Nous sommes jeunes cadres de la fonction publique d’Etat, de l’hôpital public et des collectivités territoriales et nous observons, depuis notre entrée dans le monde du travail, une dégradation accélérée de nos conditions de travail et des services publics au sein desquels nous nous sommes engagé·es. Nous avons pour la majorité d’entre nous été recruté·es avec des contrats de courte durée qui ne permettent pas d’accéder à un logement et de se projeter dans l’avenir. Quand nous demandons à être titularisé·es ou à préparer des concours, nos employeurs nous maintiennent dans la précarité et l’incertitude, quand ils ne refusent simplement pas de nous inscrire aux cycles préparatoires.
Notre quotidien au travail est rendu pénible car nos structures refusent d’ouvrir des postes et connaissent de lourdes difficultés de recrutement. Comment s’en étonner, quand les rémunérations sont de plus en plus faibles et ne tiennent compte ni de nos diplômes ni des responsabilités écrasantes que nous prenons, quand nos conditions d’exercice sont si contraignantes, quand nos droits nous sont petit à petit retirés (comme avec la suppression de jours de repos dans de nombreuses administrations) ?
Les campagnes de communication de nos employeurs pour recruter des inspecteur·ices du travail, des sages-femmes, ou des attaché·es territoriaux·ales ne trompent personne alors que bon nombre de nos structures d’emploi se targuent de supprimer chaque année plusieurs dizaines, voire centaines de postes de fonctionnaires ! Nous avons pris nos postes dans des contextes professionnels incertains, dont les repères sont constamment modifiés. Nos administrations sont en réorganisation permanente. Nous n’avons pas encore terminé de traduire la mise en œuvre d’une réforme qu’une nouvelle est adoptée, parfois contradictoire avec la précédente. Nos bureaux sont modifiés, nos locaux déménagés, parfois plusieurs fois sur une même année. Nos administrations sont décomposées et recomposées, et l’on attend de nous que nous maintenions le même niveau d’activité.
Le glissement des modes de financement de nos missions de la dotation vers les appels à projets instaure une insécurité incompatible avec le temps long de la gestion des services publics. Les appels à projets nous épuisent et représentent un gâchis d’argent public, entre le temps passé à y répondre et celui à instruire les réponses. Les “projets innovants” sont financés alors que nous n’avons plus les moyens d’assurer nos missions de base. Nous observons tous les jours les effets délétères des idéologies du « New Public Management ». Les administrations délèguent des missions nécessitant une expertise pointue à des structures comme les cabinets de conseil. A notre échelle nous voyons déjà comment cette perte d’expertise en interne est catastrophique pour nos collègues obligé·es de saboter l’avenir du service public.
Le recours à ces structures coûte pourtant plus cher que de disposer des qualifications des fonctionnaires. La délégation au privé de missions qui ont vocation à rester uniquement publiques, ne serait-ce que pour protéger les populations, pose aussi des problèmes éthiques. L’exemple récent des révélations sur Orpéa montre bien les effets délétères d’une culture de la performance basée sur du chiffre lorsqu’on s’attache à des services qui touchent à l’humain. Ces idéologies infusent la culture managériale de la fonction publique. A la culture de la hiérarchie verticale s’est ajoutée celle du reporting, la demande de justification permanente de l’efficience de notre travail. Nos services sont quantifiés, jugés sur des indicateurs chiffrés sans tenir compte des spécificités de nos activités.
Quand on encadre des équipes, on nous demande de devenir maltraitant·es. Nous sommes laissé·es seul·es face à l’arbitrage impossible entre qualité du service que nous devons au public et préservation des conditions de travail de nos collègues. Nous savons que nos activités ont un impact réel, parfois immédiat sur la vie des gens. C’est pourquoi ne pas pouvoir rendre un service public décent cause des situations de souffrance chez beaucoup d’entre nous. La période des élections présidentielles aurait dû permettre un débat de société qui apporte des réponses à la question centrale : qu’attendons-nous de nos services publics ? Une fois redéfinis collectivement le sens et la finalité de nos services publics, doit découler une réflexion sur leurs moyens et leur organisation, afin que cette souffrance que nous exprimons ne soit plus monnaie courante, afin que nous puissions exercer nos métiers essentiels dans des conditions dignes des missions qui nous sont confiées et de la valeur que nous accordons à chaque citoyen·ne. Ce débat a malheureusement pour l’essentiel été occulté. Cependant, nous refusons de nous résigner.
Nous refusons que les échéances électorales nous soient volées avec des résultats soit disant écrits d’avance. Nous utiliserons notre bulletin de vote pour faire entendre nos convictions. Au-delà, nous avons fait le choix de nous syndiquer au sein de l’union générale des ingénieurs, cadres, techniciens (UGICT) de la CGT pour défendre nos conditions de travail et le service public. Le syndicalisme nous permet de trouver un cadre collectif où débattre de notre travail et de nos responsabilités. C’est un levier pour retrouver du sens et des marges de manœuvres.
Nous avons choisi la fonction publique car nous voulons construire un monde plus solidaire, égalitaire et durable. Nous découvrons un fossé entre nos missions et les moyens mis à notre disposition pour exercer nos responsabilités. Le syndicalisme nous permet de surmonter cette dichotomie, de retrouver confiance et de reprendre la main.
texte collectif de syndiqués à l’UGICT-CGT publié sur l’Humanité