Reconquête industrielle : connaissez-vous la voiture Neutral ?

La dépendance industrielle de la France est apparue dans nombre de domaines lors de la crise du Covid puis de la guerre en Ukraine. L’action de la Cgt, non seulement pour empêcher des fermetures d’usines mais aussi pour pousser aux investissements porteurs de progrès social et économique, a été ainsi marquante dans l’industrie automobile.  Michel Rondeau nous le rappelle avec l’histoire du projet NEUTRAL.

Au milieu des années 80, la régie Renault va mal. Elle est en recul à la fois sur le bas de gamme (la Super cinq) et le haut de gamme (la Renault 25). Les suppressions d’emplois se succèdent (plans FNE), l’abandon de la machine-outil, de la formule Un, et…le nouveau PDG projette de fermer Billancourt.

Le mécontentement gronde, avec deux axes de contestation majeurs : d’une part l’implication de la marque aux USA qui engloutit des milliards sans aucuns retours ; et d’autre part, son refus de produire un véhicule bas de gamme accessible au plus grand nombre, comme l’avait été en son temps la 4cv puis la Renault 4, synonymes de voitures familiales polyvalentes, peu coûteuses mais robustes. Mais aucune petite Renault à l’horizon,

L’aventure de la NEUTRAL

Fabriquer en France une voiture du peuple ; ce rêve n’a cessé d’animer les ingénieurs de Renault depuis le milieu des années 30, à une époque où, crise économique oblige, les grands constructeurs, souvent à leur corps défendant, ont commencé à développer de petits modèles plus accessibles

Dans une démarche inédite jusque-là, la CGT va prendre le taureau par les cornes et faire ce que nul n’attendait : initier le développement de ce petit véhicule économique pour mettre la direction de Renault devant ses responsabilités en faisant la preuve concrète que réaliser cette petite Renault 4 nouvelle génération est un objectif réalisable qui pourrait sauver Renault, au bord de la faillite – et en tout cas déjà l’usine de Billancourt. Selon la CGT, « Acheter une R4 aujourd’hui signifie un besoin précis pour une clientèle accrochée à un véhicule pratique, pas cher. La sortie d’un nouveau petit modèle aussi attractif pour 1987 qu’il le fut en 1961 le démontrerait rapidement. »

Travaillant avec des ingénieurs, techniciens et ouvriers CGT de Renault, et avec le concours d’anciens salariés de la marque et de maquettistes parmi les plus éminents, les syndicats ouvriers et UFICT, avec la section syndicale Ingénieurs de Rueil formulent rapidement leur propre proposition pour une petite voiture, la NEUTRAL-anagramme de Renault- qui évoque un véhicule de base, débarrassé de toutes fioritures, gadgets et options luxueuses ; un véhicule « neutre », en somme.

Elle s’adresse à une clientèle fidèle et nouvelle, à des travailleurs, à des jeunes aux revenus modestes, pour leur offrir leur première automobile de conception moderne et de faible consommation dans ce moment de fortes hausses du prix du pétrole

Une association est également créée le 12 février 1986 : l’APVF (Association des Anciens et des Amis de Renault pour la Promotion d’une Petite Voiture Française) avec à sa tête un des ingénieurs les plus cotés chez Renault.

La NEUTRAL symbolise maintenant les nouveaux besoins d’aujourd’hui et de demain, à partir de nouvelles conceptions : rustique mais moderne, pas chère mais respectant la sécurité.

Ce n’est pas un projet d’experts mais la proposition de lancement d’un modèle réalisé par les salariés eux-mêmes.

Le 7 novembre 1986 la CGT dévoile son « projet industriel ». En fabricant une maquette grandeur nature pour l’exposer au siège de la CGT… Le défi de développer une voiture complète en moins d’un an a été relevé : la Neutral existe et elle est réalisable.

Outre la maquette une base roulante de la Neutral fait le tour de France avec présentation et distributions de tracts, avec beaucoup de succès !

RESULTAT

La Direction de Renault conteste la viabilité d’une telle voiture. Mais celle-ci a un succès populaire et donne aux luttes syndicales une perspective concrète

Et de fait, en en masquant le projet, le PDG lance l’étude d’un tel véhicule , la X06, qui sera bien évidemment la Twingo, basée largement sur le design de la Neutral et qui sortira quatre ans plus tard… Louis Schweitzer, président de Renault, déclarera en 1992 que la « Twingo est une voiture vraiment révolutionnaire, une voiture qui transcende les classifications traditionnelles, qui apporte une nouvelle relation entre l’homme et l’automobile (…) un projet audacieux dont l’histoire vaut d’être racontée, » rappelant que Renault avait « une tradition de succès dans le domaine du petit véhicule » il se gardera bien d’évoquer l’épisode NEUTRAL… un silence lourd de sens. Car après la Twingo le modèle roumain Dacia montre toujours la pertinence de la Neutral !

Et dans le journal ‘’Usine Nouvelle du 18 janvier 2007, répondant à une question sur la Logan, Louis Schweitzer précisait :

…l’idée d’un véhicule bon marché est très ancienne chez Renault…il y avait eu par exemple, un projet de voiture conçu par la CGT, appelé Neutral…Si ces projets ne se sont jamais concrétisés, c’est que la voiture bon marché était considérée comme un objet sans avenir commercial …

Un aveu lourd de sens sur le vice de la logique de rentabilité financière et sur la vertu de la lutte pour l’efficacité économique et sociale

Michel RONDEAU

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