Une grève est déclenchée en septembre 1990 après une année de montée des mécontentements dans la profession, dus au décret ministériel maintenant les diplômes d’Etat au niveau III (Bac + 2) reniant de fait la durée des études et leur niveau de trois années post Bac.
Cet ainsi qu’en septembre 1990 après une année de manifestations, d’interpellations du gouvernement restées sans réponse la grève est déclarée reconductible à l’unanimité le 16 septembre et va être effective durant 9 semaines.
Une coordination nationale (CONCASS) est constituée de la CGT, CFDT, CRC (Aix Santé Sociaux) et de l’ANAS (Association National des Assistants Sociaux).
Cette grève, après celle des infirmières, met en évidence la composante féministe d’une lutte salariale pour la reconnaissance des qualifications et des compétences de technicien(e)s supérieurs.
1) Le contexte social
Cette grève s’inscrit dans une grande déception d’un gouvernement « de gauche »qui ne propose que des adaptations de l’existant et ne donne aucun moyen à cette profession.
Le scepticisme concernant les politiques sociales va crescendo parmi les AS durant cette période ; les dispositifs sociaux créés, RMI,FSL, Loi Besson, etc.. apportent une surcharge de travail administratif, de contrôle social, de dévoiements du secret professionnel (par exemple dans les CLI, Commissions locales d’insertion où il faut exposer la vie intime des familles ), et des contraintes en acceptant des mesures coercitives pour l’insertion des personnes, comme par exemple les injonctions de soins psychiatriques .
L’Etat se désengage avec la décentralisation, abaissant les moyens de l’Action Sociale qui répondrait aux besoins réels .
La notion de temps de travail « clinique », de concertation interdisciplinaire, sont refusés au profit de temps à consacrer au travail administratif ‘statistiques, rapports) à rendre aux directions, élus,etc …
Ainsi les Assistants Sociaux se sentent obligés de contribuer à une « gabegie »de moyens , tels les mises a l’abri dans des hôtels sociaux à des coûts exorbitants au lieu d’augmenter le parc HLM.
Le sentiment d’accompagner la précarité s’incruste et devient malaise chez les professionnels.
S’installe alors une grande déception, et un constat de décisions aberrantes tournant le dos à ce qu’un gouvernement de « gauche » aurait du mettre en œuvre pour être le garant d’un service public pour tous.
D’autres facteurs sont sans doute des éléments de cette prise de conscience :
– Les effets de l’introduction des sciences humaines dans les études
– Le recul de la profession-vocation et du célibat encouragé,voire recommandé dans les années 1950
– Le recul de positionnements conservateurs et religieux issus des milieux d’origine (grande bourgeoisie et milieu de gradés militaires ).
Avant 1970 : A.S. issues de familles de cadres supérieurs et patronat :64%
En 1970 : 41 %
En 1980 : 31 %
(articles du Monde de 1992 )
Tout cela se situe pour les Assistants Sociaux dans un contexte d’aggravation de la « misère humaine « sic Bourdieu.
En 1993, le journal le Monde annonce 2 248 000 sans abri et mal logés
5 millions de personnes en foyers (urgences, jeunes travailleurs)
Dans ce cadre, les A. Sociaux sont eux-mêmes très précaires (hors critères d’accès au logement social) et ont des salaires équivalents à 930€ en début de carrière , 1400€ aujourd’hui ).
2) La grève
Début septembre à Aubervilliers, des A. Sociales sont agressées par des usagers .
Après une année de tensions,de manifestations pour l’homologation niveau licence, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase !
Appels téléphoniques, bouche à oreille entre collègues de Seine St Denis et Paris, appels en Province, et une réunion à la Bourse du Travail de Paris est organisée avec l’aide de la CGT (Services Publics, USAP CGT,) et c’est début septembre un énorme rassemblement d’A. Sociaux dans la grande salle A.Croizat , remplie par plus de 300 collègues et débordant dans le Hall rempli à craquer !
