Vaccin Sanofi ➾ Business is Business

 

Le laboratoire pharmaceutique français veut s’assurer un accès facilité à l’incontournable marché américain, mais aussi les financements publics et le soutien de la France comme de l’Europe.

Avis aux rêveurs : la concurrence pour trouver un vaccin contre le Covid-19 est acharnée. Au-delà du prestige dont jouiront ceux qui trouveront un remède miracle, les enjeux sont autant financiers que sanitaires : la santé reste un objet de spéculation et une marchandise d’autant plus précieuse qu’elle est indispensable.

 

De nombreux États, malgré les alertes répétées de ces dernières années, ont négligé la probabilité d’une pandémie due aux coronavirus. Qu’à cela ne tienne, ils dégagent des fonds dans l’urgence pour la recherche d’un vaccin. Ainsi, l’organisme américain chargé de la lutte contre les pandémies et les maladies émergentes, le Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) a « arrosé » nombre d’équipes dans le monde, attribuant 30 millions de dollars au laboratoire français Sanofi, qui dispose de moyens de recherche et de production aux États-Unis. C’est une goutte d’eau, comparée aux 500 millions de dollars que le Barda vient de s’engager à verser au laboratoire Moderna – basé dans le Massachusetts et dirigé par un Français, centralien et ex de BioMérieux – pour développer son vaccin prometteur. Pragmatisme d’un côté, business de l’autre. Paul Hudson, directeur général de Sanofi, en déclarant que le marché américain serait le premier servi en cas de découverte par Sanofi du vaccin miracle, a laissé entendre que ce financement impliquait des contreparties. Tollé général en France, le groupe français percevant notamment 110 à 150 millions d’euros annuels de Crédit impôt recherche. Le Pdg de Sanofi a rectifié le tir : tout le monde disposera simultanément de l’accès à un éventuel vaccin…

 

Un épisode riche d’enseignements.

 

Certes, le temps est révolu où les découvreurs de vaccins se percevaient comme des bienfaiteurs de l’humanité et se moquaient de déposer des brevets. Mais les salariés de Sanofi en France, plus motivés par l’idée de sauver des vies que de contribuer aux milliards de dividendes versés chaque année par le groupe à ses actionnaires, sont estomaqués par ces déclarations. « Le groupe essayait de redorer son image », explique Thierry Bodin, délégué central Cgt de Sanofi-France, qui y a tout vécu : délocalisations, restructurations, abandons de programmes jugés non lucratifs – y compris sur les anti­viraux et antibiotiques – et autres plans de licenciements, jusqu’au dernier, à l’été 2019.

« Sanofi fait une nouvelle fois preuve d’une stratégie qui ne devrait pas étonner nos dirigeants politiques, signale-t-il. Ces déclarations ne sont pas vraiment imposées par la somme relativement modeste versée par les Américains. C’est donnant-donnant. Sanofi veut surtout s’assurer une ouverture facilitée au marché américain, le plus stratégique et le plus lucratif. »

 

Le groupe en profite aussi pour faire monter les enchères et essayer de drainer davantage de financements européens :

« Les déclarations sur les protocoles trop longs et trop complexes avant autorisation de mise sur le marché en France et en Europe vont également dans le sens d’un opportunisme assumé. Au risque de développer un vaccin aux effets secondaires incertains, Sanofi voudrait raccourcir les délais entre le dépôt d’un brevet et la commercialisation de ses futurs médicaments et vaccins, et gagner du temps de propriété exclusive, puisque celui d’un brevet ne dure “que” vingt ans. »

 

Par ailleurs, les sites français de Sanofi restent en capacité de mener certains travaux de recherche, mais concernant celles portant sur le Covid-19, les capacités de production se trouvent sur le territoire américain. Les sites français ne permettent pour l’heure que le conditionnement d’un éventuel vaccin… Sauf investissement public massif ? L’épisode rappelle l’urgence, pour le monde d’après, de disposer d’un pôle de recherche publique solide, avec des financements qui le protègent des logiques de court terme et de profit, des capacités de production indépendantes. Et un pilotage démocratique des moyens d’accès aux vaccins et médicaments de première nécessité…

Valérie GÉRAUD

 

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