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À propos – mai 2021

Article mis en ligne le 30 mai 2021,

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Police : vraie crise, authentiques démagogues

Le rassemblement de policiers du 19 mai doit être pris au sérieux. Il exprime une crise à la fois spécifique et sociale, exacerbée par des événements dramatiques, et son expression est hautement instrumentalisée, avec succès. L’émotion et la colère manifestées par les policiers face à des actes violents, parfois barbares, dont ils sont la cible ne sont évidemment pas discutables, pas plus que ne l’est la mise en cause de leurs conditions de travail. Insuffisants en nombre, largement du fait de Nicolas Sarkozy, ils ont dû gérer successivement plusieurs états d’urgence antiterroristes et un état d’urgence sanitaire. Ils ont été délibérément conduits à affronter violemment les manifestants défendant leurs retraites, les gilets jaunes, les écologistes rassemblés autour de l’enjeu du réchauffement climatique… Corrélativement, ils ont continué à assumer un quotidien professionnel ingrat : querelles domestiques, de voisinage, vols et trafics en tous genres, conduites à risques de personnes en souffrance… Toutes choses qui mériteraient d’être prises au sérieux par les pouvoirs publics, par les organisations syndicales et par les élus, avec l’objectif simple et clair d’améliorer les conditions de travail des uns et la sécurité de tous.

L’image qui se dégage du rassemblement policier du 19 mai est très loin de ces préoccupations légitimes. Organisé par les principaux syndicats de policiers, aux sympathies affichées pour la droite extrême, en face de l’Assemblée nationale, revendiquant la protection de ceux qui « protègent la République », il s’inscrit dans une surenchère qui n’a rien de républicain. Les responsables gouvernementaux et syndicaux ont adopté de longue date le principe d’un refus systématique de la moindre mise en cause de l’action de la police. Aujourd’hui, n’importe quel service public peut être critiqué, et il l’est, en fonction d’une norme démocratique banale et saine. Mais cela ne vaut pas pour la police, loin de là. Ce tabou ne lui rend évidemment pas service : il la coupe largement des réalités du pays et encourage – en son sein comme au sein du gouvernement – un emballement sécuritaire et démagogique.

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« Le problème de la police, c’est la justice », vraiment ?

Le problème, avec les démagogues, n’est pas qu’ils fassent des promesses, mais qu’ils ne les tiennent jamais. Le fameux « au Kärcher » de Nicolas Sarkozy n’est qu’une illustration parmi d’autres de cette manie qu’ont la plupart des ministres de l’Intérieur de rouler des mécaniques tout en coupant dans les budgets, et de jouer des muscles face aux faibles, en méprisant hautement leur responsabilité de gardien de la paix. Arrive toujours le moment du bilan, celui où il devient manifeste aux yeux du plus grand nombre que les problèmes posés ne se résolvent pas automatiquement à grands coups de flash-ball, d’yeux crevés et de crânes fêlés.

Dans un contexte où évoquer la police en termes de violences, de racisme, de procédures bâclées ou – pire – montées de toutes pièces contre des passants ordinaires fait courir le risque d’être stigmatisé comme ennemi de la France, comment s’en sortir ? L’efficacité implique un retour sur le réel et une évaluation de ce qui a été mis en œuvre, retour qui peut être douloureux. La démagogie, cousine de la lâcheté, s’occupe, elle, de désigner des responsables. N’importe lesquels, à n’importe quel prix. Le 19 mai, on a ainsi pu entendre reprises les éternelles attaques contre le laxisme des juges, fantasme que démentent, hélas, toutes les statistiques judiciaires qui font, elles, état d’incarcérations toujours plus nombreuses, de peines toujours plus lourdes, de lois toujours plus sécuritaires.

Dénonçant l’« impunité systématique » des délinquants et appelant à « changer de système, de paradigme », les orateurs ont su mobiliser la colère et l’émotion nées de récents drames pour se poser en interlocuteurs obligés, incontournables, du pouvoir, dont ils n’hésitent plus à tordre le bras. Non sans succès. À preuve, le Beauvau de la police, convoqué par le président de la République en personne afin de régler le problème des violences policières, les a totalement évacuées, le terme même ayant été décrété innommable par la haute hiérarchie policière.

En défense de la République, vraiment ?

Après le drame d’Avignon, l’exécutif s’est empressé de céder à la demande d’une peine incompressible de trente années d’emprisonnement pour les agresseurs des forces de l’ordre. Tous les spécialistes de la question le savent, une escalade de cet ordre, souvent mise en œuvre dans différents pays, loin de freiner la violence, ne fait que l’alimenter. Mais elle peut calmer les troupes. Pour un bref moment. En attendant, on aura vu le ministre de l’Intérieur venir à un rassemblement qui conspuait le garde des Sceaux du gouvernement dont il est lui-même membre ; on aura vu le ban et l’arrière-ban des partis politiques participer, au coude à coude avec le Rassemblement national, à une opération dont les arrière-pensées et les propos ont peu de choses à voir avec la démocratie et la sécurité.

Au bout de cette logique, on trouve les préconisations d’un groupuscule syndical intimant au président de la République d’organiser le « bouclage des 600 territoires perdus de la République, y compris avec le renfort de l’armée, en contrôlant et en limitant les entrées et sorties de ces zones par des check-points, sur le modèle israélien de séparation mis en place avec les territoires palestiniens » et de « s’inspirer du modèle brésilien et philippin en matière de lutte contre le narcoterrorisme », modèle dont on sait qu’il a accumulé beaucoup de morts et de victimes, au rang desquelles on peut inscrire la démocratie.

Accompagner – même en se bouchant le nez – de tels délires, au prétexte qu’on aurait « besoin de la police » relève au mieux de la myopie, au pire d’une course au pouvoir sans principe et, d’avance, perdante. Le fait est que nous avons un gouvernement faible et prêt à tout pour paraître fort. Les extrêmes droites, dont le spectre déborde largement le seul Rn, en jouent allègrement. De militaires en policiers, elles font monter la pression sur l’exécutif pour qu’il s’enfonce, toujours plus loin dans une impasse marécageuse dont elles se présenteront comme l’unique issue.

Pierre Tartakowsky

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