Avril 1946 : Appel du XXVIème congrès de la CGT

Annexe spéciale au rapport d’activité
XXVI° Congrès Confédéral de la C.G.T. 8-12 avril 1946

LE MOUVEMENT
DES INGÉNIEURS ET CADRES

Le développement en surface et en profondeur de la C.G.T. parmi les éléments qui, traditionnellement, ont constitué sa base essentielle — les ouvriers — s’est accompagné d’un afflux des ingénieurs et cadres, afflux dont on peut dire qu’il continue aujourd’hui encore.
Il n’est pas indifférent de déterminer les causes de ce mouvement. Elles sont essentiellement de trois ordres.
Tout d’abord, chaque fois que la classe ouvrière a affirmé sa puissance, chaque fois qu’il y a eu une poussée du mouvement ouvrier, sa force d’attraction sur d’autres catégories sociales s’est amplifiée et singulièrement sur d’autres catégories de salariés.
En 1936, au moment des grandes grèves, la C.G.T. a entraîné dans son sillage des masses importantes de techniciens qui ont pu faire l’expérience de l’efficacité du mouvement syndical.
A cette époque, si nous avons gagné quelques sympathies parmi les ingénieurs et cadres, nos organisations n’ont pu en grouper une masse importante.
Toute autre a été la situation à la Libération : la classe ouvrière avait, au cours des noires années d’occupation, grandi considérablement en influence. Elle s’était affirmée comme la force essentielle, la force dirigeante, l’avant-garde du mouvement d’indépendance nationale.
Face à la faillite des pseudo-élites, elle, avait fait la démonstration qu’elle s’identifiait avec la Nation elle-même et, dans ces conditions, il n’était pas surprenant que les ingénieurs et cadres dirigent leurs regards et leurs pas vers elle et ses organisations.
Ce rôle constructif de la classe ouvrière, qui n’a fait que se préciser encore quand il s’est agi de relever le pays de ses ruines, a exercé et exerce encore une profonde influence.
Une deuxième raison a été la diminution considérable de la situation relative aux ingénieurs et cadres par rapport aux autres salariés au cours des dernières décades.
Les ouvriers à la situation misérable avaient su au cours de ces mêmes dernières décades trouver les moyens et le chemin leur permettant d’élever leur standard de vie, d’avoir une part plus grande des richesses produites. Il ne s’en était pas suivi pour autant, une amélioration parallèle des appointements des ingénieurs et cadres inorganisés ou groupés dans des « amicales » pro-patronales et l’éventail des salaires s’était sérieusement refermé.
Enfin l’intervention toujours grandissante des organismes puissamment charpentés dans la vie de la Nation, dans tous les domaines, a amené ces catégories sociales à sortir de leur isolement pour faire entendre leur voix.
Tout naturellement les grands trusts n’ont pas vu sans inquiétude ce grand courant et, mettant à profit la volonté des ingénieurs et cadres de s’organiser, ils ont voulu les canaliser, les diriger vers des voies de garage où dans le meilleur des cas ils seraient impuissants, dans le pire, pourraient être manœuvrés pour des fins contraires à leurs intérêts.
La C.G.C. s’est constituée, avec comme épine dorsale la Fédération Nationale des Syndicats d’Ingénieurs et, à sa tête, des piliers de la Charte comme Dubois (F.N.S.I.) épurés depuis — tout au moins officiellement.
Ainsi notre mouvement a vu s’opposer à lui, dès le début, une organisation qui, consciemment ou non, ne pouvait que faire le jeu des ennemis des ingénieurs et cadres, et plus encore — comme l’ont démontré les récents appels de la C.G.C. au sabotage et à la grève — des ennemis du relèvement du pays.
Les discussions trop longues au sein de la C.G.T. pour trouver la meilleure forme d’organisation ne nous ont peut-être pas permis de faire à temps le travail d’éclaircissement nécessaire auprès des intéressés et de liquider la C.G.C. dès les premiers mois de sa formation.
