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Points de vue

Restructurations – Derrière la novlangue

Article mis en ligne le 30 novembre 2020, publié dans Options n° 661

C’est par une unité syndicale hors
du commun
chez Renault que
la Cgc, la Cfdt, la Cgt
et Force ouvrière se sont opposées au projet
du constructeur d’engager un plan d’économie de plus de 2 milliards d’euros.
Les raisons de la colère et le plan de travail
de la Cgt.

POINT DE VUE DE  JEAN-FRANÇOIS PIBOULEAU, CADRE, DÉLÉGUÉ SYNDICAL CENTRAL CGT DE RENAULT.

Le plan d’économie auquel nous sommes aujourd’hui confrontés chez Renault n’a pas d’équivalent. Jamais, jusqu’alors, l’entreprise n’avait fermé de sites. Jamais non plus ses plus hautes instances n’avaient autant malmené le personnel et ses représentants. Bien sûr, nous disposons de quelques éléments  pour  envisager l’avenir, à commencer par la volonté de la direction de supprimer quelque 15 000 postes de travail dans le monde, dont 4 600 en France, ainsi que ses intentions de faire 2 milliards d’euros d’économies. Ça, nous le savons depuis le mois de mai. Mais nous ne disposons d’aucun élément quant à la stratégie qui guide ce plan. Et Luca de Meo, le nouveau directeur général de Renault Sa, l’assume, puisqu’il a déclaré très clairement qu’il ne justifierait son projet qu’en janvier 2021. C’est ce mépris sans égal dans l’entreprise pour les instances représentatives du personnel qui explique que, ensemble, la Cgc, la Cfdt, la Cgt et Force ouvrière se sont déclarées, lors du Ccse du 19 septembre, opposées au plan présenté. Nous n’avions pas connu une telle unité depuis le début des années 2000 et la colère suscitée par l’externalisation des services informatiques.

La stratégie à laquelle nous faisons face n’est pas brouillonne. Bien au contraire, elle semble parfaitement réfléchie. D’abord, on use de la confusion engendrée par la délivrance d’informations au compte-gouttes pour amoindrir la possibilité de négocier, si ce n’est de contester tel ou tel projet. Ensuite, on mobilise les outils langagiers mis à disposition par les services de communication pour amoindrir la capacité de tout un chacun à maîtriser le discours. Ainsi, la disparition du site de Choisy-le-Roi et l’arrêt de la production à l’usine de Flins deviennent un simple « transfert » et le déménagement des activités de l’usine de Maubeuge vers l’usine de Douai le signe avant- coureur de l’avènement d’un « pôle d’excellence ».

Plus symptomatique encore, un plan de restructuration se transforme en une « résurrection » préfigurant une « renaulution » ainsi que l’a annoncé sans sourire Luca de Meo lors du Ccse de septembre. Enfin, on saucissonne les négociations pour éviter les solidarités entre sites. La direction nous l’a annoncé : les discussions sur le plan de réduction des coûts se mèneront fonction par fonction, projet par projet, au niveau de Renault Sa et seulement de Renault Sa, d’un côté ; puis de chaque filière de l’autre.

Du jamais-vu. Cette manière de faire n’écarte pas seulement toute vue d’ensemble. Elle empêche que se tissent des liens entre établissements pour éviter le pire… Il faut y ajouter ces réu- nions à destination des personnels, organisées site par site par les directions, pour délivrer des éléments de langage qui laissent supposer que l’acceptation vaut mieux qu’une contestation qui risquerait de condamner le poste de chacun. Nous sommes confrontés aujourd’hui chez Renault à un défi sans pareil. Que peut la Cgt face à cela ? Chaque fois que nous nous sommes bat- tus pour des revendications accessibles, proches des salariés, nous avons été capables de gagner : ainsi, lors de la grève des magasiniers de l’usine de Cléon, en octobre, pour leur requalification et la titularisation des intérimaires. La Cgt a travaillé sur un projet industriel. Nous avons des propositions concrètes, argumentées et circonstanciées, pour donner un autre avenir à Renault. Il faut en débattre avec les personnels. Il faut qu’ils nous aident, à partir des connaissances qu’ils ont de leur travail, à lui donner vie. La direction veut nous faire croire que nous sommes interchangeables, que nos métiers sont sans importance. Nous devons imposer une autre réalité en redonnant sens au travail et aux mots qui en relèvent. La direction cherche par tous les moyens à brouiller les pistes en tentant de faire perdre leurs repères aux salariés. Nous, nous devons les restaurer. Décrypter ses intentions pour faire des contre-propositions et ce, en acceptant d’entendre ce que les salariés ont à dire. Nous avancerons avec eux. Il faut construire avec eux. C’est ainsi que nous pourrons donner un avenir à Renault et à ses emplois.

Propos recueillis par Martine HASSOUN

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