Neyrpic 1963 : première lutte revendicative de masse de cadres du privé

L’année 1963 s’ouvre sur l’un des plus longs conflits de cadres et de techniciens que la France ait connus et qui se déroule durant de longs mois à NEYRPIC Grenoble. Ce conflit marque l’entrée des cadres dans la grève et sera suivie de beaucoup d’autres notamment en mai 1968. Aux yeux de nombreux auteurs et observateurs, la catégorie des cadres se constitue comme « acteur social et collectif ».

La première publication de « Cadres-Informations » de l’UGIC reproduit l’intervention du représentant des cadres chez NEYRPIC alors que la grève est encore en cours.

« Cette lutte dure depuis cinq mois et elle est dirigée contre Monsieur Glasser, président directeur général de l’Alstom, président de la chambre syndicale des constructeurs de gros matériel électrique, président d’honneur de Sud-Aviation et de l’union syndicale des industries aéronautiques, administrateur de biens d’autres sociétés. Monsieur Glasser ne peut nier être l’homme des grands monopoles. Dès les premiers jours une proportion importante d’ingénieurs ont participé à l’action avec leurs formes propres et leur rythme particulier (85 % de jeunes non au forfait et 60 % d’ingénieurs au forfait sur un effectif d’environ 400). »

Après avoir fait le point des différentes phases de la lutte engagée contre les méthodes et les initiatives de la direction mettant directement en cause les salaires et les conditions de travail de l’ensemble des salariés de NEYRPIC, l’orateur souligne les raisons profondes de l’action des ingénieurs et cadres :

–les menaces qui pèsent sur les salaires et la sécurité de l’emploi

–la crainte que le conseil d’administration fasse appel à une assistance technique étrangère – crainte justifié par un rapport en ce sens-, la négation de la valeur des cadres de l’entreprise aptes, de par leur formation, à l’étude et l’application des techniques les plus modernes

–la certitude qu’une nouvelle organisation de la production est possible mais pas par un redressement qui aboutit au gaspillage des forces productives

–la conscience de la justesse des luttes ouvrières

–les difficultés de commandement en raison de la politique des salaires menée par la direction

-les nouveaux rapports entre ouvriers et ingénieurs. »

Notre collègue conclut : « Pour la sauvegarde de leurs valeurs humaines, pour le maintien de leurs droits, pour mettre fin à un arbitraire profit des monopoles, les ingénieurs et cadres ont besoin de se grouper sous l’égide d’une organisation syndicale puissante, faisant autorité, contre ces avides seigneurs des temps modernes. Le rôle de la CGT dans ce groupement des ingénieurs est primordial et si nous savons nous ouvrir aux mille problèmes des ingénieurs et cadres, nous sommes persuadés qu’en retour, et sans sous-estimer le pouvoir de la presse patronale, les préjugés tomberont et que nos collègues viendront renforcer nos rangs, puisque ce sera la meilleure garantie de leur avenir. »

L’année 1963 marque ainsi l’amorce d’une offensive des salariés sur leurs revendications : l’indicateur même officiel des conflits du travail établi chaque année en témoigne. Il est démontré, cette année-là, que le pouvoir gaulliste, comme tout pouvoir peut reculer : les salariés reprennent alors confiance en eux-mêmes. D’une certaine manière on peut dire que le puissant mouvement social de 1968 nait en 1963.

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