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Santé Mentale – Étudiants à bout de souffle

Article mis en ligne le 30 janvier 2021, publié dans Options n° 663

LES SERVICES DE SANTÉ UNIVERSITAIRE NE SONT PAS DIMENSIONNÉS POUR PRENDRE EN CHARGE LES ÉTUDIANTS DONT L’ÉTAT PSYCHOLOGIQUE EST EN FORTE DÉTÉRIORATION. CETTE SITUATION EST RÉVÉLATRICE D’UNE ABSENCE DE RÉPONSE À LA HAUTEUR DES BESOINS, INDÉPENDAMMENT DE LA CRISE SANITAIRE.

« Il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 », reconnaissait Emmanuel Macron il y a quelques mois. Il ne suffira pas de recruter quelques dizaines de psychologues ou d’assistantes sociales supplémentaires pour prévenir et traiter les états de détresse psychologique. Il faudra sérieusement s’attaquer à l’isolement des jeunes et à la précarité étudiante.

Lorsque l’écrivain et professeur américain Rick Moody s’apprête à enseigner à distance, au printemps dernier, il dit penser d’abord à ses étudiants : « Dans la panique, coincés chez eux, restreints dans leur autonomie, probablement voués à partir sans cérémonie de diplôme, enfermés dans une vidéo de la taille d’un timbre-poste plusieurs heures par jour […]. Je les ai salués d’un coup de coude pour la dernière fois, écrit-il. Et puis, ils n’étaient plus là… » 1 Si les plus chanceux, depuis la mise en place du deuxième confinement, peuvent encore se déplacer dans leur établissement pour les enseignements pratiques, ils sont pour beaucoup assi- gnés à résidence chez leurs parents, isolés dans leur logement ou en chambre universitaire. Quiconque a vécu à leur côté a pu observer leur rituel de travail : lever au dernier moment pour suivre des cours interminables sur une plateforme numé- rique, vision en timbre-poste effective- ment, parfois assis à leur bureau, parfois calés au fond du lit, en mal de concentration au fil de la journée et moral en berne en soirée. « Nous voulons éviter une troisième vague qui serait une vague de la santé mentale pour les jeunes et les moins jeunes », affirmait à l’automne Olivier Véran, ministre de la Santé, en visite sur une plateforme d’écoute. Et… donc ?

Stress, anxiété, dépression : une détresse vécue en silence

C’est que le moral en berne n’est pas la manifestation la plus inquiétante de l’état de santé des jeunes. Stress, anxiété, dépression… les alertes viennent de toutes parts : des parents, des professionnels de santé, des professeurs, des présidents d’université, des syndicats étudiants, du réseau associatif. Faute d’évaluation systématisée de la santé mentale des étudiants, on pourra, comme le font deux universitaires sur The Conversation 2, pointer la difficulté à mesurer précisément le  phénomène ou s’interroger sur la définition de la

« santé mentale ». Mais toutes les études publiées ces derniers mois convergent pour mettre en évidence une détérioration du « moral » des jeunes, nourrie en particulier par le  sentiment  d’isolement et la précarité. Celle de l’Observatoire de la vie étudiante a ainsi établi à 31 % la prévalence de la détresse psychologique des étudiants confinés, contre 21 % dans une étude menée en 2016. Réalisée auprès de plus de 69 000 étudiants inscrits dans 70 universités françaises, celle du Centre national de ressources et de résilience (Cnrr) alerte dès le premier confinement : 27,5 % des étudiants déclarent un haut niveau d’anxiété, 24,7 % un stress intense, 22,4 % une détresse importante, 16,1 % une dépression sévère et 11,4 % disent avoir des idées suicidaires.

Une détresse vécue le plus souvent en silence, dans un contexte global, en outre, de non-recours aux soins, même si un dispositif de prise en charge des étudiants est présent sur les campus. Celui-ci repose essentiellement sur les 57 services de santé universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps), auxquels il faut ajouter des structures œuvrant dans l’environnement des universités : centres médico-psycho- logiques, services des Crous, bureaux d’aide psychologique universitaire. Mais ces services ne semblent aujourd’hui pas en capacité de remplir leur mission, en dépit des efforts déployés par leur personnel : « Ils ne sont pas dimensionnés pour faire face aux besoins des étudiants, particulièrement en matière de santé men- tale. L’ensemble des associations représentatives des étudiants font ainsi état d’une raréfaction des créneaux de consultation disponibles », montre, à la mi-décembre 2020, le rapport de la commission d’en- quête parlementaire « pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse ».

