-s
32 Ingénieur-e-s et Cadres
Total : 265

En 1991 : 152 Ouvrier-e-s et Employés 35 OS, 37 OP, 80 Employé-e-s
76 Agents de Maîtrise et Technicien-ne-s
38 Ingénieur-e-s et Cadres
Total : 266

En 1999 : 148 Ouvriers-Employé-e-s (dont beaucoup étaient d’anciens OS devenus aides de laboratoires)
70 Agents de Maîtrise et Technicien-ne-s
52 Ingénieur-e-s et Cadres
Total 270 personnes.

En 2002 :
25 OS + 13 OP + 70 Employé-e-s = 108 personnes :
Agents de Maîtrise et Technicien-ne-s = 79 personnes :
Ingénieur-e-s et Cadres = 56 :
Total 243 personnes.

• Entre 1968 et 1973, toutes les catégories progressent, les activités se développent. L’effectif est resté longtemps autour de 270/280 personnes
• En 1983 augmentation du nombre d’ouvriers due à la fermeture de la Manu d’Orléans et à l’arrivée du personnel, aux Aubrais. A partir de cette date, le nombre d’aides de labo progresse régulièrement.
• A partir de 1988 on voit que les ouvriers diminuent régulièrement, pendant que les aides de labo, les technicien-ne-s, les ingénieur-e-s et cadres augmentent
• En 1999 ces progressions ont continué, surtout les ingénieur-e-s et cadres, catégorie d’où les femmes ont longtemps été absentes et dont nous revendiquions l’embauche prioritaire pour rattraper le retard. Le 1er collège a fortement diminué : ce sont surtout les OP et OS qui disparaissent, significatif de la réduction progressive d’activité des ateliers de préparations du tabac et de confection/paquetage des cigarettes où se faisaient les essais de fabrication, consécutif à l’abandon de l’innovation technologique. La recherche technique se focalise sur l’élaboration des appareils automatisés de mesures physiques, où il y a besoin d’aides de laboratoires en plus grand nombres, pour les essais et pour le contrôle des fabrications.
• En 2002, les ouvriers ont quasiment disparu. Finie la fabrication des cigarettes. L’élaboration des prototypes d’appareils de mesures a été filialisée dans la Sodim, petite entreprise qui est restée dans l’enceinte du CERTTA (devenu SCR : SEITA Centre de Recherche en 1994). Leur fabrication est confiée à des sous-traitants. Les technicien-ne-s, les ingénieurs et cadres ont continué de progresser, constituant une nouvelle « matière grise », sur laquelle s’appuyaient nos propositions de développement d’activités.

Pour le 30ème anniversaire du CERTTA, pour combattre ce que nous développions, la direction avait sorti un N° spécial du journal d’entreprise, « C’est-à-dire », intitulé « Le CERTTA, creuset où s’élabore demain », faisant un historique de l’entreprise et valorisant ce qui s’y faisait, pour tenter de masquer la réalité.
Nous nous sommes saisis en 1987 de ce titre en le plagiant avec un point d’interrogation : « Le CERTTA, creuset où s’élabore demain ? », pour en faire un tract de 7 pages dans lequel nous accusions les différents niveaux de la direction de mentir pour masquer sa stratégie destructrice, au service de nos concurrents américains, et faisant des propositions d’activités utiles au développement de l’entreprise, pour l’emploi et pour les conditions de travail, en montrant qu’il y avait de l’argent pour les financer.

