Le travail social a un engagement ambigu, contradictoire, voire paradoxal, car il est à la fois au service des plus pauvres et aussi représentant d’un système producteur de pauvreté. Ainsi Claude Roger Julier, sociologue définissait-il le travail social, dans un ouvrage en 2004 « Ce travail serait une articulation entre l’économie de marché et des gouvernements démocratiques ».
Ce serait-il aussi « simpliste » ???
Dans un double référentiel Assistance et Action sociale nous prouvons, militantes et militants Ugict-CGT, militantes et militants « historiques » que nous avons perçus dans nos luttes et à travers nos analyses, plus qu’une « articulation ». Pour nous, il s’agit d’une utilisation du travail social par le système économique et des gouvernements « supposés » démocratiques ! Les moyens donnés à l’action sociale et l’assistance individuelle ne sont que des outils d’accompagnement dans les crises économiques et sociales créées par la financiarisation de toute l’économie par le système capitaliste.
L’action professionnelle se situe au cœur des contradictions dans un système d’inégalités économiques des populations suivies, et les commandes managériales viennent soutenir « à minima » les besoins des usagers. Le système des aides sociales devient un accompagnement permanent de la précarité, sans agir sur les conséquences.
Les études de travail social construisent le futur professionnel en tant que « médiateur » des problématiques posées et non comme acteur de changement ou comme « veilleur » social capable, par sa clinique et ses rapports, d’infléchir d’une quelconque façon la trajectoire sociale des usagers. Il se trouve par ailleurs « englué », bloqué dans son action professionnelle, dans un conflit de loyauté, oscillant entre deux positions : S’il allait jusqu’au bout de sa logique de soutien des personnes, ne serait-il pas irresponsable vis-à-vis de ses mandataires, gouvernement, élus, directions, cadres qui lui dictent le cadre de ses missions et le moment où elles s’arrêtent ?
Il s’en suit pour les assistants de service social et les éducateurs spécialisés, une difficulté, une retenue à s’engager syndicalement car ils se trouvent au cœur d’une énorme ambivalence.
Le travailleur social devient comme l’écrit Claude Roger Julier « l’ambulancier du progrès… ». Le malaise professionnel est immense car considéré comme absolument nécessaire pour assurer une « paix sociale », un lien où peuvent s’exprimer les douleurs sans les convertir en revendications. Ce travail social est systématiquement dénigré par les mêmes car considéré comme pointant les insuffisances et les échecs des gouvernements. « On lui reproche ce qu’on lui commande de faire… »
Placés dans cette ambigüité il est difficile de se resituer dans une « version » différente des finalités du travail social en s’engageant syndicalement. Il devient compliqué de poser des revendications professionnelles lorsque le quotidien se nourrit de contradictions. Ceux qui le tentent sont minoritaires et la majorité se tourne plutôt vers des supervisions qui tentent les aménagements de conscience !
Quand le travailleur social n’a à vendre que « misère, souffrance, échec » cela rend « frileux » pour parler de ses propres interrogations et de son « mal-être » professionnel, voire de son incapacité à « bien faire » son métier.
Pour venir renforcer ce mal-vivre professionnel, les techniques managériales sont venues renforcer les difficultés : demandes de statistiques, fichage des populations, informatisation, diminution du nombre de professionnels, refus de formations continues, augmentation du nombre de réunions et de commandes institutionnelles à visées économiques… Tout ceci s’est construit progressivement au détriment du temps d’écoute, d’accompagnement.
Et pourtant ! Le fondement même de la relation singulière dans l’entretien avec l’usager est éminemment symbolique et essentielle dans ce qui va être « activé » avec l’autre écouté, conseillé, ce qui va être négocié dans une communication duelle.
Or les politiques sociales placent le travailleur social dans une « réduction » de sa fonction dans l’action symbolique pour le positionner dans une fonction de valeur marchande. De fait le travail social se confronte en permanence à son éthique, sa déontologie, ses compétences et aux commandes d’efficience de ses actions, notamment en privilégiant l’application « en nombre » des dispositifs sociaux.
Les politiques de résultats viennent remplacer la mise en œuvre des vraies finalités sociales, des principes énoncés dans les formations : « Restaurer l’autonomie des personnes en difficulté et la citoyenneté des usagers faisant appel aux travailleurs sociaux. »
Jocelyne Guiheu, 1er mars 2019