Il serait pourtant faux de dire que rien n’est fait par la puissance publique, avec notamment un doublement des capacités d’accompagnement psychologique dans les services de santé, ou le déploiement de 1 600 référents étudiants dans les cités universitaires. C’est certes utile et bien- venu, mais largement insuffisant.

Un seul psychologue pour presque 30 000 étudiants

Les services de santé universitaires étaient, en effet, déjà surmenés avant la pandémie : « Notre pays accuse un retard considérable en matière de santé men- tale étudiante », dénonce ainsi, dans une tribune 3, un collectif de présidents et vice-présidents d’université, de médecins directeurs des services de santé et d’élus étudiants. Parmi les signataires de cette tribune, Nightline France, un ser- vice d’écoute nocturne assuré par des étudiants eux-mêmes, a enregistré une augmentation du nombre d’appels de l’ordre de 40 % depuis la rentrée universitaire. Dans une note « En parler, mais à qui ? », l’association tente de mesurer ce retard français en s’appuyant sur des données collectées dans huit pays européens mais aussi au Canada, en Australie ou aux États-Unis. Et met en évidence des ressources humaines sans rapport avec la population  étudiante,  déconnectées   de la réalité des besoins : l’équivalent temps plein travaillé (Etpt) de psychologues est ainsi jusqu’à 18 fois moins élevé que dans les autres pays recensés. Il s’établit à un psychologue pour 29 880 étudiants, contre 1 500 aux États-Unis ou 7 300 en Autriche, très loin des recommandations internationales fixées à 1 Etpt de psychologue universitaire pour 1 500 étudiants. Comment,

« lorsqu’on est seul face à tant, envisager de soutenir une population en détresse ? » s’interroge le collectif, en faisant explicitement référence aux résultats de l’étude I-Share, seule étude longitudinale d’envergure en France (20 000 étudiants) : en 2019 déjà, 22 % d’entre eux disaient avoir eu des idées suicidaires, indépendamment donc de la crise sanitaire.

Des moyens matériels et humains à tous les niveaux

« Il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 », reconnaissait Emmanuel Macron il y a quelques mois. Et après ? Il ne suffira pas de recruter quelques dizaines de psychologues ou d’assistantes sociales supplémentaires pour prévenir et traiter les états de détresse psychologique. Ou, « si la situation sanitaire le permet », d’autoriser une reprise des cours « en présentiel » en ce début d’année 2021 pour répondre à la situation d’étudiants en grande vulnérabilité, après la concertation initiée par la ministre de l’Enseignement supérieur.

« La crise de la santé mentale étudiante précède le Covid-19, elle ne s’éteindra pas avec lui », préviennent avec gravité les auteurs de la tribune. En amont, il faudra sérieusement  s’attaquer  à  l’isolement des jeunes et à la précarité étudiante, puissants carburants de leurs multiples fragilités, matérielles, sociales ou psychologiques, comme le montrent notamment, année après  année,  les  enquêtes de l’Observatoire de la vie étudiante (voir ci-contre).

Il faudra aussi, dans l’immédiat et à plus long terme, remettre des moyens financiers, humains et matériels à tous les niveaux et à la hauteur des besoins : pour recruter des professionnels de santé universitaires, notamment des psychologues, sur des postes stables ; pour revaloriser les métiers et les carrières de manière à les rendre plus attractifs ; pour s’appuyer sur des équipes administratives suffisamment dotées ; pour accueillir et soutenir les jeunes dans des locaux adaptés et mieux les informer sur leurs droits… C’est en consentant cet effort que l’État pourra assurer l’une des missions de l’enseigne- ment supérieur, inscrite dans la loi de 2013 : l’amélioration des conditions de vie étudiante, qui ne peut faire l’impasse sur une prise en charge sérieuse de la santé mentale des jeunes.

Christine LABBE

École  : les conditions de la démocratie

Santé Mentale – Étudiants à bout de souffle

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