Deux conceptions s’opposaient chez nous : ou bien les ingénieurs et cadres seraient groupés au sein de la Fédération des Techniciens, petite C.G.T. dans la grande, ou bien ils seraient organisés dans leurs Fédérations d’Industries respectives.
La première formule, sous l’apparence de donner plus de poids et d’importance aux ingénieurs et cadres à l’intérieur de la C.G.T., aboutissait en réalité, en les isolant, en les coupant des ouvriers avec lesquels ils sont liés à l’usine dans la production, à perpétuer la division créée par le grand capital et à empêcher les ingénieurs et cadres de faire entendre leurs voix dans les organismes essentiels que sont les Fédérations.
C’est finalement, après la décision de dissoudre la Fédération des Techniciens, la formule des syndicats nationaux d’industrie qui a prévalu. Elle répond pleinement à la préoccupation des intéressés qui, selon la formule d’Albert Gazier :
« …ont des intérêts communs avec les ouvriers de leur industrie, mais aussi des préoccupations particulières. Ils aiment se trouver entre eux. Ils éprouvent le légitime besoin de discuter certaines questions d’appointements, d’avancement ou de discipline hors de la présence de leurs subordonnés. »
Elle répond également pleinement à leur désir de participer activement à la vie syndicale et tout particulièrement d’apporter au sein de chaque Fédération d’industrie leur précieuse collaboration pour la solution des problèmes économiques.
Loin d’étouffer la voix des ingénieurs et cadres, cette forme d’organisation leur permet au contraire de faire entendre leur point de vue par les ouvriers de leur industrie.
Elle permet également l’explication et la compréhension réciproque des intérêts des diverses catégories de salariés qui, sans être en opposition, peuvent, pour certains, être particulier à certaines catégories.
Elle assure la solidarité pleine et entière de tous.
Enfin, la constitution du Cartel Confédéral des Ingénieurs et cadres — organisme de liaison entre les différents syndicats nationaux — et de cartels départementaux — organismes de liaison entre les sections départementales — assure l’harmonisation des revendications des intéressés de toutes les industries, la liaison utile pour la propagande, la représentation au sein des organismes officiels (tels que la Commission Nationale des Salaires), auxquels participe la C.G.T. L’existence du Cartel qui délègue ses représentants auprès du C.C.N. et de la C.A., garantit de plus qu’à aucun moment et dans aucun cas, les ingénieurs et cadres ne seront absents de la discussion des problèmes d’intérêt général.
Nos syndicats d’ingénieurs et cadres ont tous obtenu que des arrêtés ministériels fixent des appointements minima aux diverses catégories et l’arrêté du 2 février couvre ceux qui exercent leur activité dans des secteurs de l’économie non encore visés.
Tous sont en plein développement devant la désagrégation de l’organisation anti-ouvrière et par voie de conséquence anti-cadres que constitue la C.G.C. : un exemple du mois de février, où le C.P.P.A. (Cadres de la Pharmacie affiliés à la C.G.C.) a rejoint à la quasi-unanimité la C.G.T., le démontre sans qu’il soit besoin de grandes phrases.
Les ingénieurs et cadres ont compris dans leur ensemble que leurs intérêts particuliers devaient les mener à la C.G.T. Ils ont compris que l’intérêt national exige leur union étroite avec les ouvriers dans une même centrale syndicale.
Nombreux sont ceux, cependant, qui n’ont pas encore osé briser les préjugés qui les séparent de nos organisations.
A nous de les y aider, à nous de créer dans chaque Fédération le ou les syndicats nationaux de Cadres et d’Ingénieurs, comme l’a recommandé la C.G.T.
L’organisation des cadres n’est pas seulement le travail des syndicats d’ingénieurs : ce doit être l’œuvre de toute la Confédération.
Que chaque syndicat s’y emploie, que chaque Fédération, que chaque Union s’y attache et, dans ce domaine comme ailleurs, les difficultés disparaîtront et l’Unité triomphera.

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