Politiques publiques ➾ Quoi de neuf ?

 

Anne EYDOUX

Économiste, membre des Économistes atterrés.

 

« Les crises récentes ont révélé les contradictions du capitalisme financiarisé et les failles des régulations par les politiques néolibérales. C’est aussi le cas de la crise singulière que nous traversons. »

La crise sanitaire s’est traduite par une chute brutale, inédite, du Pib (– 5,8 % en France au seul premier semestre 2020). Les interventions publiques des huit semaines de confinement en France ont donné la priorité au maintien des capacités productives, sans mettre fin aux réformes du marché du travail. Si elles traduisent un soutien public (presque) inconditionnel au modèle économique actuel, elles ouvrent des perspectives dans une période très incertaine 1.

 

Le gouvernement a concentré ses interventions sur le marché du travail. Dans les secteurs ayant réduit ou stoppé leur activité (hôtellerie-restauration, construction, commerce, etc.), le chômage partiel (ou activité partielle) est devenu le dispositif central de protection de l’emploi, évitant nombre de licenciements et faisant de l’État et de l’Unédic des employeurs en dernier ressort. Début mai 2020, plus de 1 million d’établissements avaient déposé une demande d’activité partielle concernant 12 millions de salariés. Les montants sont considérables : 24 milliards d’euros, financés par l’État et l’Unédic selon le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020. Cette somme sous-évaluée représentait plus de la moitié des 42 milliards de dépenses budgétaires prévues par le plan gouvernemental de 110 milliards d’euros.

 

Dans les secteurs dont l’activité a été jugée vitale, les réformes néolibérales du marché du travail se sont poursuivies, sans que soit établi leur caractère temporaire. Dans la fonction publique hospitalière, le gouvernement a prévu des autorisations de dépassement des plafonds d’heures supplémentaires (décret n° 2020-297 du 24 mars 2020) et promis des primes ponctuelles pour les remercier de leur « dévouement », sans satisfaire leur demande de reconnaissance salariale. Dans les autres secteurs vitaux, une série d’ordonnances ont accordé aux employeurs le pouvoir de décider – même sans concertation – d’étendre les durées travaillées ou de décaler les congés. Dans tous ces secteurs, les salariés ont été exposés à tous les risques : Covid‑19, pression temporelle et désorganisation de la vie quotidienne.

 

Le soutien au revenu des plus précaires est resté en retrait, malgré une hausse record du chômage dès le mois de mars (+ 7,1 %). La croissance des dépenses d’indemnisation de l’Unédic n’a fait que suivre celle du chômage. Le gouvernement a différé le deuxième volet de la réforme de l’assurance chômage qui allait dégrader les droits. Rien de plus, alors que moins d’un demandeur d’emploi sur deux touche une indemnité. En avril, la hausse estimée des dépenses de l’Unédic pour le chômage partiel se chiffrait à 8 milliards d’euros, mais à seulement 300 millions d’euros pour les indemnités chômage.

 

Les plus précaires ont cumulé les difficultés : premiers de corvée mal payés, personnes isolées ou confinées dans des logements trop petits et/ou suroccupés. Les ménages pauvres ont subi le sous-dimensionnement des minima sociaux, conçus non plus pour garantir un revenu suffisant mais pour pousser à accepter un petit boulot pour survivre. Sans oublier les obstacles à l’accès aux services publics et aux aides en nature. Il a pourtant fallu attendre la montée des impayés de loyer et des demandes d’aides alimentaire pour qu’une aide exceptionnelle soit annoncée pour la mi-mai. Un geste tardif et insuffisant pour éviter une crise sociale.

 

Tout semble indiquer que le gouvernement a misé sur le rebond et le retour à la marche normale des affaires. Le Medef et l’Institut Montaigne l’ont compris, et demandent maintenant un allongement de la durée du travail. Comme s’il n’y avait pas des millions de chômeurs en attente d’un emploi, et de travailleurs craignant de perdre le leur.

Les interventions publiques sur l’emploi, déployées en quelques semaines à grande échelle et financées sans sourciller par le déficit public, ont montré les failles du dogme néolibéral. La pandémie a arraché ce que les gilets jaunes et la série des mouvements sociaux qui agitaient la France n’ont jamais obtenu : faire passer le monde que nous laisserons à nos enfants avant la dette qu’elles et ils devront rembourser. Il faut aller plus loin pour renforcer la solidarité et les services publics, et exiger des entreprises, qui ont bénéficié du plan de sauvetage, qu’elles contribuent à des réponses pérennes, non seulement à la crise sanitaire, mais aussi à la crise sociale et environnementale.

 

1. Anne Eydoux, « L’impossible redevient pensable », note pour les Économistes atterré·es, 30 avril 2020. À retrouver sur Atterres.org

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