Nous avions touché juste, car nos camarades dirigeants de la fédération se sont faits « semoncés » vertement par la DG ! … Et au lieu de nous défendre, ils nous ont « remonté les bretelles » à notre tour, car « ça ne se faisait pas d’être aussi agressif avec la direction » … Cela ne nous a pas empêché de continuer, encore plus fort ! Nous avons distribué au personnel un dossier de 17 pages intitulé :« CERTTA, Le creuset où s’élabore demain », « faire autrement pour le progrès, ASSURER le véritable rôle sanitaire et social de la SEITA » et sous-titré : « salariés du CERTTA, ce document est à votre entière disposition. A vous d’en faire le support le plus large de vos préoccupations et de vos revendications. Il ne prétend pas aborder de façon exhaustive les situations que chacun de vous vit dans les différents services, il s’agit en fait, d’une très large invitation au débat et au rassemblement du personnel, pour construire leur avenir, celui du CERTTA et de la SEITA », où nous développions des propositions concernant les carrières, la reconnaissance des qualifications, les conditions de travail, pour toutes les catégories et des propositions d’activités et d’embauches pour tous les services.
Puis nous avons entrepris un long travail de fourmis, en discutant avec tout le personnel, service par service, pour réfléchir aux propositions du personnel aux besoins et à la création d’emplois dans toutes les catégories. Nous avons fait ce travail, ensemble CGT et UGICT, dans nos catégories respectives. Nous publions des propositions que nous mettions en débat dans le personnel et qui s’enrichissaient au fur et à mesure, pour arriver à publier en octobre 1992 un plan complet de création de 83 emplois nécessaires pour développer nos activités, comptés avec le personnel. En faisant le calcul avec les 35 H et la retraite à 55 ans pour tou-te-s, que nous revendiquions, nous avons abouti à 122 emplois qui se décomptaient de la façon suivante : 5 veilleurs, 1 concierge, 1 standardiste, 28 OS, 25 OP, 19 aides de Labo,10 employé-e-s, 23 technicien-ne-s, 10 ingénieur-e-s et cadres.
Nous proposions des embauches pour les différents services :
– Développement du service Fabrication, pour pouvoir faire tous les essais
– Re-création du « Service général » pour avoir un volant d’OS dédié à des activités diverses, permettant en particulier que le ménage et les poubelles soient à nouveau faits par du personnel SEITA connaissant la spécificité du tabac, qui produit beaucoup de poussières.
– Nécessité d’embaucher des veilleurs et 1 concierge pour la sécurité de l’établissement.
– Embauches d’OP mécaniciens, électriciens, électroniciens, chaudronniers et chauffeurs pour permettre que le travail nécessaire pour moderniser les procédés de fabrication de la SEITA et
Intéressant pour les ouvriers, mais sous-traité, revienne au personnel.
– Embauches pour permettre d’aller former le personnel des Manu aux nouvelles technologies et aux nouveaux processus de fabrication
– Embauche de personnel administratif à la place du recours à l’intérim’.
– Embauches pour développer l’activité au labo de chimie, contrôle et recherche
