Les trois divorces

L’implication des ICT dans le mouvement des retraites actuel est à un niveau jamais atteint.

Depuis plusieurs décennies, l’évolution de la situation des ICT a été marquée par plusieurs divorces au regard de leur histoire.

La montée de leur conscience salariale s’était opérée depuis le milieu des années 1980 avec leur exclusion de participer aux choix stratégiques des entreprises. D’une situation de responsabilité et de pouvoir au moins sur certains aspects, ils passaient alors à une situation de responsabilité sans le pouvoir.

La montée des aspirations qui avaient émergé en 1968 par rapport à l’équilibre de vie (place des femmes dans la société, libération des mœurs, temps et droit de vivre pleinement) va trouver son point d’orgue avec le mouvement pour la réduction du temps de travail en 1999 rassemblant au-delà des clivages idéologiques et dont la manifestation nationale CGT – CGC avait été le symbole. Le refus de sacrifier dorénavant sa vie à l’entreprise était patent.

Ce premier divorce était un divorce avec l’employeur, le deuxième a été celui de la rupture avec l’entreprise conçue comme société d’actionnaires, lieu de mise en œuvre du Wall Street management, support de la financiarisation en lieu et place du travail socialement utile. Cette taylorisation du travail qualifié, de sa part intellectuelle, empêche le « bien travailler », tue le travail et au travail, empêche de lui donner un sens.

C’est la qualification des ICT qui était là attaquée de front par l’économie néolibérale. Nombre de luttes depuis les années 2000 portent sur la reconnaissance de la qualification, le sens du travail, l’éthique professionnelle et la finalité de l’entreprise (stratégie et environnement).

Après ceux avec l’employeur puis avec l’entreprise société d’actionnaires, les ICT connurent un troisième divorce avec la société concernant leur reconnaissance sociale. Depuis les années 2010 jusqu’à aujourd’hui, tous les gouvernements vont s’employer à stigmatiser les ICTAM et plus particulièrement les ingénieurs et cadres, au travers d’un cadre bashing très prononcé pour tout ce qui concerne la protection sociale : plafonnement des allocations familiales, de l’assurance chômage… Derrière des discours populistes s’apitoyant sur « les plus modestes », l’objectif est en permanence de diviser les catégories et de les enfermer dans un partage de la pénurie dédouanant le capital et empêchant de toucher aux 1 % qui accaparent l’essentiel des richesses. Dans ce conflit des retraites, la solidarité de l’ensemble du monde du travail est de mise face à une réforme néolibérale où tout le monde est perdant quoiqu’en disent les discours de division d’où qu’ils émanent.

Alors qu’ils représentent maintenant 50 % du salariat, la détermination actuelle des ICT s’enracine sur un terreau spécifique particulièrement fécond et pousse à un rassemblement transformateur. C’est ce que traduit le puissant mouvement actuel où plus de 9 actifs sur 10 contestent la réforme gouvernementale.

Jean- François Bolzinger – mars 2023

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