Au cœur de la décision de mise en place du régime complémentaire AGIRC

Extrait de la thèse de Bruno GABALLIERI sur l’AGIRC (1)

Chapitre Il, Section 1 : Les termes de la question économique

 

Les termes de la question économique

A la technique économique de la capitalisation en vigueur dans tous les régimes de retraite de l’entre-deux guerres, s’oppose alors une théorie révolutionnaire, celle de la répartition.

L’option capitalisation répartition se pose de la même manière pour les organisations chargées d’instituer le régime des cadres que pour l’État lorsqu’en 1941, il doit faire face au problème des vieux travailleurs et en 1945, quand il doit prendre en charge tous les petits rentiers. Dans les deux cas, il n’a pas le choix, c’est la seule technique de la répartition qui peut asseoir une prise en charge aussi lourde que rapide. Comme l’indique Pierre de Baldus de Fransures, « les inconvénients du système de la capitalisation, développés par les dévaluations successives intervenues depuis la guerre de 14-18, amenèrent les organisations patronales et de salariés à adopter le principe de la répartition ».

La faiblesse la plus importante de la capitalisation réside dans sa vulnérabilité aux dévaluations monétaires. Sur une longue période, il est malheureusement vérifié, en particulier en 1946, que la monnaie se dépréciant, l’assuré ne retrouve plus sous forme de prestations ce qu’il a versé durant sa vie active ;

De plus, la capitalisation exige le placement des sommes déposées, ce qui rend sa gestion toujours complexe, à l’opposé, la répartition apparaît plus simple.

La répartition est une technique selon laquelle chaque année les contributions des particuliers en activité sont utilisées immédiatement pour verser des allocations aux participants retraités. L’avantage décisif de la répartition provient de son efficacité immédiate puisque la technique permet aussitôt de verser des prestations à ceux qui n’ont jamais cotisé mais qui ont atteint l’âge de la retraite.

Un moment crucial

La Cgt qui ne remet pas en cause l’application du nouveau régime de Sécurité sociale demande lors d’un entretien qui lui est accordé le 20 juin par M. Laroque, directeur général de la Sécurité sociale, la réunion d’une commission paritaire qui aurait à examiner les conditions dans lesquelles des avantages complémentaires de ceux de la Sécurité sociale pourraient être aménagés en faveur des cadres.

Déjà, au mois de mars 1946, la Cgt avait porté à la connaissance de l’UIMM, une note intitulée « Projet de retraite par répartition pour les cadres » établie par la section d’Alsthom. Deux mois plus tard, la Cgt précise sa position dans un tract où elle déclare souhaiter l’établissement d’un régime complémentaire général et obligatoire avec création d’une caisse nationale autonome dont les ressources seraient :

– une double contribution patrons cadres de 6 % minimum sur la tranche d’appointements supérieurs à 120000 francs ;

– une contribution patronale de 4 % sur la tanche d’appointements supérieurs à 120000 francs ;

– une cotisation patronale correspondant au gain réalisé par l’employeur dans le remboursement des prestations journalières, maladies, maternité.

En outre la Cgt ajoute : Deux solutions sont possibles pour obtenir ce régime complémentaire : son par voie de convention collective ou par voie législative. Pour assurer la généralité du système, nous préfèrerions cette deuxième solution.

Après avoir envisagé la « généralisation des dispositions contractuelles du présent accord sur le plan des industries chimiques, M. Andréjean(2) propose sa généralisation aux ingénieurs et cadres de l’économie française ».

Une intervention décisive de Croizat

Sur les conditions dans lesquelles le gouvernement compte mettre en application la loi de Sécurité sociale, M. Lespes(3) prend la parole et pose la question capitale aux yeux des cadres, « la possibilité d’opter entre  leur rattachement aux régimes particuliers équivalents et leur assujettissement au régime de Sécurité sociale ? Je préconise cette disposition parce que je suis attaché à la notion de concurrence ente régime privé et régime d’État… »

A cet instant de l’exposé, M. Ambroise Croizat, Ministre du travail et de la Sécurité sociale demande à l’orateur : « Me permettez-vous de vous interrompre ? » Sur la réponse positive de M. Lespes, le ministre déclare : « Je proclame solennellement devant l’Assemblée que les avantages actuellement acquis en vertu des régimes particuliers, par le personnel des cadres et ingénieurs, seront intégrale ment sauvegardés ».

Le 9 novembre 1946, la sous-commission technique examine les bases sur lesquelles pourront être organisés ces régimes de retraite. Les principaux points suivants sont examinés :

– Age de la retraite : fixé en principe à 65 ans ;

– Calcul de la retraite : selon la proposition de la Cgt, la formule = S x 1/K x & est retenue. S : total des salaires, K : coefficient de productivité, & : salaire minimum du manœuvre de la métallurgie de la région parisienne.

A la demande des organisations syndicales d’inclure dans le régime certaines catégories d’agents de maitrise, le Cnpf réticent accepte finalement « qu’un article supplémentaire soit inséré dans le texte du projet de convention en vue de prévoir l’assimilation aux ingénieurs et cadres, des employés, techniciens et agents de maitrise dont la cote hiérarchique brute est égale ou supérieure à 300. Ce chiffre correspondait théoriquement à une rémunération égale au plafond de la Sécurité sociale ».

 

  • Thèse pour le doctorat d’Etat en droit : « Le régime complémentaire de retraite et prévoyance des cadres ; institution du droit économique » 9 septembre 1987.
  • Andréjean fut le premier secrétaire général de l’UGIC en 1948
  • Lepers, ingénieur qui fut à la base de la création de la CGC

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