– Embauches au service « Qualité » (qui contrôlait la qualité des fabrications dans les usines) et travaillait à l’amélioration de la qualité des produits, dont l’effectif avait été réduit après le transfert de Paris aux Aubrais et qui ne pouvait plus assurer ses missions
– Embauches au service des brevets
– Embauche d’informaticiens et de programmeurs
– Embauches au service formation
– Embauches pour développer la recherche technique et la mise au point ainsi que le service après-vente des appareils de mesures physiques
Les activités que nous proposions de développer étaient les suivantes :
– Travailler sur l’élaboration des sauces et développer la fabrication des cigarettes Blondes que la SEITA négligeait, alors que les brunes régressaient. Activité mise en œuvre pendant un temps. La Gauloise blonde et la Gitane blonde sont sorties sur le marché en 1992, après 5 ans de travail d’élaboration.
– Etudier la composition des mélanges pour diminuer 1/le niveau des goudrons dans la fumée, normalisés à 15 mg en 1987 et à 12 mg en 1990, 2/les taux de nicotine. Les cigarettes brunes et blondes étaient concernées. Cette activité a été mise en œuvre
– Continuer à avoir un atelier de fabrication des cigarettes pour permettre l’innovation technologique et faire la mise au point de la production des nouvelles cigarettes
– Continuer à déposer des brevets. Partiellement obtenu.
– Travailler sur la résolution des problèmes posés par le battage et la confection des prémélanges de tabacs. Travail mis en œuvre.
– Résoudre le problème des cloches à vides pour l’humidification du tabac blond. Résolu.
– Résoudre le problème des « rejets » (malfaçons des cigarettes) qui pouvaient atteindre 30 % et augmentaient les coûts de fabrication : déchirage, récupération des bouts filtres et du papier alu avant la réintroduction du tabac dans le cycle de production. Cette question a été étudiée.
– Travailler sur le capage des cigares avec la bobineuse informatisée dont nous dénoncions l’abandon et dont le brevet avait été vendu à un de nos concurrents !
– Mise au point du dosage du monoxyde de carbone et du monoxyde d’azote, en vue de l’inscription obligatoire sur les paquets. Effectué.
– Le tabac reconstitué a été fabriqué dans l’usine SEITA du Havre et c’est toujours le cas
Nous proposions la diversification de nos activités dans plusieurs domaines :
• Vendre la colle sur le marché mondial
• Utilisation des huiles essentielles dans la parfumerie et l’industrie pharmaceutique
• Vendre nos appareils de mesure hors industrie du tabac avec des adaptations. Le marché français étant déficitaire dans ce secteur. Nos appareils ont été vendus dans l’industrie mondiale du tabac.
• Fabrication des bouts filtres
Et nous dénoncions les moyens financiers existants dans l’entreprise qui auraient dû servir à son développement plutôt qu’à supprimer des emplois et à spéculer et plus tard à enrichir les actionnaires lorsqu’elle a été privatisée.
Nous démontrions que la SEITA avait de l’argent pour développer la Recherche. Le budget de la recherche à la SEITA n’était que de 1 % du Chiffre d’affaire, alors qu’il était de 5 % par exemple chez Japan Tobacco
Voilà la banderole (ci-dessous) qui résumait notre programme revendicatif et que nous promenions à toutes les occasions possibles… Ce jour-là a été notre 1ère sortie, un jour de manifestation nationale à l’appel de notre fédération.