Immédiatement, la CGT Services Publics, en la personne d’Evelyne Davy, A. Sociale à Aubervilliers, installe avec le CRC (ex santé Sociaux) une coordination nationale, la CONCASS,
Constituée d’un Bureau et de Commissions .
Des rencontres pour construire une stratégie CGT ont lieu avec l’UGICT, Henri Sauvinet, Jean Claude Valette (UFICT Action Sociale /Santé ) et Jocelyne Guiheu, tous deux Membres du Conseil Supérieurs du Travail Social , et la CD 75 avec Gérard Salkowsky .
La CGT et L’UGICT, ayant tiré les enseignements de la Grève infirmières où elle a été évincée par leur coordination, décide d’ être partie prenante au Bureau de la Concass et dans les Commissions pour porter les revendications des Collectifs et Directions syndicales UGICT CGT.
Les Commissions sont créées :
-Actions et organisation
-Communication/Presse et liens Province ( création d’un film sur l’histoire du Service Social et la Lutte )
-Trésorerie
-Rémunérations et classements indiciaires
-Formation initiale et continue
-Ethique et Déontologie
La participation très active, voire leader de la Concass a suscité bien des reproches de certains militants dans nos instances, engageant un riche débat sur la démocratie directe et indirecte et le contenu des actions « de classe et de masse » !!!
Mais nous avons eu le soutien total de la Direction Confédérale et de L’UGICT .
Nous avons décidé d’ECOUTER, de ne pas imposer une parole « langue de bois », de proposer nos revendications, en sachant parfois reculer avant d’y revenir autrement .
Parallèlement nous réunissions à L’UGICT le Collectif A. Sociaux , tenions une conférence de presse sur nos propositions sur une Formation de Techniciens Supérieurs dans de « Grandes Ecoles » rattachées à l’Université pour les homologations de niveaux d’études permettant l’intégration dans les statuts ou les grilles indiciaires, à niveau licence et maîtrise, à l’embauche .
Certains médias, cependant faisaient passer les militants UGICT CGT pour des observateurs passifs, ignorant le travail permanent de nos organisations dans les restitutions systématiques par tracts des audiences et actions et leur bataille dans les commissions contre le front conservateur ou l’ultra gauche démobilisatrices.
L’ANASS, Association nationale des AS , a joué un rôle très tiède dans ces actions, craignant la perte des Ecoles existantes, et retrouvant ses vieilles habitudes conservatrices.
Les Actions :
-occupation des rails à Montparnasse
-Occupation jours et nuit durant un mois d’hiver le square Boucicaut, où le personnel du Lutétia nous apportait café et chocolat le matin, et des Habitants du quartier des marmites de soupe !
Manifestations dans les rues : l’Opéra, le Palais Brogniart, Le Ministère de la Santé, etc ..…encadrés par le service d’ordre de la CGT de Maurice Lourdez nous évitant les canons à eaux et les matraques de la Police .
Nous avons déposé des cahiers revendicatifs dans toutes nos directions Paris et Province.
Fin novembre , les sanctions financières sont tombées :
Un mois de salaire en moins pour nombre d’entre nous, mais aidées par la Caisse de grève réalisée par les organisations syndicales de la CGT principalement.
Des intimidations et blocages dans les évolutions de fonctions des militants ont étés mises en œuvre par les directions.
Les AS ont réintégré leurs services respectifs.
Des divergences entre syndicats ont fait jour.
Le Ministère n’a rien concédé.
Peu à peu la CONCASS ne s’est plus réunie ;
Mais jusqu’à ce jour des coordinations régionales persistent .
Des Etats Généraux nationaux existent .
Les Collectifs existants ne sont plus pilotés par des militants UGICT CGT…
Restent les Collectifs des UFICT et Celui de l’UGICT .
Ceux qui ont vécu cette grève de 1990 en garde le souvenir d’une grande lutte , joyeuse, positive, unitaire ayant construit un bon socle revendicatif toujours d’actualité.
Jocelyne Guiheu
Membre du Bureau IHS UGICT
26 novembre 2019