Bientôt, il n’y aura plus d’âge pour partir à la retraite.
Déjà la référence à 60 ans s’est éloignée. L’âge « légal » est aujourd’hui passé à 62. Cet âge légal ne correspond plus maintenant à la perception d’une retraite complète depuis le scandaleux dispositif mis en place récemment à l’Agirc-Arrco.
Le montant de la retraite perçue est fortement amputé par diverses « décotes », aux motifs et prétextes multiples, qui déforment le rapport entre le montant de celle-ci et la durée d’activité. Une « surcote » a été mise en place en 2003 et s’est étendue à diverses situations. Elle incite à prolonger l’activité.
Beaucoup de futurs retraités ont déjà en tête la perspective de compenser la faiblesse des pensions attendues par le mirage d’un cumul emploi/retraite et cela pour quelle durée ?
Bref, la retraite et les droits associés deviennent de plus en plus un dispositif individuel qu’actionne le salarié quand il le peut ou lorsqu’il en est obligé.
Le grand tournant s’est effectué au début des années 2000. Il avait été longuement préparé par le patronat et les forces réactionnaires qui n’ont cessé, dès la mise en place de la retraite sécurité sociale en 1944-1945, de saper les fondements du système, et de diminuer ou de supprimer certaines dispositions.
Qu’avons-nous en perspective, si nous n’inversons pas le processus ?
D’abord un abaissement dramatique du montant des retraites. L’avenir ce sont des retraités pauvres et à la charge de leur famille. C’est un quasi retour au XIXe siècle. De très nombreux organismes financiers sont déjà sur ce « créneau » pour accaparer les faibles capacités d’épargne des salariés pour un résultat hypothétique.
Ensuite c’est la disparition de toute référence sociale et collective en matière de retraite.
Les pièces du puzzle commencent à se rassembler. Bientôt chaque assuré social sera titulaire d’un « compte retraite virtuelle » qu’il créditera tout au long de sa carrière, comme il le pourra et comme on le lui permettra. Ses cotisations constitueront un « capital virtuel » de retraite future. Ce compte sera revalorisé, selon les rapports de force et les situations du moment, en fonction du revenu moyen national d’activité, du produit intérieur brut – ou pas ou moins revalorisé – au prétexte des événements et des politiques mises en œuvre : intervention militaire, crise financière, endettement public et autres inventions de nos gouvernants.
Dans cette perspective, la future retraite sera égale à ce capital revalorisé, divisé par l’espérance de vie à la retraite de la génération de l’assuré et en fonction de l’âge effectif de départ en retraite de celui-ci. S’il part plus tôt, il aura moins ; s’il part plus tard il aura un peu plus.
Ce système, qui existe déjà en Europe et qui se profile dans de nombreux pays et dans le nôtre[1], est empreint d’une vision eugénique de la société qui plaît beaucoup aux technocrates financiers d’aujourd’hui et aux syndicalistes qui plaisent au patronat. Il prédétermine la norme sociale admissible des futurs retraités. Il ramène la retraite à un crédit de fin de vie.
L’ébranlement du système français de protection sociale est maintenant très avancé.
Il est aujourd’hui nécessaire de rebâtir ou de concevoir de nouvelles dispositions. Pour cela il faut réussir à surmonter le poison de l’individualisme qui est activé pour saper tout édifice collectif.
Ce sujet déborde très largement la question des retraites. Il y a maintenant à l’ordre du jour la « réforme » du code du travail. L’entreprise, voire l’atelier ou le secteur d’activité serait érigé en lieu privilégié de la détermination des règles et des droits sociaux, en opposition avec les branches professionnelles, les territoires et toutes dispositions nationales. L’objectif est d’isoler le plus possible les salariés dans la confrontation patronale.
Si la durée du travail, voir le minimum de salaire, sont déterminés dans l’entreprise, il en est finit de toute référence dans ces domaines.
Si le salarié pris individuellement est réputé être qualifié pour approuver ce que le patronat impose, toutes dispositions collectives disparaissent et toute initiative syndicale est compromise.
Axes principaux de reconquête :
- Dégager des ressources nouvelles pour la protection sociale (condition indispensable).
- Supprimer les multiples exonérations patronales de cotisations.
- Elargir la cotisation à tous les éléments de salaire et déplafonner.
- Concevoir une gestion collective de la protection sociale débarrassée de l’emprise patronale et de l’étatisme.
Le besoin d’assurer une subsistance après la période de travail salarié est une nécessité ancienne. Des systèmes de retraite sont apparus dès le XVIIe siècle pour certaines catégories d’agents de l’État : marins en 1673, militaires en 1831, fonctionnaires chargés des finances en 1853, …
La première loi générale concernant les ouvriers et les paysans date de 1910. Le système alors mis en place combinait capitalisation et solidarité nationale aux plus démunis. Jean Jaurès avait souligné l’avancée que cela représentait dans l’assurance sociale et la nécessité d’aller au-delà. Cette loi applicable à 65 ans a concerné peu de monde. Seulement 8,4 % de la population dépassait cet âge en 1912. La crise économique de 1929 a ruiné ce système.
Avancées | Reculs |
1944-1945 :
20 % (du plafond de la SS) à 60 ans 40 % à 65 ans Cogestion des caisses (75 % syndicats, 25 % patronat) |
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1947 :
AGIRC |
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1956 : MOLLET
Minimum vieillesse |
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1961 :
ARRCO |
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1967 : POMPIDOU
Paritarisme de gestion (50 % syndicats, 50 % patronat) |
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1971 : CHABAN DELMAS
37 ans de cotisations (au lieu de 30) 10 meilleures années |
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1982 : MITTERRAND
60 ans (droit à la retraite) 65 ans (âge limite) |
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1987 : CHIRAC
Désindexation des retraites de l’évolution des salaires |
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1993 : BALLADUR
25 meilleures années 40 ans de cotisations |
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2003 : RAFFARIN
41 ans de cotisations (privé et fonctionnaires) Système de décote/surcote |
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2007 : FILLON
41 ans de cotisations (régimes particuliers) |
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2010 : FILLON
62 ans (âge légal) 67 ans (limite d’âge) Alignement des minimums de pension et des taux de cotisation entre régimes |
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2012 : HOLLANDE
Elargissement des conditions de départ en retraite à 60 ans pour les carrières longues |
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2013 : AYRAULT
43 ans de cotisations |
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2015 : VALLS
Abaissement de 10 % des retraites complémentaires à l’âge légal |
[1] Régime de retraite par « comptes notionnels ».
Intervention de Denis Glasson au congrès du syndicat d’administration centrale – 10 décembre 2015