NON A LA PRIVATISATION DE LA SEITA
LES BOLLORE, REEMTSMA, ON N’EN VEUT PAS !
MAINTIEN DU STATUT DE LA RETRAITE ET DES ACQUIS
LES 6,5 MILLIARDS DE F DE RESERVES DOIVENT SERVIR
POUR DEVELOPPER LA RECHERCHE AU CERTTA
CREER 122 EMPLOIS AMELIORER LES CONDITIONS DE TRAVAIL,
AUGMENTER LES SALAIRES DE 50 % BASE SMIC A 7 500 F, FAIRE 35 h LA SEMAINE

Même si nous n’avons pas réussi à obtenir les 122 embauches et à mettre en œuvre tout ce que nous proposions, des activités nouvelles ont vu le jour et de nouvelles technologies ont été inventées.
Nous l’avons défendu en permanence, pendant des années, en argumentant sur les activités et les emplois. Nous aussi nous menions une intense bataille idéologique, entre les tracts CGT et Ugict/CGT, les comptes rendus de réunions de CE, dont le tirage demandait des ruses de sioux pour les tirer sur les photocopieuses de la direction qui étaient surveillées… Tout autant que nous… Auxquels s’ajoutaient les journaux de cellules, ainsi que les journaux départementaux de la CGT et du PCF qui donnaient l’argumentation de fond et politique. Tant que nous avons tenu ce créneau, nous avons assuré la survie de notre entreprise et empêché les suppressions d’emplois. Plus nous nous battions sur nos objectifs revendicatifs, plus la répression tombait, mais rien ne nous arrêtait ! A chaque initiative que nous prenions, les coups de bâtons et les sanctions tombaient. Nous étions très irrévérencieuses envers le patron, nous lui tenions tête en permanence. Par exemple un jour nous étions allé-e-s à l’ANPE, tenir un « bureau d’embauche » pour « recruter » des chômeurs que nous avons ramenés dans l’entreprise pour que le patron les reçoive… Ce jour là nous avons bien failli être licencié-e-s… De la même façon que nous avions plagié l’en-tête du journal d’entreprise, nous plagions les notes de services en les appelant « N°bis »…
Un nouveau directeur est arrivé en 1991, Gérard Curieux. Son premier « travail » avant de se présenter au personnel : mettre 11 avertissements à tou-te-s les militant-e-s CGT et UGICT sur la question de l’utilisation des heures syndicales… Que l’inspection du travail lui a fait retirer après notre intervention ! Cette question des heures syndicales a été l’objet de luttes pendant des années : une année que nous avions dépassé largement nos heures syndicales, le patron avait fait des « ponctions » sur les salaires de 5 militant-e-s. 2 d’entre nous se sont enchainés à un radiateur dans la salle du CE, promettant d’y rester jusqu’à ce que nous obtenions notre dû. L’UD avec qui nous avions organisé l’action a fait venir des délégations des autres entreprises et la télé régionale qui nous a filmé-e-s… Et à 19 H nous avions nos chèques…
En fait ce nouveau directeur annoncé comme un spécialiste de la « communication » a été le fossoy- eur de notre entreprise. Sa tâche principale : anéantir la CGT pour faire disparaitre l’entreprise ! Mais ce ne fut pas simple pour lui…
Pour le 40ème anniversaire la direction, en 1993, a voulu faire plus fort que pour le 30ème en organisant une « Journée Porte Ouverte » pour la population. Il n’en a pas eu de chagrin ! Les militant-e-s communistes de la cellule d’entreprise distribuaient à la porte un tract aux visiteurs qui étaient extrêmement nombreux, dénonçant la stratégie européenne et la politique du gouvernement contre notre entreprise, contre l’emploi et contre les travailleurs, développant qu’une autre politique était possible. Dans l’entreprise les militant-e-s CGT s’adressaient aux gens pour leur expliquer nos propositions de développement et d’embauches et les inviter à s’inscrire sur des demandes d’embauches. Nous en avions recueillies plusieurs dizaines que nous sommes allées déposer à la direction dans les jours suivants… et que nous avons défendues ensuite pendant des mois.
Au cours de la journée, nous avions vu apparaitre plusieurs personnes portant une enseigne qui a été accrochée dans l’entreprise et portant l’inscription : « SEITA Centre de Recherche » … Subrepticement, le CERTTA était devenu SCR au cours de la journée, sans que le CE n’en ait été informé ! En fait, c’était une nouvelle orientation (et pas une bonne !) que la direction avait l’intention d’impulser, profitant de sa « JPO » … Mais elle n’avait surement pas prévu la mobilisation militante qui a perverti le consensus qu’elle avait tenté de créer à cette occasion !
Est-ce que pour la direction le 40ème anniversaire était le « baroud d’honneur » avant la fermeture ? Est qu’elle a eu peur que les militant-e-s refassent un « coup d’éclat » ? Toujours est-il que pour le 50ème anniversaire en 2003/2004, rien n’a été organisé ! Pourtant le cinquantenaire d’une entreprise est plus important que les 40 ans !
A la réflexion et avec le recul, quand on voit ce que sont devenues les entreprises nationalisées aujourd’hui, je crois que le/la SEITA a servi de « brouillon » ou de modèle pour la casse des autres, ou de round d’entrainement. Les gouvernements successifs se sont servis de « l’expérience » SEITA pour affiner leur technique de casse des entreprises nationalisées… C’est « la dette » (une dette fictive organisée de toutes pièces) qui sert de support idéologique pour « justifier » privatisation, suppression d’emplois et casse du statut du personnel. Ce que nous voyons aujourd’hui avec la SNCF…

Annie Bruant Zornette, avec l’aide de mes camarades de combat, aujourd’hui retraité-e-s CGT.

Le 28 février 2018

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